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Melany Nagen : «C’est illégal de frapper un détenu sans défense, nu, allongé au sol»

Si elle s’élève contre le fait que des gardes-chiourme ferment les yeux sur des dérives pour respecter l’omerta au sein des prisons, Melany Nagen, Deputy Chairperson of the National Human Rights Commission (Human Rights Division), insiste qu’il n’est absolument pas permis de frapper un détenu, nu au sol, sans défense. Pour elle, le rapport de la commission sur les incidents de Melrose, le 17 juillet 2025, mérite d’être décrypté, sans porter de visières.

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Le rapport de la Commission d’enquête sur la prison de haute sécurité de Melrose, vous le prenez comment ?
Je le prends comme un électrochoc, comme pour vos lecteurs. Ce rapport met noir sur blanc ce que beaucoup savaient déjà mais préféraient ignorer : nos prisons ont atteint un point de rupture. Ce n’est pas seulement un problème de sécurité, c’est une crise de dignité humaine.

En tant que membre du Fact-Finding Committee (FFC) sur les incidents de Melrose, grâce aux enregistrements visionnés lors des auditions des témoins-clés, j’ai vu les conditions, les frustrations et les failles systémiques qui ont mené à ces incidents. On ne peut plus se cacher derrière des procédures ou des excuses institutionnelles. Le rapport doit maintenant servir à provoquer une réforme en profondeur, pas à être rangé sur une étagère. Si on ne tire pas les leçons de Melrose, on cautionne que cela se reproduise ailleurs.

Y a-t-il des leçons à en tirer ? Si oui, lesquelles ?
Oui, il y a incontestablement des leçons à tirer, et elles sont nombreuses. Les événements survenus à la prison de Melrose ont mis en lumière des failles profondes d’ordre systémique : une communication interne défaillante, une gestion de crise insuffisamment adaptée et, plus fondamentalement, un déficit de respect envers la dignité humaine au sein même du système pénitentiaire.

Notre mission, dans le cadre de la Fact-Finding Enquiry, présidée par Me Satyajit Boolell, SC, n’était pas d’accuser ou de stigmatiser, mais de comprendre et d’apprendre. Ce travail d’enquête a révélé que tant que la culture de commandement dans les établissements pénitentiaires reposera davantage sur la répression que sur la prévention, les risques de tensions et d’explosions demeureront élevés.

Les enseignements qui en découlent sont clairs. Il est impératif de renforcer la formation du personnel pénitentiaire, en particulier sur les droits humains, la gestion des conflits et la communication avec les détenus. Il convient également d’instaurer des protocoles précis et cohérents de gestion des crises, axés sur la désescalade, la responsabilité et la transparence. Par ailleurs, l’amélioration des conditions de détention demeure essentielle : la surpopulation, le manque d’activités éducatives et constructives ainsi que les inégalités de traitement nourrissent inévitablement la frustration et la défiance.

Enfin, la restauration de la confiance entre l’administration pénitentiaire et les personnes détenues doit devenir une priorité. Une prison ne peut être envisagée uniquement comme un lieu de sanction ; elle doit être conçue comme un espace de réhabilitation, où la dignité de chaque individu reste préservée.

Serait-ce normal qu’il y ait autant de violences, selon le rapport, derrière ces cellules ?
Non, ce n’est absolument pas normal qu’il y ait autant de violences derrière les murs d’une prison. C’est même aberrant de voir, dans certaines vidéos, des Lead prison officers donner des coups de pied à des détenus sans défense. Cela heurte non seulement la conscience humaine, mais aussi les principes fondamentaux de l’État de droit.

Une prison est un lieu où l’autorité doit s’exercer avec discipline, pas avec brutalité. Maintenir l’ordre ne peut jamais signifier écraser la dignité humaine.

La National Human Rights Commission (NHRC) tente de trouver un juste milieu entre les détenus et les gardes-chiourme, mais on y a trouvé de la drogue, des portables et autres, pas seulement à Melrose. Ce serait une vraie passoire, selon vous ?
Soyons clairs : quand on parle de drogue, de téléphones portables ou d’autres objets interdits circulant dans les prisons, on ne peut fermer les yeux. Oui, il y a des failles, et les faits le prouvent. Dire que le système est une « passoire » n’est pas loin de la réalité dans certains cas, et cela doit profondément nous interpeller.

Mais il faut aller au-delà du constat. Si ces objets illicites entrent, c’est qu’il existe des complicités, des défaillances dans les contrôles et parfois un manque de leadership au sein de la chaîne de commandement. Ce n’est pas seulement un problème de sécurité, c’est un problème de gouvernance et de responsabilité.

La Commission ne cherche pas à ménager l’un ou l’autre camp : notre rôle est d’exiger que la loi soit respectée, par tous et pour tous. Les détenus ont des droits, mais aussi des devoirs. Les officiers ont une mission de sécurité, mais dans le strict respect de la dignité humaine.

Pourquoi cette violence envers des détenus, selon le rapport ?
Il n’y a absolument aucune justification à la violence gratuite envers des détenus. La loi, à travers la section 12 de la Reform Institutions Act, est très claire : l’usage de la force n’est permis que dans quatre cas précis : pour prévenir une évasion, maîtriser une agression, empêcher un dommage grave ou maintenir l’ordre lorsque tous les autres moyens ont échoué. L’usage de la force doit être proportionnel. En dehors de ces situations strictement encadrées, toute violence est illégale et inacceptable.

Or, ce que nous avons vu dans certaines vidéos dépasse largement ce cadre. Nulle part, ni dans la loi ni dans les Standing Orders, il n’est permis de frapper un détenu sans défense, nu, allongé au sol. Ces scènes sont profondément choquantes, moralement indéfendables et contraires à tout principe de dignité humaine.

Selon nos informations, il serait difficile de dissuader des gardes-chiourme de devenir des complices, comme des victimes collatérales d’un système défaillant. Ce serait « entre ciel et terre » pour certains. Vos explications ?
Il existe, dans certaines prisons, une culture du silence et de loyauté mal placée, qui peut pousser certains officiers à fermer les yeux, voire à devenir complices d’actes répréhensibles. Cela ne relève pas d’un manque d’intelligence, mais d’un système où la peur de leurs supérieurs, la solidarité de corps et l’absence de supervision ferme créent une zone grise — ce fameux « entre ciel et terre » que vous évoquez.

Nous avons également constaté que certains officiers se croient investis d’un pouvoir exclusif, s’autorisant à prendre des décisions unilatérales sans consultation de leur hiérarchie, comme s’ils détenaient un droit discrétionnaire sur la vie quotidienne des détenus. Cette dérive est particulièrement dangereuse, car elle mine la chaîne de commandement et fragilise l’autorité légitime de l’institution.

Mais rien ne justifie de devenir complice d’un abus. Les Standing Orders, la Reform Institutions Act et la morale professionnelle sont clairs : l’usage de la force n’est toléré que dans des cas précis, encadrés et proportionnés. Être témoin d’une dérive et se taire, c’est cautionner une faute grave et trahir l’uniforme.

Ce que notre enquête a révélé, c’est que la dérive ne vient pas seulement d’individus violents, mais d’un climat permissif, d’un manque de formation éthique et d’une hiérarchie parfois trop lente à agir. Il faut briser ce cycle. Les officiers ont un devoir de loyauté envers l’institution, pas envers l’impunité.

Il existe un protocole de fouille, mais la prison serait devenue comme une plateforme pour faire entrer de la drogue. Serait-ce proche de la vérité ?
Bien sûr qu’il y a des failles et, comme dans le rapport de la NHRC, elles sont sérieuses. Lorsqu’on retrouve régulièrement de la drogue, des téléphones ou d’autres objets interdits (piques démons, etc.) en détention, il ne s’agit plus d’incidents isolés : c’est le signe d’un système qui a perdu le contrôle au niveau de certains maillons de la chaîne.

La prison n’aurait jamais dû devenir une plateforme de transit pour la drogue. Or, quand, malgré les protocoles de fouille en place, ces substances illicites continuent d’entrer, cela révèle soit un manque d’efficacité des procédures, soit des complicités internes. Et c’est là que la question de responsabilité devient centrale.

La Fact-Finding Enquiry a mis en évidence que le protocole existe, mais qu’il n’est pas toujours appliqué avec rigueur, constance et impartialité. Une procédure ne vaut que par ceux qui l’exécutent. Tant qu’on ne renforcera pas la supervision, la transparence et la rotation des équipes de contrôle, la prison restera vulnérable aux infiltrations et aux trafics.

Il est facile de pointer du doigt les prisons, mais comment expliquez-vous ces gangs qui agissent en toute impunité, qui contrôlent tout et se font le beurre et l’argent du beurre ?
C’est vrai, il est trop facile de pointer uniquement du doigt les prisons. Il faut savoir que le problème des gangs ne naît pas derrière les barreaux : il y prend racine parce qu’on l’y laisse prospérer. Lorsqu’un gang parvient à contrôler les trafics, à imposer la peur et à « faire le beurre et l’argent du beurre », c’est qu’il a trouvé un vide — et ce vide devient un vide de contrôle, de courage ou de cohérence institutionnelle.
Il est indéniable que les gangs exploitent les failles d’un système fragmenté. Certains officiers, malheureusement, ferment les yeux, d’autres craignent des représailles et parfois la hiérarchie tarde à agir. Ce n’est pas un secret, c’est un constat. Le vrai danger, c’est la normalisation de l’illégal — et c’est là que ce qui est intolérable devient toléré.

Nous, à la NHRC, ne sommes pas là pour défendre les criminels, mais pour défendre la justice. Et la justice exige que l’État reprenne le contrôle total de ses prisons. Cela passe par des enquêtes internes courageuses, une rotation du personnel pour casser les réseaux d’influence et un message clair : personne, ni détenu ni agent, n’est au-dessus de la loi.

La NHRC se base sur les images vidéo officielles. Une de vos officières est entrée après les incidents ; au niveau de la commission, vous aviez au moins recueilli les témoignages des gardes-chiourme et entendu ce qu’ils ont vécu…
Effectivement, notre travail ne s’est pas limité aux images vidéo. Les enregistrements vidéo officiels ont été un élément important, mais ils ne sont qu’une partie du puzzle. Nous avons pris soin d’entendre longuement toutes les parties concernées, y compris les officiers pénitentiaires, car la vérité ne peut émerger que d’une écoute équilibrée.

Nous avons rencontré les gardes-chiourme présents lors de l’incident du 17 juillet, nous avons entendu leurs récits, leurs difficultés et parfois même leur détresse face à un climat de tension extrême. Nous savons que ces agents travaillent dans un environnement d’extrême difficulté, sous-équipés et sous pression, et nous avons clairement stipulé cela dans notre rapport. C’est précisément pour cela que notre rapport ne se limite pas à dénoncer, mais aussi à comprendre et à recommander des réformes structurelles.

Cependant, il est de notre devoir de rappeler que justifier la brutalité par la peur ou la colère n’est pas acceptable. Le rôle de la Commission n’a pas été de juger, mais d’établir les faits, d’analyser les causes et de promouvoir une culture de responsabilité et de respect mutuel.

Mais encore…
Notre approche a été rigoureuse, équilibrée et fondée sur des preuves visuelles, documentaires et humaines. Nous avons entendu les détenus, nous avons entendu les officiers présents, nous avons entendu le Commissaire des prisons, qui a mis en lumière ses difficultés à combattre les officiers corrompus, et qui a aussi amplement expliqué le combat qu’il mène contre ces derniers, ainsi que les problèmes des gardes-chiourme à gérer des détenus récalcitrants. Nous avons entendu les officiers chargés du Groupement d'Intervention de la Police Mauricienne (GIPM), de la Correctional Emergency Response Team (CERT) et de la Special Mobile Force (SMF) présents lors de l’incident du 17 juillet, et enfin, nous avons vu les images CCTV. Ce croisement d’informations nous a permis d’arriver à une conclusion claire et de faire des recommandations solides.

Le CP Jokhoo a dit que Melrose a évité le pire, car ses hommes ont été à la hauteur et ont mis à mal des « culprits » prêts à tout. Vous, à la Commission, on dit de vous que vous êtes installés dans un bureau et loin de la réalité. Serait-ce vrai ?
Je respecte l’avis du Commissaire des prisons, mais permettez-moi de dire ceci : ce n’est pas parce qu’on a évité le pire qu’on doit ignorer ce qui n’a pas fonctionné. Oui, certains officiers ont agi avec sang-froid, mais d’autres comportements observés dans les vidéos sont inacceptables. Être « à la hauteur » ne veut pas dire frapper un détenu sans défense, nu, allongé au sol, ou agir en dehors du cadre légal.

Quant à ceux qui disent que la National Human Rights Commission (NHRC) serait « dans un bureau, loin de la réalité », je les invite à regarder notre parcours. La National Preventive Mechanism Division (NPMD) de la NHRC était sur le terrain, à Melrose, depuis le 18 juillet, suite aux incidents de la veille. Nous avons vu, entendu et parlé avec les détenus comme avec les officiers. Nous n’avons pas jugé depuis des fauteuils : nous avons constaté sur le terrain, et les images CCTV en disent long. C’est précisément parce que nous avons vu la réalité que nous parlons avec fermeté aujourd’hui.

Le rapport est rendu public. What’s next ?
La publication du rapport n’est pas une fin en soi, mais un point de départ. Nous avons mis les faits sur la table, sans filtre, sans complaisance. Maintenant, c’est à l’administration pénitentiaire, au ministère concerné et aux autorités compétentes de traduire ces constats en réformes concrètes : une formation renforcée, une chaîne de commandement claire, des mécanismes de supervision indépendants et, surtout, une tolérance zéro pour tout abus.

Le Premier ministre a annoncé que des mesures immédiates seront prises et que des sanctions disciplinaires suivront à l’encontre des officiers concernés. Ces propos sont hautement commendables, car ils traduisent une reconnaissance du problème et un engagement fort à y remédier.

Cependant, notre enquête a aussi révélé une faille grave dans la chaîne de commandement. Celle-ci a été trop lâche, trop centralisée et dépourvue d’un processus collégial de décision. Nous ne pouvons pas — et ne devons jamais — nous fier aux conseils d’une seule personne pour autoriser une intervention aussi lourde de conséquences. Dans le cas présent, une seule personne a informé le Commissaire des prisons qu’il s’agissait d’une soi-disant mutinerie, et le Commissaire des prisons a donné son aval pour le recours au GIPM, à la CERT et à la SMF, sans qu’un comité d’évaluation ne soit réuni. Ce genre de décision doit être collégial, documenté et proportionné à la réalité du terrain.

Désormais, il faut mettre en place un véritable processus d’évaluation collective des situations de crise et renforcer la formation initiale et continue des officiers sur la désescalade, la communication et la gestion des tensions. Il est impératif d’inculquer le caractère inaliénable des droits humains dans chaque maillon du système.

La Commission nationale des droits de l’homme restera vigilante et suivra de près les suites données à nos recommandations.

Les gangs continueront-ils à tout contrôler par ‘remote control’ et se la jouer douce derrière les barreaux ?
Si les gangs continuent à contrôler les prisons « par télécommande », alors c’est que l’État a, quelque part, perdu une partie de son autorité à l’intérieur de ses propres murs. Et cela, c’est inacceptable. Une prison ne peut être dirigée de l’extérieur ni servir de base opérationnelle à des réseaux criminels qui gèrent leurs trafics et imposent la peur depuis leurs cellules.

Cette situation est le fruit d’années de laxisme, de failles dans la chaîne de commandement et d’un manque de contrôle interne. Quand des téléphones, de la drogue et des complicités circulent, cela signifie qu’il existe des brèches humaines, structurelles et organisationnelles qu’il faut combler.

C’est précisément ce que notre rapport de la Fact-Finding Enquiry a souligné. Il recommande d’abord une révision complète du système de contrôle et de sécurité interne, y compris la rotation systématique du personnel, pour éviter toute connivence prolongée avec certains détenus. Ensuite, il insiste sur la mise en place d’un protocole d’évaluation collégiale avant toute intervention majeure, pour éviter les décisions unilatérales et disproportionnées.

Une question d’ordre général : en tant qu’avocate, quel regard jetez-vous sur la violence qui gangrène notre pays ?
En tant qu’avocate et défenseure des droits humains, je dirais que la violence qui gangrène notre société aujourd’hui n’est pas seulement physique, elle est aussi institutionnelle, sociale et parfois silencieuse. Elle est le reflet d’un déséquilibre profond entre l’autorité, la justice et la dignité humaine.

Quand la violence devient un réflexe dans la rue, dans les foyers, dans les écoles ou dans les prisons, c’est le signe d’un système qui a cessé de dialoguer. La violence ne peut pas être combattue par la brutalité. Elle se combat par l’éducation, la prévention, la justice équitable et la responsabilité individuelle et collective. Il faut s’attaquer aux causes, pas seulement aux symptômes : la précarité, l’exclusion, la perte de repères.

Quel serait le mal profond : serait-ce le manque d’éducation, le manque d’actions civiques, l’absence de ‘peers’ ou tout simplement un laisser-aller ?
Le mal profond, à mon sens, est multifactoriel. Ce n’est pas seulement un manque d’éducation ou d’actions civiques — c’est un affaiblissement collectif du sens de la responsabilité et des valeurs humaines. On a, peu à peu, laissé s’installer une culture du « laisser-faire » et du « chacun pour soi », où la peur, la méfiance et l’indifférence ont remplacé l’engagement et le respect.

C’est vrai qu’il y a un manque d’éducation, mais pas seulement au sens scolaire. C’est aussi un manque d’éducation morale, civique et émotionnelle. On a appris à obéir, mais malheureusement pas à comprendre ; à punir, mais rarement à prévenir ; on réagit au lieu d’écouter et de comprendre. Les institutions, les familles, les écoles et parfois même les médias ont perdu ce rôle de transmission des valeurs qui cimentent une société juste et cohérente.

Quand les citoyens ne voient plus d’exemples de probité, de justice ou de courage institutionnel, ils finissent par normaliser la dérive. Et dans ce vide, la violence, la corruption et la désillusion s’installent.
La reconstruction d’un pays ne commence pas dans la peur ou la punition, mais dans la responsabilité et la cohérence morale.

Il y a de plus en plus de violences domestiques. En tant que femme, quelles seraient vos propositions ? Le fostering ne fonctionnerait presque plus…
Le mal profond réside dans le fait que la violence domestique continue d’être perçue comme une affaire privée, alors qu’elle constitue une atteinte directe à la dignité humaine et à l’État de droit. Lorsqu’une femme subit la violence dans le silence, c’est l’ensemble de la société qui échoue à la protéger.

Certes, nous disposons d’un cadre légal à travers la Protection from Domestic Violence Act, qui a quand même été amendée à quatre reprises, avec le dernier amendement en date de 2016, mais celui-ci reste insuffisant si les structures d’accompagnement qui le soutiennent s’essoufflent. Le système de fostering, par exemple, ne répond plus pleinement aux réalités et aux besoins actuels. Il ne s’agit pas seulement d’offrir une protection temporaire à une femme victime, mais de lui permettre de se reconstruire durablement, sur les plans personnel, social et économique.

C’est pourquoi je plaide pour une réforme structurelle à plusieurs niveaux. Il faut d’abord renforcer la prise en charge intégrée des victimes, en assurant une véritable coordination entre la police, les services sociaux, les magistrats et les ONG, afin de garantir un suivi continu et cohérent pour chaque cas. Il est également essentiel de moderniser le système de fostering en créant des maisons d’hébergement plus sécurisées, encadrées par des professionnels capables d’apporter un soutien psychologique et économique, favorisant ainsi l’autonomie des femmes.

Enfin, il est impératif d’agir en amont par l’éducation, la sensibilisation et la responsabilisation, pour inculquer dès le plus jeune âge les valeurs de respect, d’égalité et de non-violence, et ainsi briser le cycle de la maltraitance avant qu’il ne se reproduise. Plus largement, il faut replacer la femme au centre du dispositif, non pas comme une victime, mais comme une citoyenne de plein droit. La violence domestique n’est pas un simple problème social ; c’est un véritable test de civilisation.

Il y a des parricides, des meurtres, des beuveries qui terminent en eau de boudin. Expliquez-nous, en tant que femme et avocate…
Je le réitère : quand on en vient à tuer pour des broutilles, c’est le signe d’un mal bien plus profond qu’un simple accès de colère ; c’est malheureusement le symptôme d’une société qui a perdu ses repères moraux et émotionnels. Nous ne parlons plus ici de criminalité ordinaire, mais d’un effritement du sens même de la vie et du respect de l’autre.

Nous vivons aujourd’hui dans un climat où la frustration, l’impulsivité et la banalisation de la violence sont devenues presque quotidiennes. On réagit avant de réfléchir, on frappe avant de parler. Et derrière cela, il y a un vide d’éducation émotionnelle, de repères familiaux et de valeurs sociales.

En tant que femme et avocate ayant défendu pendant plus d’une douzaine d’années les droits des femmes, j’ai vu de près les ravages de cette spirale : des femmes battues, des enfants traumatisés, des familles détruites pour un mot de trop ou un verre de trop. C’est là que le rôle de l’école, de la justice et de la société civile devient crucial. Il faut réapprendre à gérer les émotions, à communiquer, à se respecter mutuellement, car la violence ne naît pas dans le crime ; elle naît dans le silence, l’humiliation et la perte de sens.

Il est essentiel de réaliser que ce que nous vivons, c’est une forme de dérive collective, une banalisation du sang-froid et de la dignité. Et cela ne se corrigera pas uniquement par des lois ou des prisons, mais par une refondation morale et civique, où chaque citoyen comprend que la vie humaine, quelle qu’elle soit, a une valeur sacrée.
 

 

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