
Le manque de main-d’œuvre à Maurice prend une ampleur alarmante, affectant des secteurs clés de l’économie. Des entreprises comme Phoenix Beverages peinent à assurer une production suffisante en raison d’un manque de personnel. De son côté, le secteur de la construction souffre d’une pénurie criante de travailleurs. Pourtant, le pays compte plus de 30 000 travailleurs étrangers, dont 4 800 sont en situation irrégulière, a révélé le ministre du Travail, Reza Uteem, à l’Assemblée nationale le 7 mars.
Publicité
Dans ce contexte, la dépendance croissante aux travailleurs étrangers apparaît inévitable, d’autant que les Mauriciens semblent réticents à accepter certaines conditions salariales et de travail. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, selon un rapport publié par AXYS, le vendredi 14 mars, intitulé « The Hands That Build Mauritius: Challenges, Opportunities, and the Future of Labour ». Selon le rapport, le marché du travail mauricien est confronté à des défis structurels majeurs qui compromettent la croissance économique et la compétitivité du pays.
Crise aux multiples facettes
L’impact du manque de main-d’œuvre se fait ressentir à plusieurs niveaux. Phoenix Beverages, l’un des principaux fournisseurs de boissons gazeuses et d’eau à Maurice, a dû réduire sa production. Ce qui a affecté l’approvisionnement sur le marché. Le secteur de la construction, déjà fragilisé par une pénurie de matériaux et l’augmentation des coûts, peine à réaliser ses projets dans les délais impartis.
Paradoxalement, alors que Maurice manque de bras, 4 000 travailleurs étrangers sont en situation irrégulière. Parmi eux, 2 000 n’ont pas de permis de travail, leurs employeurs refusant de renouveler leurs contrats. 2 000 autres sont portés disparus, selon les chiffres avancés par Reza Uteem.
Le secteur touristique n’est pas épargné par cette crise. L’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) tire également la sonnette d’alarme. Elle fait ressortir que la pénurie de main-d’œuvre affecte la qualité des services et la compétitivité de l’île en tant que destination touristique.
Pour Daniel Saramandiff, consultant international en tourisme, la situation est critique.
« On parle souvent du manque de main-d’œuvre dans la construction et le textile, mais le tourisme est aussi en grande difficulté. Hôtels, restaurants et activités de loisirs peinent à recruter du personnel qualifié. Cette situation pourrait nuire à l’expérience des visiteurs et à l’image de Maurice à l’international. »
Non seulement l’image du secteur touristique est menacée, mais le service pourrait se trouver en grande difficulté. Avec ce qui s’est produit dans la chaine de production de boissons gazeuses, certains hôtels sont dans la crainte d’un ralentissement alors que nous sommes en période de haute saison. Daniel Saramandiff est catégorique : tous les acteurs concernés doivent se réunir pour une table ronde.
« Il est indispensable qu’il y ait une réunion entre tous les acteurs concernés par ce problème. Le manque de main-d’œuvre était une situation inévitable. Nos jeunes quittent le pays et d’autres ne veulent pas travailler pour le même salaire que l’ancienne génération. Aujourd’hui, il y a plus de formations, que ce soit au niveau de l’école hôtelière, de Vatel et de l’institut Escoffier. Ce problème n’existe pas seulement à Maurice. Il est mondial. Il est temps de voir au-delà des frontières et de trouver les cadres adaptés au contexte mauricien. »
Le rapport d’AXYS : un diagnostic alarmant sur l’avenir du travail
Le vendredi 14 mars, AXYS a publié un rapport qui met en lumière quatre défis majeurs qui menacent l’équilibre du marché du travail mauricien, dont une population active en déclin.
Selon le rapport, d’ici à 2038, la population active devrait diminuer de 11,7 %. Et elle baissera de 36,8 % d’ici à 2063, accentuant la pression sur l’économie et les finances publiques.
« Ce rapport vise à analyser les mutations du marché du travail à Maurice et à identifier les leviers d’action pour renforcer la compétitivité du pays. Nous mettons en lumière les défis actuels et nous proposons des solutions concrètes. Nous souhaitons fournir aux décideurs et aux entreprises des clés de lecture essentielles pour anticiper l’avenir du travail », avance Sanjay Goolab, Managing Director, Securities and Execution Desk chez AXYS.
Le rapport fait aussi mention que plus de 182 000 Mauriciens vivent à l’étranger, dont une proportion importante est en âge de travailler. Ce phénomène est en grande partie lié aux écarts salariaux et aux perspectives professionnelles limitées. Il réduit la disponibilité des compétences essentielles à la croissance économique.
Le rapport met aussi en avant les limites du système éducatif. Seulement 28 % à 35 % des élèves du primaire achèvent leurs études secondaires. Ce qui réduit l’accès aux formations qualifiantes et accentue le déséquilibre entre les compétences disponibles et les besoins du marché. En 2010, 17 553 élèves étaient inscrits en Standard I, mais uniquement 6 141 ont obtenu leur Higher School Certificate en 2023. Ce qui illustre l’ampleur du décrochage scolaire et ses conséquences sur l’employabilité.
Face à ces défis, AXYS recommande plusieurs mesures stratégiques. La modernisation du secteur primaire à travers l’automatisation et l’adoption de nouvelles technologies pour améliorer la productivité et pour réduire la dépendance sur une main-d’œuvre peu qualifiée. D’autre part, l’ajustement des rémunérations aux standards internationaux. Et la création d’opportunités de développement professionnel contribuerait à limiter l’exode des diplômés. Ces mesures renforceront l’attractivité du marché local.
AXYS souligne également l’importance d’une réforme du système éducatif en vue de réduire le taux d’abandon scolaire. La compagnie propose de renforcer la formation technique et professionnelle. Une adéquation plus efficace entre formation et besoins économiques est indispensable pour préparer la future génération aux mutations du marché du travail.
« Maurice doit adapter son marché du travail aux réalités économiques et technologiques. Investir dans l’éducation, améliorer les perspectives d’emploi et moderniser les secteurs clés sont des impératifs pour garantir une main-d’œuvre qualifiée et renforcer la compétitivité du pays », explique Navnit Seeburrun, Investment Analyst chez AXYS.
Avenir incertain sans réformes structurelles
Le constat est clair : sans une refonte en profondeur des politiques par rapport à l’emploi, à l’éducation et à la formation, Maurice continuera à subir une pénurie de main-d’œuvre et à dépendre des travailleurs étrangers.
Selon Reaz Chuttoo, syndicaliste et porte-parole de la confédération des travailleurs du secteur privé, il est temps d’apporter des réformes et de mettre en place une synergie entre le ministère du Travail et les parties prenantes.
« On ne peut pas demander aux jeunes d’accepter les mêmes conditions de travail que leurs aînés. Les employeurs doivent s’adapter.
Nous devons être réalistes dans nos démarches, le nombre de travailleurs étrangers en situation irrégulière, sans oublier les abus de certains employeurs, ne facilitent nullement la situation.
Nous avons besoin de la main-d’œuvre étrangère. Dans un proche avenir, il va falloir se tourner vers l’immigration. Je ne pense pas que ce sera un problème. »
Danile Saramandiff abonde dans le même sens. Pour lui, il est temps de voir plus loin, comme les grands pays qui dépendent de l’industrie touristique. Certes, il faut de la main-d’œuvre, mais il est essentiel aussi de mettre le Mauricien au-devant des produits. « Le Mauricien doit être au-devant de la scène et il peut être secondé par des étrangers. C’est ce qui se passe à Dubaï.
Personnellement je pense que Maurice dispose des outils nécessaires pour aller dans cette direction. Il suffit d’avoir un peu de volonté », fait-il ressortir.
Alors que la compétition internationale pour les talents s’intensifie, Maurice doit impérativement repenser son modèle pour offrir à ses travailleurs, locaux et étrangers, des conditions attractives et durables. De sources proches du dossier, nous apprenons qu’une rencontre a eu lieu entre le ministre de tutelle et certains acteurs. Toutefois comme nous le dit Daniel Saramandiff, il faut que toutes les parties prenantes participent aux partages d’idées pour mieux cerner le problème. L’AHRIM prépare des propositions en vue du prochain Budget.
REZA UTEEM
Contacté par téléphone, le ministre du Travail a abordé le problème des travailleurs en situation irrégulière. Selon le ministre, des actions seront prises dans les jours à venir, mais on n’est pas vraiment sorti de l’auberge.
« Traquer et déporter les travailleurs étrangers en situation irrégulière n’est pas réellement la solution. Jusqu’ici, les autorités ont agi envers les employés et non les employeurs, donc il est grand temps que cette situation change. »
Le ministre dit qu’il est en contact permanent avec la MEXA pour un suivi des employeurs qui veulent renouveler le permis de leurs travailleurs. Il faut savoir que 3 000 travailleurs étrangers ont été rapatriés dans leurs pays après leurs arrestations. Le ministère compte aussi surveiller les étudiants étrangers en situation irrégulière.
« Selon les derniers chiffres, quelque 800 étudiants étrangers se trouvent dans le pays et certains travaillent illégalement. Nous allons agir », dit Reza Uteem.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !