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Manisha Dookhony, économiste : « Si on impose un ‘lockdown’, je crains le pire pour l’avenir » 

La situation critique de la Covid-19 à Maurice et le nombre de décès enregistrés au quotidien relancent le débat autour de la nécessité d’un confinement. Est-ce la solution miracle ? L’économiste, Manisha Dookhony, donne son avis.

Deux écoles de pensée s’affrontent depuis quelque temps. D’un côté, les membres de l’opposition et des spécialistes réclament un confinement. De l’autre, le secteur privé croit fermement que ce n’est pas la solution. Où vous situez-vous ?

D’un point de vue économique, le principe de réinstaurer un lockdown est, selon moi, un processus qui va largement freiner la reprise des affaires. Je comprends, en même-temps, la préoccupation qui prévaut actuellement. Il faudrait peut-être envisager un semi-lockdown, avec des mesures, telles que le télétravail. Ceci dit, j’observe que le work from home n’est pas en train d’être vraiment appliqué. Étant donné que cela ne se fait pas au niveau des ministères, le secteur privé ne suit pas le pas non plus. 

Pour revenir à la proposition de décréter un nouveau lockdown, il ne faut pas oublier que le pays en a déjà connu deux. Cela a artificiellement permis de garder la maladie sous contrôle. De plus, malgré le deuxième confinement cette année-ci, le virus a continué à circuler dans le pays. Je reconnais que fermer le pays nous a aidés à stopper la propagation, mais cela n’a pas été le cas cette année. 

Après la levée du dernier confinement, nous avons témoigné d’un relâchement au niveau de la population. Les protocoles qui avaient été mis en place ont difficilement pu être respectés. Prenez l’exemple des mariages, où seulement 50 individus étaient autorisés. Dans les cas où les célébrations s’étendaient sur trois jours, c’est donc avec quelque 150 personnes que les nouveaux mariés et leurs proches ont été en contact. Il ne faut pas aussi oublier que les Mauriciens aiment bien le contact humain. 

Tout cela m’amène à dire qu’aujourd’hui, le débat ne doit pas être autour de refermer le pays, mais plutôt sur l’importance de mener une bonne campagne de sensibilisation. Je me souviens qu’à un moment, les autorités avaient axé leur communication autour de la peur. Mais ce temps est actuellement révolu, car il faut à présent engager les Mauriciens dans le combat contre cette pandémie. 

Le Premier ministre a, dans son message à la nation, annoncé de nouvelles mesures de restriction. Mais, il y aussi certaines mesures, telles que la distanciation sociale dans les autobus, ainsi que la réintroduction de l’accès aux supermarchés par ordre alphabétique, qui sont considérées comme des dispositions urgentes par plus d’un. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord sur le fait qu’on ne peut continuer à autoriser les gens à s’asseoir l’un à côté de l’autre dans les autobus. L’inclusion de plus d’autobus sur les lignes, ainsi que l’introduction de contract buses pour permettre au public de se déplacer quotidiennement, tout en évitant d’être en contact avec autrui, sont des solutions viables. 

Je suis aussi d’accord sur le fait que l’accès aux supermarchés par ordre alphabétique avait aussi marché. Mais il n’y a pas que cela. Les propriétaires des supermarchés ne sont pas obligés d’attendre que les autorités viennent imposer des mesures. Ils peuvent d’eux-mêmes introduire des actions pouvant favoriser la distanciation sociale, en effectuant un tri des clients, par exemple. 

Le commerce en ligne, qui était devenu une pratique courante lors du confinement, peut aussi être relancé. Je pense aussi qu’il devient de plus en plus nécessaire que les autorités proposent des alternatives aux personnes qui n’ont pas les conditions nécessaires pour bien effectuer l’auto-isolement. Il faut, pour cela, bien cibler les cas.

J’observe que le ‘work from home’ n’est pas en train d’être vraiment appliqué. Étant donné que cela ne se fait pas au niveau des ministères, le secteur privé ne suit pas le pas non plus "

Le gouvernement n’a, jusqu’ici, rien imposé concernant les supermarchés et les autobus, qui sont considérés comme des sources de propagation du virus. Cela pousse certains à penser qu’il est l’otage des opérateurs économiques. Êtes-vous d’accord avec cela ?

Je dois reconnaître qu’il y a des trucs étranges concernant les restrictions sanitaires. Prenons l’exemple des casinos qui sont des endroits clos, où les gens sont en train d’avoir accès sans réel contrôle. Ce qui fait penser qu’il y a une politique de deux poids deux mesures. Mais ceci dit, refermer notre économie n’est pas la solution à mon sens. Si on impose un lockdown, je crains le pire pour l’avenir. 

Mais Maurice ne gagnerait pas à s’inspirer des autres pays qui ont décidé d’imposer des lockdowns ciblés. Certains États ont, par exemple, confiné les non vaccinés, les personnes âgées ou ceux souffrant de comorbidités…

Ce sont des pistes qui peuvent effectivement être explorées par nos décideurs. Les statistiques à travers le monde ont, en effet, démontré que les vaccinés sont moins atteints et que leurs chances de survie sont beaucoup plus grandes. 

La Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition a révélé une lettre adressée par les autorités mauriciennes pour avoir en urgence de l’aide médicale auprès de l’île de la Réunion. Est-ce que cela vous interpelle ?

J’ai, en effet, lu cette lettre, qui comprend un élément d’urgence. Si on met tout cela en perspective, cela fait plus d’un an que nous sommes en train d’être frappés par cette pandémie. Et qu’est-ce qui a été fait jusqu’ici en termes de preparedness plan ? Il y a des équipements qui ont été achetés et les procédures d’achat ont fait l’objet d’enquête. Il y a également eu un slogan qui a mis en avant le fait que la vaccination était LA solution. Peut-être qu’on pensait qu’en injectant une grande partie de la population, cela nous aurait évité une nouvelle vague. Cela a peut-être été un mauvais calcul. Ce qui fait qu’on se retrouve dans l’urgence de trouver un stock d’oxygène. La vérité, c’est qu’avec le nombre de décès enregistrés au quotidien, la situation est vraiment critique. 

Lors de la semaine écoulée, des syndicalistes du secteur de la santé ont déploré le fait qu’il n’y ait pas eu assez de formation pour le personnel soignant avec, pour résultat, une pénurie sur le marché. Cela est-il une faute grave des autorités ?

La formation est, en effet, une très bonne chose. Mais, concernant le secteur de la santé, je ne crois pas que la solution réside uniquement au niveau de la formation. Il y a un véritable problème concernant les infrastructures. Regardez les salles d’attente qui sont des sources de propagation du virus. Tout ce problème d’organisation et d’infrastructures témoigne d’un problème de gestion. Il est grand temps que les autorités viennent de l’avant avec une formule de crowd management et tout ce qui tourne autour du preparedness plan.

 

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