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L’IBA (Amendment) Act promulguée malgré les contestations : l’absence de bonnes pratiques interpelle

Dr Roukaya Kasenally, Senior Lecturer Media and Political Systems. Malenn Oodiah, sociologue et observateur. Lovania Pertab, présidente de Transparency Mauritius.

Les amendements proposés à l’Independent Broadcasting Authority (IBA) Act ont été adoptés en début de semaine bien qu’ils aient déclenché une vague de protestation. Les nombreux contestataires demandaient que des discussions soient menées avec tous les acteurs concernés. Or, le président de la République a approuvé la promulgation du texte de loi dès le lendemain du vote au Parlement. L’absence de bonnes pratiques dans une démocratie mature interpelle. 

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Le pays a été témoin, cette semaine, de vives contestations contre les amendements proposés à l’Independent Broadcasting Authority (IBA) Act. Nombreux sont ceux qui sont montés au créneau pour dénoncer « une volonté du gouvernement de museler les radios privées » en introduisant des pénalités administratives, en réduisant la durée de validité des licences et en bafouant le principe de la protection des sources d’information, inscrit dans la déontologie journalistique. Malgré tout, ces amendements ont été adoptés le mardi 30 novembre à l’Assemblée nationale et le président Pradeep Roopun a donné son consentement à la promulgation du texte de loi dès le lendemain, mercredi 1er décembre. 

Les amendements à l’IBA Act s’inscrivent dans une stratégie bien réfléchie et calculée de la mécanique Orange - pour ne pas dire l’Orange mécanique - de Pravind Jugnauth et ses acolytes avec l’objectif d’installer une autocratie»

Les amendements ont ainsi été publiés dans la Government Gazette of Mauritius le jour même. Pourquoi une telle précipitation alors que les contestataires réclamaient l’ouverture d’un dialogue ? Pourquoi la tenue de manifestations pacifiques a-t-elle débouché sur l’arrestation de Me Rama Valayden et de Raouf Khodabaccus, deux figures du mouvement de résistance. Des défenseurs de la liberté d’expression et de la démocratie se posent de multiples questions. 

« Tyrannie du nombre » 

Le sociologue et observateur politique Malenn Oodiah en fait partie. « Le 30 novembre au Parlement, la tyrannie du nombre a écrit une page noire de l’histoire de notre démocratie. Les coupables sont celles et ceux qui ont vendu leur conscience à l’argent-diable et ses variants : ‘bout’, contrats et privilèges attachés à leurs statuts de députés, de PPS, de ministres ». Il met l’accent sur le fait que ceux qui ont voté en faveur de ces amendements ne représentent pas la population mauricienne dans son ensemble. Il évoque aussi la solidarité et l’unité dont a fait preuve « l’autre île Maurice » pour défendre la démocratie et ce qui va avec, c’est-à-dire les libertés fondamentales que sont le droit à l’information, la liberté d’expression et la liberté d’opinion.

Malenn Oodiah salue, par ailleurs, le courage des radios, et notamment « l’excellente initiative » de Radio Plus et Top FM d’avoir réalisé une émission conjointe sur le sujet. Il salue aussi les initiatives de la Plateforme pour la liberté d’expression animée par Dev Sunnasy et d’autres organisations qui ont choisi le camp de la démocratie et qui restent décidées à se battre. « Les amendements à l’IBA Act s’inscrivent dans une stratégie bien réfléchie et calculée de la mécanique Orange - pour ne pas dire l’Orange mécanique - de Pravind Jugnauth et ses acolytes avec l’objectif d’installer une autocratie », s’indigne-t-il. 

Le sociologue fait mention d’un billet qu’il a publié le 24 novembre dernier, intitulé « PKJ ça suffit ». Malenn Oodiah cite son texte : « Votre égotisme, votre suffisance, votre arrogance, votre aveuglement depuis mars 2020 a conduit le pays là où il est aujourd’hui. Et le pire est devant nous ». Pour lui, Pravind Jugnauth n’a pas les compétences nécessaires pour diriger le pays : « Vous n’avez ni l’étoffe ni le courage d’un chef. Chaque jour, chaque semaine qui passe confirme cela. Vous n’êtes pas à la hauteur des exigences de l’heure. Toute personne dotée d’un minimum de bon sens arrive à cette conclusion. » Il ajoute aujourd’hui : « Vous êtes tout simplement un chef de clan dont la priorité est son clan. » 

Dérive autocratique

Malenn Oodiah se désole de la sourde oreille qu’a opposée le Premier ministre à toutes les critiques et réserves portant sur l’IBA (Amendment) Bill. « La répression que mijote le gouvernement, avec l’arrestation des manifestants, ne marchera pas ! Oui, la résistance est en train de se mettre en place sur tous les fronts. Partis politiques, plateformes de la société civile, citoyens engagés sont conscients que l’unité est la condition pour faire reculer le gouvernement et sauver notre socle démocratique », fait-il ressortir. Il ajoute que « le sombre dessein autocratique est en train de mieux fracasser l’image de Maurice sur le plan international ».

Le Dr Roukaya Kasenally, Senior Lecturer en Media and Political Systems à l’université de Maurice, affirme que ce qu’il se passe actuellement démontre un « désintéressement total » de la culture démocratique, qui est axée sur le débat. « Dans une démocratie mature, il y a des échanges d’idées et il y a des débats. Dans ce cas précis, on voit une fermeture, on ne donne pas la possibilité d’échanger les idées. C’est ‘a one-way approach’ où l’on a occulté les débats. Cela n’est pas le propre d’une démocratie mais celui d’une forme d’autocratie où les décisions sont unilatérales et viennent d’en haut. » 

Dans toute démocratie, il y a la liberté d’expression ainsi que la liberté de protester et de manifester. Si on arrête des personnes qui manifestent, cela devient inquiétant car on commence à toucher aux droits d’expression et de mouvement»

Dans une démocratie, poursuit-elle, lorsqu’on fait des propositions, on est ouvert aux propositions des autres. « L’adoption des amendements à l’IBA Act démontre une façon délibérée de la majorité gouvernementale d’approuver quelque chose qui était déjà décidé et défini. C’est cela la tyrannie de la majorité », explique-t-elle. Pour Roukaya Kasenally, la culture démocratique a été bafouée. 

L’universitaire déplore que les nombreuses demandes d’ouvrir des discussions sur le sujet ont été ignorées. « C’est dommage. On observe une accélération de la dérive vers une culture autocratique voire dictatoriale. Une personne qui détient la majorité décide, et quid de la liberté d’expression ? Dans une démocratie, le droit à la critique existe et les dirigeants doivent accepter cela. »

Contrôle et répression

Roukaya Kasenally revient aussi sur les arrestations de manifestants. « Dans toute démocratie, il y a la liberté d’expression ainsi que la liberté de protester et de manifester. Si on arrête des personnes qui manifestent, cela devient inquiétant car on commence à toucher aux droits d’expression et de mouvement. Cela démontre une mauvaise intention de punir, de séquestrer et de contrôler. » 

L’experte en science des médias rappelle que la protection des sources est importante pour les journalistes. « C’est un peu la pierre angulaire » du métier. Selon elle, désormais, les gens hésiteront beaucoup à donner des informations aux journalistes, par peur d’être inquiétés. Elle appelle donc à réagir. « Les citoyens doivent être résilients et faire barrage. Ils ont ce pouvoir de fight back. C’est primordial car si dans un moment pareil, on est défaitiste, c’est fini. » Les médias aussi doivent se montrer solidaires. « Pour faire barrage contre toutes les formes d’intimidation et de représailles. Cette solidarité peut aider à sauvegarder la liberté d’expression », avance-t-elle. 

Roukaya Kasenally se demande si la prochaine étape du gouvernement ne sera pas de fermer Internet. « On a voulu filtrer les contenus sur les réseaux sociaux mais cette proposition s’est retrouvée au placard. On a cependant eu la nouvelle loi sur la cybercriminalité et d’autres lois auparavant. C’est une approche pour la consolidation d’un système autocratique et dictatoriale. Après l’IBA Act, est-ce qu’on va fermer Internet pour museler les personnes ? », s’interroge-t-elle. Ce serait « une suite logique à ce qui se passe et au désir de tout vouloir contrôler ». 

Enfin, la citoyenne s’inquiète pour l’image de Maurice qui, dit-elle, en prend un sale coup à l’international, tout en soulignant que les indicateurs pourraient le démontrer prochainement. « Si on continue sur cette tendance autocratique, cela va davantage écorner l’image de Maurice. Ce sera le début de la fin ou la fin de la fin », se désole-t-elle. 

Opacité

Lovania Pertab, présidente de Transparency Mauritius, indique que l’organisme a déjà attiré l’attention « de qui de droit » sur les divers aspects « antidémocratiques » de l’IBA (Amendment) Act. « La nouvelle législation bafoue les principes du whistleblowing, qui se fait dans l’anonymat. Maintenant, les gens vont avoir peur de dénoncer la corruption et d’autres maldonnes parce qu’ils risquent de perdre leur anonymat. La section 22 de la loi est arbitraire car elle impose beaucoup de restrictions pour l’octroi des licences aux radios privées. En plus, cette loi donne à une autorité administrative la capacité d’imposer des sanctions et des amendes. Une fonction réservée généralement à une cour de justice. La nomination des membres du Review Panel par le ministre de tutelle va, encore une fois, à l’encontre de la transparence car elle va sûrement donner lieu au népotisme. Tout cela va résulter en un ‘State capture’ qui sera nocif à l’espace démocratique », énumère-t-elle. 

Comme ceux qui militent contre ces amendements, la présidente de Transparency Mauritius pense que « cette législation n’a pas été un exercice démocratique car les voix discordantes n’ont pas été écoutées. Toute législation doit être le reflet de ce qui se passe dans la société et doit être juste, avec comme objectif d’étendre l’espace démocratique à Maurice ». Elle craint d’ailleurs un effet néfaste à venir dans les « rankings » des institutions internationales.

 

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