Le Budget 2022-23 sera présenté ce mardi 7 juin. Nous donnons la parole à trois anciens ministres des Finances. Ils dévoilent ce que Renganaden Padayachy devra impérativement faire et éviter pour son troisième Grand oral.
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Xavier-Luc Duval : « Répondre aux besoins urgents de la population »
Faut-il s’attendre à un Budget populiste ou austère ?
Ce n’est pas une question d’être populiste ou austère. Ce Budget doit répondre aux besoins urgents de la population, plus précisément de ceux au bas de l’échelle et de la classe moyenne. On ne viendra pas réinventer la roue. Tous les pays, à travers le monde, font des efforts.
Malgré la réouverture des frontières, le tissu économique reste fragile. La guerre en Ukraine est venue compliquer les choses, occasionnant une flambée des prix des produits alimentaires et pétroliers. Comment concilier la nécessité de redynamiser l’économie et celle de rétablir le pouvoir d’achat ?
Le mythe du MSM comme étant le garant de la croissance économique a éclaté en 2019. À l’époque, Pravind Jugnauth était lui-même le ministre des Finances. Nous avons eu une croissance de 3 % au cours de cette année, soit la plus faible pendant les vingt années précédentes. Celle-ci était accompagnée – et là c’est inédit – par une baisse du nombre d’arrivées et de recettes touristiques.
De même, la forte dévaluation de la roupie – qui occasionne l’appauvrissement de la population – date de 2015. Le problème économique était déjà là ! Certes, la pandémie est venue l’exacerber.
Pour revenir à votre question, il y a deux choses à faire. D’abord, dans l’immédiat, il faudra protéger les plus faibles. En deuxième lieu, dans le moyen terme, il faudra suivre les recommandations de la Banque mondiale. Celle-ci a déjà donné les recettes pour soigner les maux du pays : miser sur la productivité, jouer la carte de l’innovation, rendre plus efficaces les services publics, entre autres. Ce sont des mesures qui ne sont pas faciles à mettre en place, mais la formule est là.
Or, depuis 2015, le gouvernement a mis de côté les réformes difficiles. Il a opté pour des solutions populistes et faciles, soit tout régler par des subventions. Pour cela, il a profité de la manne de la Banque de Maurice avec les retombées que nous connaissons aujourd’hui.
Est-ce que le ministre des Finances disposera de la marge nécessaire en termes de recettes fiscales pour financer un Budget audacieux ?
La question de marge de manœuvre est un faux débat. Le ministre des Finances dispose de deux lignes budgétaires : les dépenses courantes et les dépenses capitales. Dans une année difficile, il est possible de réduire les dépenses capitales pour privilégier les dépenses courantes. Il y a donc toujours une marge.
De plus, il y a les fortes sommes dans les fonds spéciaux – quoique nous n’ayons pas plus de détails dessus – et au sein de la Mauritius Investment Corporation (MIC). Ce sont autant de possibilités de financement. À moins que le gouvernement veuille garder cette manne comme trésor de guerre pour l’année des élections.
Certains observateurs avancent que le gouvernement doit repousser à plus tard certains gros projets budgétivores. Partagez-vous cet avis ?
Il existe plusieurs types de projets capitaux. Ceux qui sont essentiels pour le développement économique, comme mieux équiper le port par exemple. Ils ramènent des dividendes économiques pour le pays. Ces projets ne doivent pas être stoppés.
Par contre, les projets de prestige, comme celui du stade de Côte-d’Or, ou encore les projets mal conçus du type Safe City doivent être mis au panier. De plus, quand ces projets sont entrepris par des sociétés étrangères, ils n’apportent ni croissance ni dividende économique. Malheureusement, ce sont ces types de projets que le gouvernement privilégie.
Qu’en est-il de la dette publique qui est calculée à 88,6 % du PIB au premier trimestre ? Est-ce que le gouvernement peut se permettre d’emprunter davantage pour financer son « Capital Budget » (Budget de développement) ?
Le débat sur la dette publique est très malsain parce qu’on ne connaît plus le montant de la dette réelle. D’après le dernier rapport de l’audit, le pays a dépensé Rs 102 milliards en service de la dette pour la dernière année financière. C’est dix fois plus que le budget alloué au ministère de la Santé. C’est énorme !
Il est clair que les Mauriciens auront à faire d’énormes sacrifices pendant les années à venir pour le repaiement de cette dette. Il y a eu énormément de gaspillage et de corruption.
Ceci dit, dans la situation économique actuelle, aucun gouvernement ne peut se permettre d’avoir un budget équilibré. Que cela ne devienne pas une occasion pour gaspiller de l’argent.
L’année dernière, le ministre des Finances avait parlé de l’économie de la vie. Aujourd’hui, avec les problématiques d’insécurité alimentaire et d’insécurité énergétique, il est clair qu’on doit accélérer la transition vers ce modèle. Comment ce Budget peut-il permettre cette transition ?
La sécurité alimentaire est une question aussi de changement climatique. Je suis pour un Budget qui encourage les Mauriciens à s’adapter au changement climatique. Quand on connaît les faits, surtout que Maurice est un très faible pollueur, dépenser une fortune dans les énergies renouvelables n’a pas de sens.
Maurice subit tout simplement les effets du changement climatique imposés par d’autres pays et il nous faudra apprendre à nous adapter. Maurice et Rodrigues devront miser sur une agriculture protégée qui est à l’abri des aléas climatiques.
Pour ce qui est de l’énergie, je ne vois pas, à part les ennuis avec Terragen, un grand problème d’insécurité à ce niveau.
Doit-on s’attendre à des surprises pour le troisième Budget de Renganaden Padayachy ?
Il est lui-même une surprise.
Dr Vasant Bunwaree : « Renganaden Padayachy est sur une corde raide »
Faut-il s’attendre à un Budget populiste ou austère ?
Jamais on ne s’est retrouvé dans une telle situation économique, financière et budgétaire. N’importe quel ministre des Finances se serait vu bloqué même s’il souhaite faire un Budget valable pour ne pas bouleverser davantage la population.
Ceci dit, il est important de souligner que la situation économique du pays était déjà mauvaise avant même la pandémie et la guerre en Ukraine. Idem pour la dette publique qui était déjà assez élevée, forçant le gouvernement à avoir recours aux réserves de la Banque de Maurice.
Malgré la réouverture des frontières, le tissu économique reste fragile. La guerre en Ukraine est venue compliquer les choses, occasionnant une flambée des prix des produits alimentaires et pétroliers. Comment concilier la nécessité de redynamiser l’économie et celle de rétablir le pouvoir d’achat ?
Sur le plan économique, tout n’est pas perdu. Il y a toujours des opportunités en temps de crise. Le ministre des Finances et ses techniciens doivent voir comment capitaliser sur ces aspects positifs. Je ne crois pas que le ministre des Finances va bloquer tous les projets, même s’il est sur une corde raide. Il faut des projets de développement productifs pour éviter que le chômage ne grimpe et pour aider la croissance.
S’agissant du pouvoir d’achat, il faudra proposer des mesures, peut-être sous forme de hausse de la pension, d’augmentation du salaire minimum ou d’autres mesures pour aider les Mauriciens à joindre les deux bouts. Si on les soulage, ils vont consommer. Ce qui permettra de booster l’économie.
Le ministre des Finances devra donc jongler avec les chiffres correctement pour proposer des projets équilibrés.
Est-ce que le ministre des Finances disposera de la marge nécessaire en termes de recettes fiscales pour financer un Budget audacieux ?
Les revenus de l’État grimpent quand les prix de l’essence, du diesel ou encore des aliments sont en hausse, par le biais de la TVA notamment. Si le ministre des Finances propose des mesures « labous dou », les gens vont consommer. Ce qui sera en partie bénéfique à l’économie.
De même, par sa relation avec diverses institutions et pays, notamment l’Inde, je ne serais pas étonné que le gouvernement bénéficie d’un support direct de la Grande péninsule. La situation de Maurice est tellement mauvaise qu’il a besoin d’un coup de main des autres pays. Mais sachez que ces pays ont toujours quelque chose à y gagner en retour.
Certains observateurs avancent que le gouvernement doit repousser à plus tard certains gros projets budgétivores. Partagez-vous cet avis ?
Le Budget est à deux volets. Le premier volet comporte le budget annuel avec les projets qui ont déjà débuté et doivent se poursuivre. Le deuxième volet est le discours du Budget où Renganaden Padayachy jouera sur les mots concernant les développements à venir. Mais la population n’est pas dupe, entre ce qui est réalisable et les effets d’annonce.
Déjà, on a perdu trop de temps par rapport à l’émergence de nouvelles industries telles que l’économie bleue, l’énergie solaire, entre autres.
Qu’en est-il de la dette publique qui est calculée à 88,6 % du PIB au premier trimestre ? Est-ce que le gouvernement peut se permettre d’emprunter davantage pour financer son « Capital Budget » (Budget de développement) ?
La dette pourrait franchir la barre des 100 % cette année. La situation est très mauvaise. Renganaden Padayachy ne dispose pas de beaucoup de marge de manœuvre pour faire des développements, à moins que ceux-ci apportent des revenus immédiatement. J’en doute. Ce serait aussi très mal vu qu’il contracte des dettes pour « fer labous dou ». Sa seule planche de salut serait d’obtenir des dons.
L’année dernière, le ministre des Finances avait parlé de l’économie de la vie. Aujourd’hui, avec les problématiques d’insécurité alimentaire et d’insécurité énergétique, il est clair qu’on doit accélérer la transition vers ce modèle. Comment ce Budget peut-il permettre cette transition ?
Ce sont de belles paroles. Mais qu’a-t-il réalisé à ce niveau en un an ? Bien sûr, il dira qu’il y a eu la pandémie et la guerre en Ukraine. Mais l’heure n’est pas à la sémantique. Il faut avoir la tête bien sur les épaules et voir tout ce qu’il faut faire pour tirer le pays de la crise. Cette année-ci, ce n’est pas l’économie de la vie dont il faut parler, mais l’économie de la lutte contre la souffrance.
Doit-on s’attendre à des surprises pour le troisième Budget de Renganaden Padayachy ?
Des surprises non, mais il y aura des mesures pour « fer labous dou » ici et là. S’il ne le fait pas, il faudra s’attendre à une « révolution ». Le petit peuple l’attend au tournant.
Rundheersing Bheenick : « Présenter un Budget populiste serait la pire des bêtises »
Faut-il s’attendre à un Budget populiste ou austère ?
Ces qualificatifs sont quelque peu réducteurs pour coller à un exercice complexe tel qu’un Budget national. Dans la conjoncture, présenter un Budget populiste serait la pire des bêtises, même pour un gouvernement comme le nôtre qui est passé maître dans le bêtisier national des gaffes et gabegies en tous genres.
Malgré la réouverture des frontières, le tissu économique reste fragile. La guerre en Ukraine est venue compliquer les choses, occasionnant une flambée des prix des produits alimentaires et pétroliers. Comment concilier la nécessité de redynamiser l’économie et celle de rétablir le pouvoir d’achat ?
C’est le défi qui se pose, pas uniquement à Maurice, mais à tous les pays sur notre planète. Cependant, on ferait une grave erreur si on tentait de faire ces deux crises et la pandémie porter la casquette pour tous les maux qui affligent la nation mauricienne. Commençons par reconnaître nos propres torts et remédier aux dérives avant de tenter cette conciliation dont vous parlez.
Est-ce que le ministre des Finances disposera de la marge nécessaire en termes de recettes fiscales pour financer un Budget audacieux ?
Il m’arrive de m’interroger quelques fois si vraiment il y a un ministre des Finances. Nous avons eu des magiciens et beaux parleurs qui nous ont gratifiés de Budgets — d’ailleurs très applaudis au passage — qui se sont avérés de véritables bombes à retardement dont nous vivons les résultats au quotidien.
Padayachy n’a, malheureusement, jamais été à la hauteur bien que le peuple se soit laissé berner par ses largesses budgétaires alors même que le ministre-sapeur plantait des explosifs à gauche et à droite pour miner la productivité et la compétitivité nationale.
S’il ne dispose pas du fiscal space, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même et à ses prédécesseurs immédiats pour avoir négligé de faire ce qu’il fallait depuis 2015.
Quant au « budget audacieux », il a transformé certaines couches de notre population, et certaines tranches d’âges en particulier, en de véritables chiens de Pavlov qui s’attendent à encore des bonbons quand ils entendent sonner la cloche qui annonce le Budget qui arrive.
Certains observateurs avancent que le gouvernement doit repousser à plus tard certains gros projets budgétivores. Partagez-vous cet avis ?
Le gouvernement n’aurait jamais dû s’aventurer dans des projets pharaoniques dont la viabilité n’avait pas été examinée de près avant de s’engager sur cette voie suicidaire. Si maintenant, on essaie de rationnaliser l’effort d’investissement dans le budget capital, eh bien, je dirais un bravo mitigé. Car il n’est jamais trop tard pour se remettre sur la bonne voie. Mais les boulets que nous traînerons pendant longtemps encore rendent la tâche difficile.
Qu’en est-il de la dette publique qui est calculée à 88,6 % du PIB au premier trimestre ? Est-ce que le gouvernement peut se permettre d’emprunter davantage pour financer son « Capital Budget » (Budget de développement) ?
Un ministre des Finances qui se respecte doit regarder le tout comme un seul problème, pas uniquement le budget capital vis-à-vis du budget récurrent, mais le Budget et son financement dans son ensemble. C’est pourquoi on parle de la macroéconomie comme un sine qua non pour un ministre des Finances de nos jours.
Notre endettement public, dépassant 100 % du PIB pour la première fois pour notre État-nation, est une honte nationale à mettre carrément sur la tête de nos gouvernants. Les chiffres n’inspirent plus confiance et on craint que la dette nationale soit encore plus élevée en réalité, ce qui nous placerait dans le quatuor de tête parmi les pays les plus endettés en Afrique.
Notre capacité d’emprunter davantage est sévèrement compromise.
L’année dernière, le ministre des Finances avait parlé de l’économie de la vie. Aujourd’hui, avec les problématiques d’insécurité alimentaire et d’insécurité énergétique, il est clair qu’on doit accélérer la transition vers ce modèle. Comment ce Budget peut-il permettre cette transition ?
Je ne voudrais pas suivre M. Padayachy dans ce débat qui, à mon avis, ne répond pas à la problématique du jour. Ce qu’il nous faut, c’est de ne surtout pas se tromper sur les enjeux. Parlons le langage de la vérité et commençons par la vérité des chiffres. Prônons la transparence. Assainissons les finances publiques. Apurons la dette nationale. Redressons les états financiers de toutes les entreprises qui tombent sous le joug de l’État, à commencer par la Banque centrale.
Redonnons l’espoir à un public qui s’est résigné à des lendemains sombres… dans une société désorientée, une économie en chute libre, une police déchaînée, un Parlement muselé et un gouvernement nettement dépassé.
Parler de dynamiser l’économie pour l’instant est quelque peu prématuré. Il faut en premier lieu arrêter le déclin, mettre fin aux gaspillages, aux vols et aux pillages des biens publics et il faut cesser de mettre l’intérêt national au dernier plan.
Doit-on s’attendre à des surprises pour le troisième Budget de Renganaden Padayachy ?
J’ai vu tellement de Budgets passer que je peux vous affirmer que l’effet de surprise et le verbiage qu’utilisent bien souvent les ministres des Finances pour cacher leur jeu sont des choses qui ne tiennent pas dans la durée de toute l’année financière. Soyons sérieux. Parlons substance.
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