Une nouvelle décennie commence. Sans aucun doute, Maurice doit pouvoir s’adapter tant sur le plan local que mondial. De 2020 à 2030, quels sont les quatre défis prioritaires pour Maurice ? Nous avons donné la parole à deux observateurs.
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Quoi que racontent les prophètes de malheur, la décennie qui s’achève a été marquée par de grands progrès dans le monde et dans notre pays. Des progrès économiques spectaculaires : plus d’un milliard de personnes, en Asie et en Afrique, sont sorties de la misère au cours des trois dernières décennies, même si 740 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté, y compris dans notre région ; mais la population mondiale vit mieux et plus longtemps ; les soins de santé sont accessibles à un plus grand nombre.
Mais il demeure que la nouvelle société est caractérisée par un dysfonctionnement majeur : l’accroissement des inégalités. Des inégalités de toutes sortes dans pratiquement tous les secteurs de la vie.
L’enjeu majeur de la prochaine décennie c’est donc le combat à mener contre ces inégalités qui, partout, poussent les citoyens dans la rue dans une défiance grandissante des pouvoirs politiques et des élites technocratiques et économiques.
Les quatre champs d’action de ce difficile combat sont, à mes yeux : le système démocratique, l’école, l’autosuffisance alimentaire et l’environnement.
1) L’enjeu pour la démocratie, partout dans le monde, c’est d’obtenir qu’elle soit aussi méritocratique. La nôtre ne l’est pas. On voit bien comment une caste politique, jointe par un système de représentation inégal, peut s’accaparer de tous les rouages de l’État au profit de sa propre survivance, en niant tout mérite aux hors caste. Cette pratique sournoise provoque un dépérissement de l’État et une profonde inégalité entre citoyens. L’expression la plus visible et la plus pernicieuse de ce travers est la composition de notre Fonction publique, si éloignée de la sociologie de la société. Il en résulte une grave perte de confiance dans les institutions de l’État. Les signes sont là ; faute de correction, la crise est inéluctable.
2) L’école de la République est censée offrir la meilleure chance de correction des inégalités de naissance. Elle souffre aujourd’hui de deux grandes faiblesses. Après avoir été longtemps le lieu par excellence de l’émancipation économique et sociale d’une grande partie de la population, elle est devenue aujourd’hui le lieu de reproduction des inégalités dont profitent les nouvelles bourgeoisies. L’école ne les corrige plus, elle les alimente. L’ascenseur social est bloqué. De plus, l’école publique se déconnecte de la réalité du futur. Au-delà des langues de communication, l’école doit être capable de former nos jeunes au langage mathématique et informatique qui est le sésame de leur avenir. C’est l’enjeu qui déterminera la qualité de notre futur national
3) L’autosuffisance alimentaire est la clé. C’est la capacité pour un pays de nourrir sa population sur la base de sa seule et propre production. Cela passe par une large réforme agraire et la fin programmée de la tyrannie du sucre. Avec nos ressources humaines, la terre est la seule autre grande richesse de ce pays. Après la phase d’économie de dépannage de l’investissement privé par l’immobilier, la prochaine décennie devra être celle de la valorisation de nos terres pour la production alimentaire, à la fois par des petits agriculteurs et des entreprises agro-alimentaires modernes.
4) L’environnement. Quel gâchis ! Ce pays a tous les bienfaits de la nature pour se positionner en laboratoire des énergies propres et durables : l’énergie solaire, l’énergie éolienne, la géothermie, la biomasse, il est capable de protéger son environnement. Mais Maurice a tout, sauf un leadership politique qui se place au-delà des contingences électorales quinquennales. Ce dont on parle est l’affaire d’une génération. Et encore faudra-t-il se battre contre les importateurs de fuel, de gaz, de charbon. Alors, peut-être une nouvelle décennie de perdue !
Dharam Gokhool : «Il y a urgence»
Ces dix dernières années ont été marquées par des tensions. Notamment, des manifestations contre les gouvernements qui n’ont pas tenu parole. La population, quelque peu frustrée, n’a pas hésité à démontrer son mécontentement, à Maurice comme ailleurs.
En 2019, sur le plan politique, on a témoigné d'une période de tension dans la lutte pour acquérir le pouvoir. Pour les élections générales, la campagne a été très personnalisée. Outre cela, il y a eu des irrégularités alléguées qui ont été pointées du doigt. On constate également que les personnes préfèrent garder leurs distances de la politique et des politiciens, car elles ne font plus confiance à la classe politique.
D’autre part, il y a une dégradation du climat. Le réchauffement planétaire s’intensifie. Toutefois, lors du COP25 qui s’est tenu en Espagne, il n’y a pas eu de résolutions fermes pour contrecarrer ce problème.
La population mondiale est en hausse mais rien n’est fait pour assurer la sécurité alimentaire. C’est un véritable danger pour le monde. La situation risque de s’aggraver si rien n’est fait.
Puis, le modèle économique demande une révision. Il n’y a qu’une poignée de personnes qui deviennent riches. D’ailleurs, le modèle de la globalisation montre des failles. Même les conservateurs remettent en question ce système.
Pour moi, les quatre enjeux majeurs pour le pays restent la politique, l’économie, la société et l’environnement. Il y a des défis à relever. Je ne suis pas pessimiste mais simplement réaliste.
1) Un renouveau de la politique. Le gouvernement prend des décisions importantes qui peuvent impacter sur la vie socio-économique. Le grand défi c’est, qu’aujourd’hui, il y a un manque de confiance dans la classe politique. Pour inspirer confiance, il faut impérativement un renouveau de la politique, soit une renaissance où les personnes se retrouvent. C’est vraiment indispensable.
2) Notre modèle économique s’essouffle et des partisans d’une économie libérale trouvent qu’il y a un dysfonctionnement. Le gouvernement avait évoqué une stratégie économique jusqu'en 2030, mais rien de concret. Le pays est endetté. Il n'y a des développements que dans des secteurs traditionnels, comme les infrastructures. Sauf qu’il y a d’autres priorités. On doit se focaliser sur l’économie verte et bleue, qui est restée au point mort. On doit pouvoir la développer, car il y a du potentiel. L’accent doit également être mis sur la sécurité alimentaire. Force est de constater que des petits planteurs abandonnent leurs terres qui sont morcelées. On perd cette vocation agricole qui aura sans aucun doute des répercussions sur notre sécurité alimentaire. Par ailleurs, selon les Nations Unies, Maurice régresse sur le plan du développement humain. Encore une fois, cela confirme que notre modèle économique est en panne et qu’il y a urgence de le revoir.
3) La dégradation sociale prend de l’ampleur de jour en jour. L’éducation est en pagaille. Côté santé, la population est ‘overstressed’, sans parler des maladies non transmissibles, comme le diabète et autres, qui se prolifèrent. On a une population malade. Quant au problème de logement, il reste entier. Le gouvernement avait promis la construction de 10 000 unités de logement. En quatre ans, que 2000 ont été construites. Le fléau de la drogue fait ravage. La violence domestique gagne du terrain. Il n’y a pas un jour sans qu’on n'entende parler d’un cas. La violence contre les personnes âgées s’intensifie également. Est-ce dû à l’augmentation de la pension qui incite des personnes à être violentes envers nos aînés ? Il faut se poser des questions. Le vieillissement de la population est un autre grand défi avec la natalité qui est en baisse. Maurice fait face à un problème démocratique. Ainsi, sur le plan social, il y a un cocktail explosif. Il faut pouvoir prendre des décisions qui s’imposent avant que cela n’explose.
4) La protection de l’environnement ne doit pas être négligée. L’Australie est l’exemple concret de ce qu’un pays ou la planète peut vivre à cause du réchauffement climatique. Ce qui met en péril notre environnement et l'écologie. Maurice est à la traîne sur ce dossier. Certes, il y a eu les Assises de l’Environnement, mais pas grand chose n'en est ressortie. D’ailleurs, lors de son allocution à la nation pour le Nouvel An, le Premier ministre a manqué une occasion pour annoncer des mesures afin de pallier à ce problème grandissant. Nos plages sont englouties par la mer, entre autres. Il n’y a que des mesures ‘Panadol’ qui sont prises alors qu’il faut des mesures plus conséquentes afin d'essayer de contrer les effets néfastes du changement climatique.
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