À l'approche des élections générales prévues pour le 10 novembre 2024, la place des femmes en politique à Maurice reste un enjeu majeur, malgré les appels croissants à une plus grande équité au sein des partis. Quelles en sont les raisons ? Des femmes de divers horizons partagent leurs perspectives avec Le Défi Plus.
En janvier 2024, la population de Maurice compte 1,3 million d’habitants, avec une légère augmentation de 1 506 personnes par rapport à l'année précédente. Les femmes représentent 50,7 % de la population contre 49,3 % pour les hommes. Cette dynamique se reflète également dans les statistiques électorales avec 514 592 électrices contre 488 265 électeurs répartis dans les 20 circonscriptions, y compris Rodrigues. Ces chiffres soulignent l’importance croissante de la gent féminine dans le paysage politique local. Pourtant, cette présence accrue des femmes dans les urnes ne se traduit pas encore en termes de représentation féminine en politique.
Même le Premier ministre, Pravind Jugnauth a reconnu ce retard lors d’une conférence de presse tenue le 7 octobre dernier au bâtiment Sun Trust, à Port-Louis. C’était à l’occasion de l’officialisation de la nouvelle Alliance Lepep (MSM, PMSD-ML-MPM-Plateforme Militant). « Nous avons toujours voulu encourager plus de femmes à s'impliquer en politique. Malheureusement, à Maurice, nous sommes de mauvais élèves en matière de représentation féminine », a-t-il déclaré. Bien qu’il ait salué les réformes visant à accroître la participation des femmes, il a admis que ces efforts n'ont pas encore porté les fruits escomptés. Il n’a pas caché son insatisfaction par rapport au nombre limité de candidates présentées par l'Alliance Lepep.
Ce constat met en lumière une question cruciale : pourquoi la parité reste-t-elle un défi majeur dans les partis politiques mauriciens malgré une population électorale féminine en pleine croissance ?
Anushka Virahsawmy : « Il y a simplement un manque de volonté politique pour inclure davantage de candidates »
Anushka Virahsawmy est la dirigeante de Gender Links Mauritius. Elle affirme que les leaders des grands partis ont eu amplement le temps d'améliorer la représentation féminine, mais ont délibérément choisi de ne rien faire. « Les élections générales n'ont pas été annoncées hier. Le manque de volonté politique pour intégrer davantage de candidates dans les 20 circonscriptions est flagrant », soutient-elle. Se basant sur les listes provisoires des candidates pour les législatives de 2024 publiées dans les médias, elle déplore la faible présence féminine. Seulement une vingtaine de femmes figurent parmi les 60 candidats, que ce soit pour l’Alliance Lepep ou l’Alliance du Changement. « Alors que les Mauriciennes représentent près de 51 % de la population, elles continuent d’être marginalisées malgré leurs compétences indéniables. Ce nombre réduit de candidates pour les élections générales est inacceptable. Il pourrait même diminuer à la dernière minute avant le Nomination Day, compliquant encore davantage l'atteinte de la parité », affirme-t-elle.
Anushka Virahsawmy rappelle également les nombreux efforts de Gender Links pour promouvoir la parité au fil des ans. À titre d'exemple, en mars dernier, Gender Links et la Gender Equality Foundation (GEF) ont organisé un symposium intitulé « Democratic Consolidation : Women's Agency, Voices & Perspectives. Puis, en marge des élections législatives de cette année, la campagne « Fam dan Politik - Plis ki enn Kota » a été lancée sur les réseaux sociaux. Elle était accompagnée d’une pétition en ligne visant à exiger une plus grande représentation des femmes en politique.
Anushka Virahsawmy dénonce un flagrant manque de volonté politique face au faible nombre de candidatures féminines. Elle estime que les leaders, en particulier ceux des grands partis, devraient faire preuve d’intelligence avant de parler de représentation. Selon elle, si une réelle volonté politique de parité existait, celle-ci se serait déjà manifestée tout naturellement, apportant un enrichissement précieux au sein de l'Assemblée nationale. Pourquoi une meilleure représentation féminine est-elle cruciale ? « Les femmes n'adoptent pas le même style de faire la politique que les hommes. Leur présence dans l’hémicycle favoriserait une collaboration plus équitable et enrichissante pour faire progresser Maurice sur de nombreux fronts. Un bel équilibre pourrait en découler. Cependant, il est vraiment triste de constater que nous peinions à avoir au moins une femme candidate alignée dans chaque circonscription du pays pour les législatives », déplore-t-elle.
Estimant que la femme mauricienne est plus qu’un simple quota, Anushka Virahsawmy pense, toutefois, que cela pourrait être une solution temporaire pour corriger la situation actuelle de la représentation féminine, en attendant d'atteindre une véritable parité au pays. « Ce gouvernement a eu deux mandats pour réfléchir à la question, mais la représentation féminine demeure un obstacle persistant. Il semble que les préoccupations humaines ne soient pas au centre de leur action. Pourtant, c'est en mettant l'accent sur l'humain que le développement du pays pourrait être véritablement significatif, plutôt que de se concentrer uniquement sur des infrastructures », indique notre interlocutrice. Cette dernière ajoute : « Le rôle des femmes élues se limite souvent à des vases fleuris au parlement, tandis que les hommes au pouvoir deviennent, eux, des pots de chambre. Or, il est évident qu’ils sont tous deux compétents. Il suffit d'avoir la volonté de changer la donne pour atteindre la parité », estime-t-elle.
En ce qui concerne l’aile féminine et l’aile jeunes des partis politiques, sont-elles la clé pour une meilleure représentation féminine au parlement ? Anushka Virahsawmy s'interroge sur leur actuelle efficacité. « Elles peuvent être des leviers pour une meilleure représentation féminine à l’Assemblée nationale. Mais encore une fois, il faut une véritable volonté politique pour atteindre cet objectif », conclut la directrice de Gender Links Mauritius.
OPINION Femmes… et politique
En 2024, dans un pays démocratique comme le nôtre, on aurait pu penser que les partis politiques auraient choisi beaucoup de femmes pour briguer les suffrages, mais tel n’est pas le cas. Les candidates sont toujours peu nombreuses. De plus, récemment, une ancienne ministre des Droits de la femme a déclaré que les femmes étaient les premières sacrifiées lors de l'attribution des investitures. Malheureusement, elle a abordé ce sujet comme si c’était la norme, au lieu de dénoncer cette attitude machiste. Cela montre qu’au sein même des grands partis politiques, les femmes manquent souvent de courage pour s’exprimer librement et se battre pour faire entendre la voix des autres femmes.
Le principe de la parité hommes-femmes est totalement reconnu sur le plan des droits humains depuis maintenant plusieurs décennies. Des femmes du monde entier se sont battues pour l'égalité des droits proclamée dès la création de l'Organisation des Nations unies. À l'époque de la Révolution française, Olympe de Gouges avait répondu à la Proclamation des Droits de l'homme et du citoyen par une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Au début du 20e siècle, les suffragettes se sont battues pour le droit de vote des femmes. Certaines sont mortes pour obtenir des droits égaux pour les femmes. Depuis, notre génération a pris le relais de ce combat un peu partout, mais sans grand succès. Dans certains pays, les femmes sont en prison pour avoir osé défier les tenants du patriarcat et du fratriarcat. (Ndlr : le fratriarcat propose l’idée que, bien que le patriarcat soit en déclin, un pacte silencieux entre les « frères » continue d’exister).
On est fier d'être en haut du classement des institutions de notation dans un certain nombre de domaines. Toutefois, dans celui de l'égalité des genres, on est loin du compte et nous sommes surclassés par plusieurs pays d'Afrique. Or, nous avons ratifié plusieurs Traités internationaux et régionaux qui prônent l'égalité et la parité.
L'article 7 (b) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes (CEDEF/CEDAW) mentionne non seulement le droit de vote, mais aussi celui « de prendre part à l'élaboration de la politique de l’État et à son exécution... ». Le cinquième Objectif de développement durable (ODD/SDG) est de « parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». On parle beaucoup des SDG à Maurice, sans prendre les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs. Après l'adoption de la Déclaration et le Plan d'action de Beijing en 1995, nous avons signé et adopté le Protocole de la SADC sur le genre et le développement portant à 50 % de participation des femmes en politique et dans des postes de responsabilité, en 2008.
Dans quelle mesure avons-nous progressé sur ce point ? En 2011, un pas important a été franchi quand le Local Government Act a été amendé pour imposer à chaque parti politique de présenter au moins un tiers de candidats hommes ou femmes aux élections locales. Cependant, pour les élections législatives, on n'a pas encore eu le courage de légiférer pour assurer qu'au moins un tiers des candidats seraient des femmes. On continue à se préoccuper d’autres problèmes, notamment du Best Loser System qui est toujours en vigueur après 56 années d'Indépendance. Certains pensent que malgré ces contraintes, on aurait pu aligner des femmes qui respecteraient ces critères socioculturels.
Il suffit de consulter les statistiques pour voir que même s'il y a eu des progrès au fil des années, on est encore très loin de la parité. En 1976, quand je me suis portée candidate aux premières élections législatives post Indépendance, nous étions trois femmes députées sur 70, donc 4,3 %. Un pourcentage qui est passé à 6 % en 1982 et 1983. Par la suite, les pourcentages ont fait du yoyo. Aux dernières élections générales, 148 candidates ont brigué les suffrages dans les 21 circonscriptions. Avec 14 députées sur 70, le pourcentage grimpe et atteint 20 %. Nous sommes encore loin de la parité totale.
Faut-il des quotas ? La Constitution rwandaise réserve 30 % de candidature pour les femmes. Certains pensent que c'est le seul moyen de faire progresser la parité. Toutefois, il faut laisser aux électeurs le libre choix de voter ou non pour n'importe quel candidat, y compris pour une femme. En outre, si tous les partis présentent beaucoup de femmes, elles seraient en compétition entre elles et aussi avec les candidats hommes.
Concernant la compétence des candidates, c'est un faux débat, car il faut des candidats talentueux également. En réalité, il est essentiel d'avoir des candidats aux profils variés, plutôt que des clones. Il ne suffit pas que tous soient avocats ou médecins, par exemple. Il faut que toute la population se retrouve dans son parlement. Et comme les femmes sont à près 51% en ce moment, il ne suffit pas de les solliciter pour obtenir leurs votes. Il faut aussi les respecter en leur proposant un grand choix entre des candidates de tous les bords. Le programme électoral doit aussi traiter leurs préoccupations premières, dont la revendication des droits sociaux et économiques pour tous et surtout pour les plus démunis.
Kirti Sheonarain : « La sous-représentation des femmes découle des obstacles systémiques et non d'un manque de compétences… »
Kirti Sheonarain, directrice d’entreprise et fondatrice des Women Entrepreneur Awards, exprime son inquiétude quant à la faible représentation des femmes en politique à Maurice. Ce phénomène, selon elle, est mondial. Elle estime que cette sous-représentation n’est pas liée à un manque de compétences, mais aux nombreux obstacles systémiques qui freinent la participation des femmes. « Nous avons vu des figures emblématiques telles que Jacinda Ardern, Alexandria Ocasio-Cortez et Indira Gandhi. Elles ont prouvé que les femmes peuvent gouverner avec conviction, malgré des défis énormes », affirme notre interlocutrice. Cette dernière s’inspire notamment de Jacinda Ardern, qui a su gérer son pays avec empathie, mais dont le départ prématuré souligne les sacrifices personnels qu’impose la vie politique, particulièrement pour les femmes. Alexandria Ocasio-Cortez incarne le courage face aux attaques liées à ses positions politiques, mais aussi à son genre et à son origine ethnique. Kirti Sheonarain souligne que le parcours d'Alexandra Ocasio- Cortez rappelle les biais persistants au sein du système politique. Elle évoque aussi Indira Gandhi, ancienne Première ministre de l’Inde, dont l'ascension politique dans une société conservatrice montre que des avancées sont possibles, même dans des contextes culturels restrictifs. « Si l’Inde a pu permettre à une femme de gouverner, pourquoi pas Maurice ? » se demande-t-elle.
Puis, Kirti Sheonarain cite des exemples des femmes à Maurice comme Ameenah Gurib-Fakim et Maya Hanoomanjee, qui ont marqué l’histoire politique du pays. Cependant, elle rappelle que leur nombre reste insuffisant. Elle affirme que les femmes sont souvent contraintes de choisir entre leur carrière et leur famille. De plus, la perception de la politique comme un domaine masculin dissuade de nombreuses femmes compétentes de s’y engager. « Les attaques personnelles et les critiques basées sur l’apparence sont encore trop fréquentes », souligne-t-elle.
Pour changer cette situation, Kirti Sheonarain propose des solutions. Elle milite pour des quotas de genre au sein des partis politiques, non pas comme simple formalité, mais comme moyen de favoriser l'émergence des femmes leaders. Elle prône également des programmes de mentorat pour guider la nouvelle génération de femmes en politique et des politiques de travail flexibles, essentielles pour l’équilibre entre vie professionnelle et familiale. La jeune femme appelle à un changement de mentalité dans la société mauricienne. « Il est temps de cesser de considérer le leadership comme une caractéristique masculine et de valoriser les qualités uniques que les femmes apportent à la gouvernance », renchérit-elle. Elle estime aussi que les femmes ne devraient plus avoir à choisir entre leur famille et une carrière politique. « En créant les Women Entrepreneur Awards, ma mission était de célébrer les entrepreneures. Cependant, je reconnais qu'il reste encore beaucoup à faire. Je m'engage à me lancer dans de nouvelles initiatives d'ici 2025 pour autonomiser les femmes dans tous les secteurs. Notre pays ne pourra prospérer que lorsque chaque voix, en particulier celle des femmes, sera écoutée et valorisée », dit-elle.
Padma Utchanah : « Une femme n’accède au pouvoir que si les hommes le permettent… »
Originaire de Rivière-du-Rempart, Padma Utchanah est la présidente du Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP), une composante de Linion Moris. Mère de trois enfants, elle sera candidate dans la circonscription no 7 (Piton/Rivière-du-Rempart) lors des législatives de 2024. Face à la question récurrente de la sous-représentation des femmes en politique, elle partage ses réflexions.
D’emblée, elle critique le manque de démocratie au sein des partis politiques traditionnels, les qualifiant de « véritables entreprises politico-familiales ». Selon elle, contrairement en Europe où les leaders de partis sont choisis de manière transparente, à Maurice, les femmes peinent à se frayer un chemin en politique. Elle affirme qu'une femme ne peut accéder à des postes de pouvoir que si des hommes en ont décidé ainsi. Elle déplore également que les obstacles soient nombreux et les femmes sont souvent les premières victimes des insultes, surtout sur les réseaux sociaux. Elle cite des exemples concrets d'attaques sexistes au sein même de certains partis où les dirigeants laissent ces comportements passer sans réagir.
Padma Utchanah poursuit que Maurice reste une société profondément patriarcale. « Certains partis réduisent les femmes à une commission féminine, une manière implicite de dire que nous ne sommes pas des actrices politiques à part entière. Il n'y a bien sûr pas de commission masculine », dit-elle. Ainsi, elle appelle les femmes à se rapprocher des électeurs et à montrer leur capacité à diriger. « Les Mauriciens aspirent au changement et celui-ci passe par une femme à la tête du pays », affirme-t-elle. Concernant Linion Moris, Padma Utchanah souligne la différence de traitement. « Chez nous, les femmes occupent des postes de premier plan et elles sont mises en avant », précise-t-elle.
En réponse aux solutions pour accroître la représentation féminine en politique, elle évoque deux approches : une réforme législative ou un changement plus organique, comme celui qu’elle défend au sein du RCP. « Nous n'avons pas besoin d'une loi. Nous avons des voix fortes et du caractère », dit-elle. Padma Utchanah souligne aussi l'importance de ne pas laisser l'Assemblée nationale se vider de ses représentantes féminines. Autrement, cela reflèterait une incapacité à évoluer avec les temps modernes. « Un manque de femmes en politique serait une très mauvaise image pour Maurice. Nous avons déjà rendu hommage à Anjalay Coopen. Il est temps qu'elle devienne un symbole officiel de l'État mauricien et que sa statue soit placée à la Place d’Armes », estime-t-elle.
Prônant l’égalité entre hommes et femmes, Padma Utchanah rejette catégoriquement l’idée de commissions féminines au sein des partis. « Le féminisme est l'ADN du RCP et c'est ce que j'incarne », indique-t-elle. Quant à sa vision de la politique, elle se résume en quelques mots : effort, sacrifice et droiture. « Issue des camps sucriers, je ne peux tolérer l'injustice. C'est ce qui me guide sur le plan politique », conclut-elle.
Sandrine Julien : « Les partis promettent d'encourager les femmes, mais les actions font défaut… »
Le Nomination Day, prévu pour le 22 octobre prochain, met en lumière une réalité préoccupante pour la représentation féminine en politique à Maurice. D’après les listes provisoires publiées, seulement une vingtaine des 120 candidats des deux principales alliances, sont des femmes. C’est une situation que déplore l’activiste des droits humains, Sandrine Julien. « La politique à Maurice reste largement dominée par les hommes », affirme-t-elle, pointant du doigt un système où le pouvoir se transmet souvent de génération en génération au sein de dynasties politiques masculines. Selon elle, cette structure crée une barrière pour les femmes souhaitant s’engager dans la politique.
Sandrine Julien observe également que la perception de la politique comme un domaine réservé aux hommes décourage de nombreuses femmes. « Les attentes sociales restent lourdes. Les femmes sont souvent perçues comme responsables des tâches ménagères et familiales. C’est ce qui complique leur implication dans la vie publique », dit-elle. Néanmoins, Sandrine Julien entrevoit une lente évolution des mentalités, en particulier chez les jeunes générations qui remettent en question ces rôles traditionnels et revendiquent un espace plus égalitaire.
Alors que de plus en plus de femmes s’investissent dans des secteurs tels que les affaires, la question demeure : pourquoi pas en politique ? « Leur manque de visibilité au sein des partis politiques constitue un des principaux obstacles. Même lorsqu’elles y accèdent, elles sont souvent cantonnées à des rôles secondaires. Les partis politiques prétendent soutenir la participation féminine, mais il manque des actions concrètes », affirme la jeune activiste.
Cependant, Sandrine Julien note que les jeunes femmes mauriciennes deviennent de plus en plus revendicatives. Preuve en est les réseaux sociaux qui leur offrent une tribune pour dénoncer le manque de représentativité et briser ces barrières. Néanmoins, lors des élections, est-ce que les stéréotypes persistent ? « De nombreux électeurs, y compris des femmes, pensent encore que les hommes sont plus aptes à diriger, influencés par des décennies de domination masculine en politique », observe-t-elle. Selon elle, ces croyances sont souvent ancrées dans des réflexes culturels. « La politique est perçue comme un domaine sérieux, donc masculin. Pourtant, beaucoup d’hommes affirment soutenir la place des femmes en politique, même s’ils doivent encore être convaincus de leur potentiel à changer la donne », ajoute-t-elle.
De ce fait, pour opérer un changement réel, Sandrine Julien estime qu’il est impératif de prendre des mesures concrètes. « Les partis politiques doivent confier de vraies responsabilités aux femmes. L’éducation joue également un rôle clé. Il est essentiel de sensibiliser dès le plus jeune âge à l’égalité des sexes, notamment en politique », insiste-t-elle. De plus, elle souligne que l’implication des femmes en politique n’est pas seulement une question d’équité, mais également cruciale pour la démocratie. « Malgré les défis comme le féminicide, la violence domestique et le harcèlement sexuel, je reste optimiste. Nous pouvons y arriver. Le chemin est encore long, mais de nombreuses femmes, moi incluse, sont prêtes à relever ce défi », dit-elle.
Prisheela Mottee : « Les électeurs votent pour des partis plutôt que pour des candidats, indépendamment du genre »
Maurice peine toujours à atteindre un taux de représentation féminine de plus de 15 % à l'Assemblée nationale, malgré son statut de pays démocratique suivant le modèle de Westminster. Cette situation est largement attribuée à un système électoral axé sur les partis, indique Prisheela Mottee, présidente de l’association Raise Brave Girls. Selon elle, pour comprendre cette situation, il est essentiel d’analyser le système électoral dans son ensemble où les élections partisanes prédominent sur les candidats individuels, quel que soit leur genre. « Le système électoral mauricien a montré au fil du temps que les électeurs votent principalement pour des partis et non pour des individus. Ce mécanisme, conçu et accepté, place la victoire du parti et la majorité parlementaire au centre des préoccupations, souvent au détriment de la représentation individuelle des candidats », dit-elle. Cette dynamique est dictée par le scrutin majoritaire avec la stratégie électorale privilégiant les tactiques de vote en bloc comme le « 3-0 » où le vote en faveur d’un parti entier prend le dessus sur le choix personnel d’un candidat. Elle s'interroge alors sur la véritable nature démocratique de ce système.
D’ailleurs, est-il réellement démocratique ? « Oui, car en fin de compte, les électeurs votent pour des candidats et dans un système démocratique, la voix du peuple est souveraine. Les candidats élus détiennent ainsi le pouvoir confié par le peuple. Ce pouvoir est ensuite transféré au parti majoritaire pour former le gouvernement », répond-elle. Cependant, dans cette course à la majorité et dans une société marquée par le patriarcat, ce sont surtout des hommes qui sont choisis pour représenter les partis.
Prisheela Mottee soulève aussi la question de savoir si les électeurs, issus d'une société patriarcale, sont enclins à voter pour des femmes. « Dans ce système majoritaire, cela demeure un risque. Bien que les candidates féminines possèdent les mêmes compétences, qualifications et capacités de leadership que leurs homologues masculins, elles se heurtent à des stratégies électorales complexes qui privilégient la logique mathématique », souligne-t-elle.
Que pense-t-elle des discussions en cours sur l’introduction de quotas pour augmenter la représentation féminine ? D’emblée, elle rejette cette idée. « Nous estimons que cela imposerait une sélection artificielle au détriment des principes démocratiques. Un système de quotas reviendrait à choisir des femmes pour satisfaire une norme et non pour leurs aptitudes réelles. Les partis et les électeurs doivent être libres de choisir les candidats qu’ils jugent les plus aptes », fait-elle ressortir. En ce sens, Prisheela Mottee incite les femmes à se lancer en tant que candidates indépendantes pour briser les barrières du système. « Certes, c’est difficile, mais c’est une voie essentielle pour promouvoir l’autonomisation politique des femmes. Nous devons commencer quelque part », conclut-elle.
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