Le Grand Journal de Radio Plus - Presse libre : ses combats et ses défis

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le Grand Journal de Radio Plus était dédiée à ce sujet.

La presse est-elle vraiment libre ? Quelle est la place des réseaux sociaux ? La presse traditionnelle peut-elle survivre face au flot d’informations gratuites sur Internet ? Est-ce que le gouvernement veut museler la presse ? Autant de questions qui ont été abordées par Nawaz Noorbux et ses invités.

Liberté de la presse

Maurice est au 56e rang sur 180 pays dans le classement sur la liberté de la presse. Mais, pour Jérôme Boulle, représentant de l’Union internationale de la presse francophone, il ne faut pas trop se fier à ces classements. « Il y a des choses qu’on ne voit pas à la surface et qui échappent aux évaluateurs et au grand public. Par exemple les pressions, les difficultés pour accéder à l’information ou encore les pressions financières sur les organes de presse. »

Pour Krish Caunhye, président directeur-général de Top FM, les intimidations financières politiques et autres sont une réalité. « L’asphyxie financière existe. On peut créer beaucoup de tort, museler, voire faire disparaître un organe de presse. Au niveau des radios, nous sommes encore plus vulnérables, que ce soit sur les plans financier et légal. »

Un point que partage aussi Ehshan Kodarbux, directeur du Défi Media Group. « Maurice est un pays complexe et petit. Plus un pays est petit, plus il est facile de faire pression. »

Avenir de la presse

« Un des fossoyeurs de la presse écrite est la presse écrite elle-même », dit le directeur du Défi Media Group. En nourrissant continuellement leur site Internet et en partageant les mêmes infos que ceux qui paraissent dans leurs journaux, les groupes de presse se mettent en danger, car il n’y a pas encore de modèle économique viable pour les sites Internet.

« Le New York Times et le Guardian s’adressent à des millions de gens sur le Web. Il y a une masse critique qui leur permet d’être viables. C’est pour cela que nous avons décidé de nous diversifier et d’entrer dans d’autres créneaux », indique Ehshan Kodarbux.

Quoiqu’il en soit, pour Maneesh Gobin, ministre de la Justice, « les médias sociaux deviennent un problème et pas uniquement à Maurice ». Il parle notamment de fausses nouvelles, d’usurpation d’identité et de désinformation. « Cela donne à réfléchir et Maurice n’est pas immunisé contre cela. La liberté de l’information, c’est bien, mais pas au point de déclencher des problèmes raciaux, par exemple. » Le gouvernement suit de près ce qui se passe en Europe. Maneesh Gobin souligne d’ailleurs qu’en Allemagne, la création d’un faux compte Facebook est déjà interdite.

« Aujourd’hui, sur le plan technologique, on peut retracer une personne qui poste quelque chose de façon anonyme, mais la loi doit être adaptée. Il faut aussi qu’il y ait une balance. Nous ne voulons pas que la loi vienne entraver la liberté d’expression, mais des garde-fous sont nécessaires », ajoute l’Attorney General.

Marginalisation de la presse traditionnelle

La presse traditionnelle doit aujourd’hui lutter contre la masse d’informations livrées gratuitement aux lecteurs en instantané via le Web et les réseaux sociaux. Ehshan Kodarbux souligne qu’alors que les médias sociaux échappent à toute régulation, la presse écrite et la radio sont « extrêmement régulées ».

Rabin Bhujun, directeur éditorial d’ION News, soutient que la perception est que l’information est plus facile d’accès, mais « face à la profusion de plateformes, il faut plus que jamais faire attention à la qualité de l’information ».

Survivre à Maurice n’est pas chose aisée. « Le problème est que Maurice n’a pas la masse critique. La presse écrite a d’ailleurs depuis longtemps fait le deuil que ce n’est pas la vente, mais la publicité qui apporte des sous », declare Rabin Bhujun.

Jérôme Boulle est d’avis que « tout le monde ne peut être journaliste », alors qu’Ehshan Kodarbux dit qu’un « journaliste a une formation et une éthique et doit opérer dans un cadre ». Ceci n’est pas nécessairement le cas pour ceux qui postent des informations sur les réseaux sociaux.

Le directeur du Défi Media Group souligne aussi que la problématique est que Maurice ne compte que 10 gros annonceurs. « Allez voir qui reçoit le plus grand nombre d’annonces de la part du secteur privé. » Il prend pour exemple Le Défi Quotidien qui est le premier quotidien du pays « avec une avance de 25 à 30 % sur son plus proche concurrent. Pourtant, nous avons six fois moins de publicité de la part d’un certain secteur privé ».

Rs 1 million d’amende aux radios

Un rapport préliminaire sur la fusion entre l’IBA et l’ICTA est en circulation. Ses rédacteurs proposent des amendes infligées par le conseil d’administration de cet organisme allant jusqu’à Rs 1 million si une radio commet ce que cet organisme estime être un impair. Cela sans passer par une cour de justice. Et avant d’avoir le droit de faire appel à une cour de justice, le montant de l’amende doit être versé dans un fonds.

Maneesh Gobin affirme que des régulateurs, tels que la Banque de Maurice ou la Financial Services Commission, ont un pouvoir de sanction et que les détenteurs de permis peuvent contester en cour. Il précise cependant que la fusion entre l’ICTA et l’IBA n’est pas encore faite. « C’est assez compliqué de fusionner des entités comme cela. C’est encore trop tôt pour parler du mécanisme de sanction. »

Krish Kaunhye se montre très critique face à cette intention. « Qui décide de ce qu’est un écart ou un délit ? À la Banque de Maurice et la Financial Services Commission, tout est clairement écrit. Les paramètres sont clairs. Ce n’est pas subjectif. Mais ici, tout est sujet à interprétation. On ne peut laisser un conseil d’administration nommé par un gouvernement et qui change lorsque le gouvernement change décider de ce qui est permissible ou pas. Comment peut-on laisser un tel pouvoir à une institution qui ne peut jamais être indépendante ? »

Ehshan Kodarbux concède qu’il « peut y avoir des petits dérapages, mais ce n’est pas une raison pour venir avec des mesures aussi drastiques. On ne peut venir attaquer la liberté d’expression ». Il note également que l’environnement est « de plus en plus concurrentiel ».

Celui-ci précise que la radio doit être considérée comme étant « un service public, un service national » et que cela doit aussi être pris en compte. Contrairement à la MBC qui exige un paiement de Rs 150 sur la facture mensuelle d’électricité, les radios privées ne coûtent absolument rien à leurs auditeurs.

Selon Jérôme Boulle, le rôle d’un régulateur est avant tout de soutenir le secteur qu’il régule. « Ce n’est pas un garde-bâton qui veille et qui sanctionne. » Il se dit « choqué quand le nouveau président de l’IBA pense qu’il est un garde-chiourme. Dans leur esprit, il faut contrôler les médias. C’est dangereux si on se met à empiéter sur la liberté d’expression ».

Une des conséquences si cette proposition d’amendes devient réalité pourrait être, selon Krish Kaunhye, que le secteur soit considéré comme étant une industrie à haut risque par les banques. Cela entraverait sa croissance.

Rajen Bablee, directeur exécutif de Transparency Mauritius, regrette que « l’Exécutif veuille se substituer au Judiciaire. »

La Freedom of Information Act

Ce n’est pas la priorité, laisse comprendre Maneesh Gobin. L’Attorney General n’indique pas si ce sera une réalité avant les prochaines élections générales. Pourtant, souligne Rajen Bablee, dans le programme électoral de ce gouvernement, c’était bien inscrit comme une des grandes priorités.

Le ministre de la Justice affirme que plusieurs initiatives gouvernementales, comme les bornes qui permettent d’avoir accès gratuitement au Wifi, le Citizen Support Portal et la retransmission des travaux parlementaires sont des formes de liberté d’accès à l’information.

Il soutient que « dans 90% des cas, l’information circule, mais il faut être juste dans le traitement de l’information. Puis, il n’y a rien de sinistre si le gouvernement ne rend pas publiques des informations commercialement sensibles ou des accords sensibles entre deux gouvernements. »

Rajen Bablee se montre critique face à cette posture. « L’information ne peut être réservée uniquement à une élite ». Jérôme Boulle estime que ce n’est là « pas un message qui est rassurant du tout. Il ne va pas dans une direction qui consolide la liberté de la presse ».

Dans le monde actuel, le gouvernement mauricien gagnerait à prendre des initiatives positives pour montrer à tous qu’il a à cœur l’ouverture de la démocratie.

« Notre plus grand atout est que nous sommes un État de droit. La transparence, la responsabilité publique et la séparation des pouvoirs et des institutions sont nos plus grands atouts. Nous devons continuer à miser dessus et ne pas donner l’impression que nous sommes comme les républiques bananières », affirme, pour sa part, Ehshan Kodarbux.

La télé privée

On parle depuis bien des années de l’avènement de la télé privée. Cela figurait également dans le programme gouvernemental. Mais cela aussi ne semble pas être une priorité. Le directeur du Défi Media Group fait état d’une réponse qu’il a reçue. « Nous avons fait une demande, mais c’était juste pour nous couvrir, car nous avons une Web TV et pour qu’on ne nous dise pas qu’on opère en infraction à la loi. On a eu une réponse qui dit que, pour le moment, il n’y aura aucun appel pour une télé privée. Mais, nous avons espoir que cela arrivera avant les prochaines élections. »

Il concède cependant que le modèle de télé privée est dépassé, car tout le monde peut monter une Web TV à moindre coût.

 

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