Interview

Kugan Parapan, porte-parole économie de Rezistans ek Alternativ: «Nous assistons à une paupérisation de la classe moyenne»

Alors que l’analyse du Budget 2016/17 semble procéder d’une vision manichéenne selon que l’on soit du gouvernement ou de l’opposition, le porte-parole économie de Rezistans ek Alternativ Kugan Parapan, gestionnaire de portefeuille d’une firme d’Asset Management, pose un regard nouveau sur cet exercice financier.

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Des membres du gouvernement et certains économistes évoquaient la présentation d’un Budget de rupture. Est-ce le cas ?
C’était du spin doctoring médiatique avant la présentation du budget pour présenter un nouveau ministre des Finances, Pravind Jugnauth, censé sauver le pays de la catastrophe.

« Le financement du budget provient à plus de 80 % d’une classe moyenne saignée à blanc et à 10 % de la classe précaire. »

À l’arrivée, en termes de philosophie économique, il n’a fait qu’emboîter le pas à ses prédécesseurs, faisant ce qu’ils font depuis 15 ans.

C’est aussi un budget qui doit beaucoup à l’Inde, qui a compensé Maurice pour le retrait du Double Taxation Avoidance Agreement (DTAA). En économie, il existe un terme qui désigne cette situation : « Kick the can down the road. » Cela veut dire qu’au lieu de traiter notre problème d’endettement public, le gouvernement mauricien a préféré chercher la compensation indienne pour répondre à cette problématique fiscale.

Le ministre des Finances table sur une croissance de 4,1 %, un chiffre qui lui suffirait à accomplir ses promesses. Est-ce possible ?
L’an dernier, Vishnu Lutchmeenaraidoo avait annoncé une croissance de 5,7 %. Finalement on a été coincé à 3,6 %. Je préfère faire confiance aux chiffres de la Banque de Maurice, qui situe la croissance à 3,8 %.

Comment obtient-on ce chiffre ?
Il est composé d’une grosse partie d’investissements étrangers dans le foncier. Ce sont des milliards qui changent de mains entre milliardaires et seules des miettes vont à la population en termes d’emplois. Une croissance de 3,8 % sera très loin de la croissance historique. Officiellement, nous ne sommes pas en récession, mais l’atmosphère y ressemble.

Le « feel-good factor » est-il revenu ?
Ce feel-good factor avait disparu avec l’éclatement de l’affaire BAI. Il était là parce qu’il y avait un nouveau gouvernement qui avait apporté une bouffée d’air frais, surtout après dix ans de règne de Navin Ramgoolam. Ce gouvernement n’est pas nécessairement meilleur que le précédent, lorsqu’on regarde de près les millions payés à Trilochun, l’Heritage City de Bhadain et le jet privé de Soodhun.

Pourtant, il semble que le volet social ne laisse personne insensible…
À Rezistans ek Alternativ, nous disons que c’est l’arbre qui cache la forêt. Le financement du budget provient à plus de 80 % d’une classe moyenne qui est saignée à blanc, et à 10 % de la classe précaire. Lorsqu’on jette un coup d’œil à l’argent qui entre dans les caisses de l’État, on voit que la taxe indirecte y représente 75 %, contre 25 % de taxe indirecte.

Or, on sait que la taxe indirecte – la TVA étant la plus connue – est plus régressive, son impact sur les familles au bas de l’échelle étant plus sévère que sur les classes aisées. À l’étranger, dans des pays comme la Scandinavie, Cubam, et dans des pays européens, ce pourcentage est plus équilibré. On assiste à une paupérisation de la classe moyenne. Cette fracture était déjà là, comme l’avait noté la Banque mondiale.

La taxe sur la cigarette et les boissons alcoolisées contribuera à remplir les caisses de l’État et aidera à améliorer la santé de la population. N’est-ce pas une bonne mesure ?
C’est du bluff. Ce gouvernement ne se soucie nullement de la santé de la population. Sinon il aurait annoncé son intention de se servir des recettes de cette taxe pour organiser de vastes campagnes pour contrôler le tabagisme et l’alcoolisme. Cette taxe avoisine les Rs 10 milliards, alors que celle imposée sur les compagnies est de Rs 11 milliards, soit presque à égalité. Aucun pays au monde ne possède une telle statistique.

En fait, ce gouvernement se sert de ceux qui boivent et fument. Il n’est pas intéressé à endiguer ces fléaux sociaux. Voyons d’autres statistiques : à Maurice, la proportion des taxes par rapport au Produit intérieur brut (PIB) tourne autour de 20 %. En Scandinavie et dans des pays européens développés, ce pourcentage tourne autour de 4 %. En Afghanistan, à Madagascar et dans quelques pays africains sous-développés, le pourcentage ne représente que 10 % de leur PIB. Ces chiffres indiquent que nous sommes plus près de leur PIB. Dans les faits, notre qualité de vie laisse à désirer : les manquements dans nos hôpitaux et notre système éducatif le démontrent suffisamment.

Cette situation est-elle nouvelle ?
Maurice n’a jamais été un pays indépendant, mais une colonie avec l’objectif de maximiser les profits au détriment des ressources naturelles et de la main-d’œuvre. Notre société n’œuvre pas pour le bien-être de tous. Elle reste toujours prisonnière des lobbies capitalistes d’autrefois. C’est pourquoi il est nécessaire de se battre pour qu’un gouvernement ne soit pas porté au pouvoir avec l’argent du secteur privé pour éviter d’en devenir l’otage. Mais notre système économique ne risque pas d’être remis en question aussi longtemps que le secteur privé financera les partis traditionnels.

C’est un débat qui revient toujours sur le tapis sans être clos. Pourquoi ?
Parce que les partis qui nous gouvernent sont là depuis l’indépendance. Ils ont remplacé l’administration anglaise et restent au service de la classe dominante. Notre indépendance a été un exercice cosmétique. Quant à la bourgeoisie d’État, elle a réussi à s’émanciper de son allégeance vis-à-vis de la bourgeoisie historique.

Au nom de l’ouverture sur le monde, le gouvernement enlève tous les obstacles qui limitaient l’accès à l’immobilier aux étrangers. Quelles seront les conséquences de cette décision ?
C’est une décision irresponsable et irréfléchie dont les conséquences seront extrêmement perturbantes dans le futur, car l’immobilier sera à la portée de tous. Tout citoyen du monde pourra acquérir une propriété à Maurice. En termes de dynamique de l’offre et de la demande, il est clair que les prix des terres connaîtront une ascension phénoménale et les perdants seront les salariés mauriciens. En ce moment même, ils sont incapables de se payer un logement décent.

Ce projet vise à réduire notre déficit récurrent, mais ce faisant, le gouvernement augmente notre dépendance de l’étranger en vendant nos terres. D’abord, c’est une solution à court terme. Ensuite, elle réduit la superficie des terres laissées aux Mauriciens, dans un pays où les terres ne sont pas illimitées. Or, la terre est indispensable pour répondre aux attentes d’une véritable politique d’autosuffisance alimentaire. Enfin, et non des moindres, ce budget ne dit rien sur l’autosuffisance énergétique, alors que nous disposons du vent, du soleil et de la mer.

Ce qu’il convient d’appeler l’affaire Heritage City a connu un dénouement inattendu. Cela vous surprend-il ?
Ce projet était déjà un non-sens. Plutôt que d’investir dans des projets productifs, le gouvernement privilégiait un projet immobilier dont les retombées pour Maurice allaient être négligeables. À ce jour, on sait que c’est Pravind Jugnauth qui a décapité le projet. Or, c’est lui-même qui avait alloué une dotation budgétaire de Rs 800 millions à Heritage City. Si ce n’est pas de l’amateurisme, ça y ressemble étrangement. Je pense que Pravind Jugnauth a voulu montrer qu’il est le seul maître à bord du navire gouvernemental.


Lauréat et économiste atypique

Lauréat du collège du St-Esprit en 2004, quatre ans après que son frère avait décroché cette bourse, Kugan Parapen, 31 ans, a obtenu sa licence en économie à l’université de Warwick. À son retour à Maurice, il a travaillé comme trader, avant d’être embauché par une grosse banque du pays, puis de devenir gestionnaire de portefeuille dans une firme d’asset management. Est-ce une contradiction pour ce porte-parole de l’économie pour Rezistans ek Alternativ, un parti résolument ancré à gauche ? « Non, répond Kugan Parapan. Mon job, au contraire, me permet de suivre le marché international, les tendances financières et bancaires, d’identifier les secteurs émergents, un peu comme un météorologue. Ces données permettent à Rezistans ek Alternativ, dont je suis membre depuis 2011, de réaliser des analyses précises et cohérentes de la situation économique, sociale, écologique, entre autres. »

 

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