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Jean-Marie Delort - Prisonnier du luxe : gardien de l’hospitalité

Après plus de trente ans dans un « autre pays », il faut réapprendre à vivre à l’extérieur du monde hôtelier, dit Jean-Marie Delort.

Entré « par hasard » dans l’hôtellerie, Jean-Marie Delort y a bâti une carrière de plus de trois décennies. De serveur débutant à Executive Assistant Manager, il explore aujourd’hui l’anthropologie de l’hospitalité, en analysant les relations humaines et la culture de l’accueil à Maurice, à Rodrigues et 
au-delà.

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C’est de manière inattendue que Jean-Marie Delort a découvert l’hôtellerie. Après des débuts comme agent d’assurance et un passage vers le métier d’infirmier dans le domaine de la santé (hospital), il s’oriente vers l’hôtellerie (hospitality). « En quelque sorte, j’ai ajouté le ‘ity’ à mon parcours », sourit-il, « car soigner les patients ou accueillir des visiteurs reposent tous deux sur la même base : l’attention à l’autre ».

« Des portes ouvertes et des cœurs ouverts : une vie au service de l’hospitalité », écrit-il sur son profil LinkedIn, résumant ainsi le fil conducteur de sa carrière. Une expression qui illustre son aptitude à transformer les hasards en opportunités et à franchir les obstacles avec persévérance.

« Au départ, ce sont surtout des contraintes financières qui ont orienté mon parcours. Mais chaque étape m’a préparé à l’hôtellerie, où j’ai trouvé ma véritable vocation », explique-t-il. Trente-deux ans plus tard, il occupait le poste d’Executive Assistant Manager, témoignant d’un chemin parcouru à force de travail et de résilience.

Au départ, ce sont surtout des contraintes financières qui ont orienté mon parcours. Mais chaque étape m’a préparé à l’hôtellerie, où j’ai trouvé ma véritable vocation»

C’est en tant qu’apprenti serveur qu’il s’est fait embaucher à l’hôtel La Pirogue. Selon lui, c’était une excellente école, où il a passé près de deux mois en salle pour des explications pratiques du métier, sans pour autant être directement opérationnel dans l’établissement. Là, il a appris tous les rudiments du métier, comme les dimensions des verres pour les différentes boissons, mais aussi l’art de la table, notamment le placement des couverts. Il a ensuite gravi progressivement tous les échelons. Jean-Marie Delort insiste sur l’importance de l’expérience pratique. 

Mentors

Dans sa progression, Jean-Marie Delort a bénéficié du soutien de mentors précieux. Paul T. Jones et Andrew K. Slome l’ont accompagné, lui apportant conseils et encouragements. « Paul T. Jones a été un vrai gourou pour moi ; il m’a enseigné l’importance de la discipline et de l’excellence. Andrew Slome m’a poussé à dépasser mes limites et à voir plus loin », raconte-t-il.

Ces mentors ont joué un rôle déterminant dans sa compréhension du métier et dans sa capacité à saisir des opportunités. Selon lui, la réussite dans l’hôtellerie ne dépend pas seulement du savoir théorique, mais de la capacité à apprendre sur le terrain, à s’adapter et à s’engager pleinement dans chaque tâche.

Passion et adaptation

Jean-Marie Delort souligne que ses études limitées n’ont jamais été un frein. Sa passion pour la psychologie, son sens des valeurs et son attachement aux relations humaines ont guidé son ascension. « Tout était programmé, et chaque expérience m’a préparé à la suivante », affirme-t-il.

Il compare le monde du tourisme à un petit État avec ses propres codes : « On est comme un petit État dans un État, avec un gouvernement, un peuple, une culture spécifique. Comprendre ce fonctionnement est essentiel pour réussir. » Selon lui, l’important n’est pas d’éviter les défis, mais de savoir les relever. Il insiste sur le respect de la culture professionnelle propre à l’hôtellerie et sur l’importance de traiter chaque client comme un être humain, avec attention et empathie.

Sacrifices du métier

Travailler dans le secteur hôtelier exige des sacrifices. Les horaires sont souvent intenses, surtout pendant les périodes de forte affluence touristique. Jean-Marie Delort confie que concilier vie professionnelle, sociale et familiale n’a pas toujours été facile. Il précise : « La vie dans l’hôtellerie est parfois une ‘prison’ temporaire, mais elle permet de grandir et d’apprendre ». Ce témoignage, il l’a déjà livré dans l’ouvrage de Monique Dinan Église & Monde du Tourisme à l’Île Maurice, disponible en librairie. Très impliqué dans la Commission diocésaine du tourisme, il regrette de ne pouvoir assister cette année à la messe annuelle du Tourisme, prévue très bientôt. « Je verrai comment y participer à distance », ajoute-t-il avec émotion.

Il confie que la retraite a été un moment de réapprentissage de la vie sociale et familiale. « Après plus de trente ans dans un ‘autre pays’, il faut réapprendre à vivre à l’extérieur du monde hôtelier. Les repères changent, tout semble nouveau », raconte-t-il. Il ajoute qu’il s’intéresse particulièrement à l’intersection entre tourisme et pratiques d’hospitalité, en analysant les dynamiques entre visiteurs et communautés locales. Il utilise des méthodes qualitatives comme le travail de terrain, l’ethnographie et l’observation participante pour comprendre comment les sociétés abordent l’art de recevoir. Il insiste sur la dimension humaine : « Mon approche repose sur l’humain. L’hospitalité favorise l’empathie, la compréhension et les échanges culturels. Chaque interaction crée un souvenir durable. »

Traditions et évolutions

Selon lui, l’hospitalité mauricienne reste authentique, malgré l’arrivée d’étrangers dans le secteur. Les sourires, les gestes simples et l’attention portée aux visiteurs sont au cœur de la culture locale. Il regrette cependant la standardisation excessive et la perte de la touche mauricienne dans certains établissements. Pour lui, chaque interaction, même la plus simple – comme offrir un café – devrait rester marquée par la chaleur et le sourire mauricien. Or, la standardisation tend parfois à effacer cette richesse. 

Paul T. Jones a été un vrai gourou pour moi, il m’a enseigné l’importance de la discipline et de l’excellence. Andrew Slome m’a poussé à dépasser mes limites et à voir plus loin»

Au lieu d’imposer des normes strictes pour limiter les déplacements des touristes et les inciter à rester dans les hôtels avec le « all inclusive », Jean-Marie Delort plaide pour une éducation des commerces locaux, afin qu’ils élèvent leur niveau et leur qualité de service. Selon lui, cela permettrait aux visiteurs de rencontrer les habitants, de découvrir la diversité culinaire du pays et de vivre une expérience plus authentique. Il souligne également qu’il est essentiel de faire comprendre que les touristes ne sont pas des pigeons à plumer, et qu’il ne faut pas leur imposer des prix exorbitants pour tout ce qu’ils achètent.

Alors qu’on débat de créolité, de mauricianité et de la promotion du créole au Parlement, Jean-Marie Delort constate qu’à l’hôtel, un Mauricien doit souvent s’exprimer en anglais face à un employé qui ne connaît pas la langue locale. Un touriste souhaitant recevoir le fameux sourire mauricien en demandant un café ne bénéficie pas toujours d’une interaction authentiquement mauricienne, mêlant gestes et nuances culturelles. Il en va de même pour la femme de chambre, qui pourrait apporter une touche locale dans la décoration de la chambre. Mais, selon lui, en imposant des normes strictes et en recrutant des étrangers dans le secteur, cette touche mauricienne se perd progressivement.

Selon lui, cet univers trop « rigide » pourrait décourager les jeunes à s’engager dans le secteur. Reprenant son image du tourisme comme un « État dans un État », il considère que l’employé y est parfois comme un « prisonnier », malgré les avantages qu’il peut y trouver au service d’autres entreprises où elles sont mieux valorisées. Jean-Marie Delort reconnaît toutefois qu’il est difficile de comparer le salaire d’un serveur travaillant dans un hôtel à celui d’un employé dans un petit restaurant, et il souligne que l’accueil ne devrait jamais être mesuré de manière mécanique, mais rester avant tout naturel et humain. Il regrette aussi les inégalités entre employés mauriciens et étrangers, qui découragent nombre de jeunes talents. Beaucoup finissent par quitter le pays pour valoriser leurs compétences ailleurs.

Formation et transmission

Jean-Marie Delort est convaincu que la formation des jeunes devrait inclure le leadership social et l’intelligence relationnelle. Actuellement, il suit des cours à l’Institut Cardinal Jean Margéot et estime que ces compétences devraient être enseignées dès le secondaire.

Son objectif est de transmettre son savoir et son expérience. Il souhaite inspirer les jeunes et leur montrer que l’hôtellerie peut être un espace d’épanouissement et de développement personnel, tout en valorisant les compétences humaines et la culture locale. Il les encourage à embrasser ce métier, car il permet de partir à la découverte du monde intérieur – celui des relations humaines, des cultures et des valeurs – sans même avoir besoin de quitter l’île.

Et cette passion ne s’arrête pas là. Jean-Marie Delort se voit désormais partir à Rodrigues, une île où l’hospitalité est reine, présente dans chaque famille et entre les habitants qui tous se connaissent. Il souhaite y explorer ce phénomène et y apporter sa touche professionnelle, notamment auprès des jeunes et à travers l’ouverture d’une Guest house hors du commun. Ce nouveau complexe, d’un concept inédit par rapport à ce que l’île propose actuellement aux visiteurs, sera un lieu d’accueil par excellence – un espace où l’on vient apprendre des Rodriguais autant que l’on partage avec eux.

Futur du tourisme

Pour Jean-Marie Delort, le tourisme et l’hospitalité ne sont pas seulement des métiers, mais des vecteurs culturels et sociaux. Il plaide pour une approche plus ouverte, permettant aux touristes de découvrir la diversité culinaire et culturelle du pays au-delà des hôtels.

Il met en avant la nécessité de valoriser les relations humaines et de ne pas se limiter aux normes et standards. « L’accueil ne se mesure pas en étoiles. Il se mesure à l’intensité des liens tissés entre l’hôte et l’invité », souligne-t-il.

Après 33 ans dans l’hôtellerie, Jean-Marie Delort ne regrette rien. Sa carrière lui a permis de s’épanouir pleinement et de développer une intelligence humaine et émotionnelle rare. Marié et père de deux enfants, il les encourage à tracer leur propre chemin, loin des contraintes de son parcours.

Il considère que son métier a façonné sa vision du monde et sa compréhension des relations humaines. Chaque sourire, chaque geste d’accueil et chaque interaction constituent un apprentissage et un héritage qu’il souhaite transmettre aux futures générations.

Une vie au service de l’hospitalité

Jean-Marie Delort incarne la passion, la persévérance et la réflexion dans le monde de l’hôtellerie. Pour lui, l’hospitalité est bien plus qu’un métier : c’est un art, une culture et une science sociale. Son engagement et ses recherches permettent de comprendre l’importance de l’accueil, de l’empathie et de la transmission, autant pour l’industrie que pour la société mauricienne dans son ensemble.

De serveur à anthropologue reconnu, Jean-Marie Delort illustre combien le travail, l’expérience et l’intelligence humaine peuvent transformer une vie et enrichir un secteur entier. Pour lui, l’hospitalité est bien plus qu’un métier : c’est un art, une culture et une science sociale.

Dans le livre de Monique Dinan, Jean-Marie Delort témoigne également que travailler dans l’hôtellerie lui a permis de comprendre que l’accueil ne se résume pas à des gestes techniques ou à un savoir-faire bien rodé. « Il s’agit avant tout d’une dynamique humaine, où chaque interaction crée une émotion, une sensation, un souvenir. » dit-il. 

 

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