Interview

Hector Espitalier-Noël, CEO du Groupe ENL : «Nous sommes des entrepreneurs avec une stratégie de diversification claire et nette»

Hector Espitalier-Noël

Le Chief Executive Officer du groupe ENL se montre optimiste quant à une accélération de la croissance cette année. Il estime cependant qu’il est temps de trouver des solutions à tout ce qui ralentit le business à Maurice, comme la circulation routière et la fiabilité de la fourniture en eau et en électricité.

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On présente 2017 comme l’année de la reprise. Partagez-vous cet avis ?
L’économie nationale n’a jamais cessé de croître durant la dernière décennie alors même que celle de nos principaux partenaires économiques a connu une stagnation. Il y a néanmoins de bonnes raisons de croire que cette croissance va s’accélérer cette année. Les smart cities commenceront à prendre forme, avec un effet multiplicateur sur l’économie nationale : relance de la construction, création de nouveaux emplois, hausse du niveau d’investissement local et étranger, démarrage de nouvelles activités économiques…

Dans les secteurs établis, l’industrie du tourisme est entrée depuis 2015 dans un cycle de croissance nourri par une meilleure desserte aérienne, l’enrichissement de l’offre touristique, le développement du marché asiatique et un marketing plus ciblé de la destination. La conjoncture se prête à un remplissage optimal de nos hôtels et invite à la concrétisation de nouveaux projets ainsi qu’à la rénovation des hôtels existants.

Les amendements récents à la Sugar Industry Efficiency Act incitent à l’optimisation des produits dérivés de la filière canne, rémunèrent mieux les producteurs et améliorent le cadre dans lequel le développement immobilier se fera. Le secteur des services financiers a montré une bonne résilience à la suite de la révision du traité avec l’Inde et je suis confiant que le savoir-faire mauricien en la matière saura apporter à ce secteur la valeur ajoutée qui, seule, pourra en assurer la pérennité.

Les développements infrastructurels annoncés, notamment dans le port et dans la zone aéroportuaire, devraient aussi apporter une belle dynamique à l’économie nationale – dynamique qui sera sans doute soutenue par une plus grande ouverture du pays vers l’étranger, comme le préconise le gouvernement. Tous ces facteurs devraient se conjuguer pour avoir un impact positif sur la consommation qui se maintient déjà à des seuils plus qu’acceptables, comme le démontre la fréquentation de nos centres commerciaux.

Quels sont les défis majeurs à relever ?
Notre capacité à innover est notre plus gros challenge. Nous sommes un petit pays avec peu de ressources naturelles mais nous avons une population imaginative, habile et créatrice. Utilisons cette force et faisons confiance à nos talents et à nos compétences pour faire évoluer les pratiques dans les secteurs où nous sommes déjà présents et pour oser sortir des sentiers battus et créer du nouveau. Notre groupe a mis en place deux instruments dédiés (la Turbine, un incubateur et accélérateur d’entreprises, et Compass, notre fonds de capital-risque) qui nous permettent de nous plonger dans le monde de l’innovation, notamment en soutenant des entreprises avant-gardistes.

Qu’en est-il de la parité monétaire et de la qualité des infrastructures ?
Nous souffrons de la faiblesse de l’euro et de la force du dollar. Ceci rend la tâche difficile pour la majorité des entreprises mauriciennes dont les recettes sont tributaires de l’euro alors qu’un bon nombre d’intrants s’achètent en dollars. L’exception notable est sans doute le secteur des services financiers où les échanges se font principalement en dollars. Il serait judicieux d’utiliser les instruments monétaires pour aider à pallier ces difficultés ; je pense notamment au taux d’intérêt qui pourrait être rabaissé, incitant le secteur privé à investir davantage.

Pour ce qui est de la qualité des infrastructures publiques, nous sommes heureux des nombreux projets annoncés par le gouvernement et sommes impatients de les voir aboutir. Il y a urgence à améliorer sensiblement tout ce qui ralentit le rythme du business à Maurice : circulation et réseau routiers, capacité d’accueil et efficience portuaire et aéroportuaire, qualité de la connectivité, fiabilité des fournitures en eau et en électricité, aménagement d’infrastructures adéquates pour les plages et autres lieux publics, éducation et formation civiques pour développer le pays de manière responsable et durable…

«L’état est actionnaire de certaines entreprises. Il a le droit et le devoir de s’assurer de leur bonne gouvernance et ce, dans le meilleur intérêt de celles-ci.»

2017 est aussi l’année du démarrage de Moka City, présentée comme le projet le plus ambitieux d’ENL. Ou en sont les choses ?
Nous travaillons de concert avec les autorités concernées pour poursuivre le développement de Moka et en faire une ville intégrée. Nous avons d’ailleurs obtenu la letter of intention du Board of Investment l’année dernière. Il faut savoir que le groupe ENL a démarré l’urbanisation de la région de Moka il y a plus d’une dizaine d’années. Celle-ci propose déjà des services de proximité tels que commerces, écoles, universités, hôpitaux et centres sportifs. Le développement des zones identifiées dans notre plan directeur se poursuivra dans le cadre du programme Smart City Scheme. Moka City est une ville existante, en perpétuel mouvement et qui, en tant que tel, est amenée à se développer davantage dans les années à venir.

Elle traduit notre vision d’une ville intégrée et connectée depuis plus de dix ans déjà. Nous y avons déjà lancé et soutenu de nombreux projets qui ont fait évoluer le profil économique et social de la région. Ainsi, le quartier de Bagatelle avec son Mall, sa Motor City, son Office Park et ses résidences exclusives, met en avant un style de vie urbain et sophistiqué. Le village intégré Les Allées d’Helvétia avec son centre sportif et de bien-être, son centre commercial et ses résidences, propose un cadre de vie semi-urbain à proximité d’écoles, d’universités, d’hôpitaux et de bureaux.

La smart city va donc connecter ces quartiers, permettant à chacun de s’étendre et de se développer à travers une urbanisation responsable. À long terme, la zone de Bagatelle, Telfair, Les Allées d’Helvétia, Vivéa Business Park et Saint-Pierre, seront connectés à travers un ensemble d’infrastructures et un réseau de transport moderne, assurant une gestion des espaces communs améliorée et une utilisation efficiente des ressources tout en créant de nouveaux pôles d’activités économiques. Et nous ferons tout cela en préservant l’âme de Moka et en respectant le plan d’urbanisation que nous avons dessiné pour elle il y a dix ans.

D’autres projets de ‘smart cities’ ne vont-ils pas tuer Moka City dans le contexte actuel ?
Plusieurs smart cities émergeront dans les années qui viennent et obligeront chaque promoteur à utiliser ses meilleures cartes. Je suis pour ma part confiant que Moka saura faire jouer ses nombreux atouts, située comme elle l’est au cœur de l’île et au confluent des grands axes routiers, jouissant d’un climat exceptionnel et bénéficiant déjà de nombreuses infrastructures qui constituent la base solide sur laquelle la ville est développée.

Vos détracteurs tendent à déplorer un accaparement du monde des affaires par les Espitalier-Noël. Comment réagissez-vous face à ces remarques ?
ENL est un groupe d’affaires diversifié et nous sommes constamment à la recherche d’opportunités de croissance, à Maurice aussi bien qu’à l’étranger. Nous sommes des entrepreneurs avec une stratégie de diversification claire et nette. Pour le reste, Maurice est une économie libre et ouverte et chacun peut y investir et s’y investir, comme il le veut, dans le respect des règles.

ENL est aussi un groupe profondément mauricien. Nous contribuons au développement de notre pays depuis près de deux siècles, lui apportant une expertise et un savoir-faire dans plusieurs secteurs de l’économie. Nous prônons une approche participative au business, opérant en étroite collaboration avec nos partenaires. C’est dans cet esprit que nous avons été l’un des premiers groupes à ouvrir son capital sur la Bourse de Maurice. Aujourd’hui, le groupe ENL compte plus de 5 000 actionnaires.

La fin de l’année 2016 a été marquée par l’adoption d’un ‘Code of Corporate Governance’. Est-ce pour diluer une certaine opacité qui règne au niveau des Boards du privé ?
Le Code of Corporate Governance existe depuis 2003. Il s’ajoute aux dispositions de la Companies Act, des Listing Rules de la Bourse et des autres lois et règlements pertinents pour assurer que les entreprises soient gérées de manière transparente et responsable. ENL souscrit sans réserve à ce code de conduite et nous apprécions que celui-ci soit régulièrement mis à jour, comme cela a été le cas l’année dernière.

Quelle sera la stratégie du groupe cette année, sachant que enl est passé de la septième à la onzième place en 2016 en termes de profits ?
Nous avons le plus grand respect pour nos pairs dont les performances ont été meilleures que les nôtres et nous nous en inspirons pour améliorer nos propres performances. Nous poursuivons pour notre part une stratégie à long terme : nous sommes confiants que les bonnes décisions prises aujourd’hui apporteront des retours pérennes. C’est dans cet esprit que nous poursuivons notre stratégie de base qui est d’optimiser la valeur de nos actifs, durablement.

On parle d’ingérence politicienne au niveau de certaines compagnies cotées en Bourse. On a récemment vu ce qui s’est passé au sein d’Air Mauritius.
L’état est actionnaire de certaines entreprises et en tant que tel, il a le droit et le devoir de s’assurer de leur bonne gouvernance et ce, dans le meilleur intérêt de celles-ci.

Une situation particulière retient l’attention au sein de New Mauritius Hotels, où l’actionnariat d’ENL aurait dépassé les 30 %.
NMH est un des pionniers de l’industrie du tourisme et ENL en est un des actionnaires depuis plusieurs décennies. La décision d’ENL d’acheter des actions additionnelles de NMH en février 2016 a été guidée par l’opportunité et par la très forte conviction du groupe dans le potentiel de l’industrie du tourisme mauricien ainsi que dans l’avenir de la compagnie. La participation d’ENL – directement et à travers sa filiale Rogers – au capital de NMH est actuellement de 29,8 %. Ceci est un fait incontestable et il dément la perception erronée de certains à l’effet que nous aurions dû faire une mandatory offer lors de notre dernier achat d’actions de NMH. Les règles gouvernant les entreprises cotées en Bourse obligent effectivement un actionnaire qui détient plus de 30 % du capital d’une entreprise à faire une offre d’achat à tous les autres actionnaires. Cette disposition ne s’appliquait pas à ENL puisque l’actionnariat de notre groupe reste en dessous de la barre des 30 %.

Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur « l’amalgamation » d’ENL Land et ENL Investment?
Cette fusion de deux filiales du groupe ENL date maintenant d’un an. L’objectif était de rapprocher une entreprise avec une base d’actifs conséquente (ENL Land) avec une autre qui avait une force opérationnelle exceptionnelle (ENL Investment) et de donner ainsi naissance à une entreprise de taille (ENL Land), avec des actifs évalués à plus de Rs 55 milliards et un cash-flow opérationnel de plus de Rs 1 milliard. De plus, les intérêts des actionnaires minoritaires sont maintenant alignés et donc plus faciles à gérer. Le renforcement de nos intérêts dans l’hôtellerie, nos investissements dans l’innovation et le développement de Moka sont les premiers résultats du dynamisme renouvelé d’ENL Land.

 

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