Interview

Geerish Bucktowonsing, président du MACOSS: «L’alcoolisme et la toxicomanie touchent toutes les communautés»

Geerish Bucktowonsing s’attarde sur les fléaux qui gangrènent notre société, allant de la surconsommation d’alcool à la hausse du nombre de jeunes toxicomanes. Pour le président du Macoss, la situation de la drogue n’est pas irréversible, car, dit-il, « nous savons comment intervenir (…) pour enrayer ces fléaux. »

Publicité

La campagne du Mauritius Council of Social Service (Macoss), « L’excès d’alcool peut tout détruire », est-elle une réponse à une situation chiffrée plus alarmante qu’auparavant ?

Oui, puisqu’on est dans une situation marquée par la consommation excessive d’alcool. Les années passent et la situation empire. Ce n’est pas faute de campagnes de sensibilisation auprès de la population sur les conséquences désastreuses de l’alcoolisme sur la famille, au travail et sur la santé. Il faut un regard sociologique. Depuis que Maurice est entré dans l’ère de l’industrialisation, au milieu des années 80, la population est entraînée dans la spirale de la surconsommation, qui devient parfois un fardeau financier pour les familles moyennes et modestes. Aux problèmes des ménages endettés, il faut ajouter la précarité de certains emplois et le stress qu’elle occasionne. Dès lors, on comprend que certaines personnes croient échapper à ce stress en s’adonnant à l’alcool. Quant aux chiffres, il suffit de citer le nombre d’accidents et de crimes commis sous l’influence de l’alcool.

Certains pensent trouver le bonheur dans ces fléaux...
C’est ce que les poètes désignaient comme les paradis artificiels. En fait, c’est notre définition du bonheur qui est remise en question. Au lendemain de l’indépendance, nos grands-parents s’étaient fixé comme objectif l’éducation de leurs enfants. Et cela a prévalu jusqu’aux années 1990-2000, qui préfigurèrent une société de consommation à laquelle nous n’étions pas préparés. Mais nous y sommes et il n’est plus question de sombrer dans la nostalgie. La jeunesse mauricienne suit une culture qui emprunte aux tendances internationales, puisque nous sommes à l’ère de la mondialisation. Nous ne pouvons jeter le bébé avec l’eau du bain, il nous faut plutôt réfléchir comment rééquilibrer les tendances. Il nous faut redonner un sens au mot bonheur.
« (…) les personnes qui se laissent piéger sont des chômeurs, des recalés du système éducatif et qui ne voient aucun espoir de lendemains meilleurs »

 Dans un récent rapport, le National Economic and Social Council (NESC) a fait ressortir que le taux d’alcoolisme chez la femme était passé de 28 % en 2004 à 34 % en 2009...

C’est exactement ce genre de chiffres qui fait peur. On comprend que la femme a besoin de travailler elle-aussi et aucune loi ne lui interdit de boire un coup, mais c’est l’excès qu’on condamne. N’oublions pas que les tavernes des années 70-80 ont laissé la place à des pubs équipés de Wi-Fi, situés dans des grandes galeries commerciales, et qui rendent plus facile l’accès aux femmes professionnelles. Prendre un verre dans un de ces endroits huppés est devenu chose banale pour elles depuis la transformation de Maurice en société moderne. N’oublions pas aussi l’influence de Bollywood, cela fait donc très tendance. Mais le rapport ne cible pas que les femmes : Il fait ressortir que parmi 72 % de Mauriciens, âgés entre 13 et 15 ans, 69 % ont déjà consommé des boissons alcoolisées. Et il faut savoir que la consommation d’alcool parmi les jeunes est passée de 20,8 %, en 2007 à 25,2 % en  2011. On ne peut pas rester les bras croisés. Voilà pourquoi nous avons lancé cette campagne, en faisant appel aux témoignages de ceux qui ont connu l’enfer de l’alcoolisme et en mettant l’accent sur les valeurs familiales. C’est une approche de proximité, pas de discours. On se rend au cœur même des communautés, là où le message peut être entendu et assimilé.

Êtes-vous sûr que ces communautés sont réceptives à vos messages ?

Oui, parce qu’elles viennent nous écouter sans qu’on les y oblige. Puis, elles se rendent compte que le message est important lorsqu’ellles voient les élus, députés et ministres présents. Enfin, les Mauriciens suivent l’actualité, ils comprennent la gravité de la situation.

A-t-on un profil des groupes vulnérables ?

On ne peut parler de groupes, parce que l’alcoolisme et la toxicomanie touchent toutes les communautés et couches sociales. Mais, le matin, lorsqu’on croise un individu, jeune ou vieux, kouma dir zis kolonn ki pe tini li, on sait ce qu’il a consommé. De manière générale, les personnes qui se laissent piéger sont des chômeurs, des recalés du système éducatif et qui ne voient aucun espoir de lendemains meilleurs, des personnes qui ont connu des ruptures émotionnelles ou qui ont échoué face au système. Puis, il y a une absence terrible de loisirs. Quand je suis arrivé à la direction du Macoss, j’ai essayé de promouvoir la natation. Mais il faut mobiliser de gros moyens pour créer des piscines publiques à travers toute l’île. On participe également à l’initiation au yoga. Mais, au final, c’est à l’individu de faire l’effort de s’en sortir pour reprendre goût à la vie. La reconstruction doit être la fois physique et mentale.

Venons-en au problème de la drogue. Les ONG ont-elles assez été vigilantes face au fléau de la drogue de synthèse ?

Oui… La communication est régulière avec les ONG. Nous connaissons la gravité de la situation, mais à eux seuls, ni les travailleurs sociaux, ni les autorités ou encore le milieu de l’enseignement ne pourront gagner ce combat.

Pourquoi ?

Parce que sa circulation échappe aux circuits de distribution traditionnels. Elle se fait via les smartphones et les réseaux sociaux, qui sont des instruments de communication « jeunes ». En fait, cela participe à une perversion de la culture « jeune ». Dans certains groupes, il peut paraître ringard de ne pas consommer ces drogues… Aussi faut-il absolument démystifier cela en démontrant leur caractère éminemment mortifère. Pour ce faire, il faut que les parents prennent leurs responsabilités, plutôt que de chercher des boucs émissaires. Ils sont les premiers responsables de leurs enfants. Les profs, eux, ont d’autres fonctions. C’est pourquoi notre message s’adresse d’abord à eux, au sein même de leur communauté. Nous en appelons à leur vigilance, mais il faut bien se dire que nous avons affaire à une situation de nature nationale. Au Macoss, nous mobilisons toutes nos ressources, en nous appuyant sur l’apport des élus, des ONG, des comités de quartier et des entreprises. La situation n’est pas encore irréversible, car nous savons comment intervenir sur le terrain pour enrayer ces fléaux en tenant compte de leurs particularités.  


   

Un travailleur social acharné

Dès son élection à la présidence du Macoss en 2013, Geerish Bucktowonsing s’est fait une promesse : ne jamais grappiller les billets d’avion. Ingénieur de formation, titulaire d’un MBA, ce Portlouisien de souche s’était engagé à assainir les finances du Macoss, dont l’ardoise avoisinait quelque Rs 8 millions. « Grâce à une gestion rigoureuse, l’année prochaine, nous pourrons effacer cette dette. » En fait, il est tant apprécié par la quasi-totalité des membres de l’organisation qu’il a été reconduit à deux reprises à la présidence. « Il fallait insuffler une nouvelle dynamique, avec des projets innovants et d’intérêt national. Aujourd’hui, une de mes priorités est d’apporter la réforme dans notre structure afin que les ONG puissent fonctionner dans la sphère civile. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !