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Gaston Valayden, homme de théâtre et créateur : «Pran tou ek mwa, me zot pa pou gagn mo fierte koz kreol»

Le regard franc et sérieux d’un homme de fortes convictions.
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À 76 ans, Gaston Valayden demeure un fervent défenseur de la langue créole, « nou mama lalang ». À travers la Trup Sapsiway, il fait vivre ses pièces en kreol morisien afin de pousser à la réflexion et donner à notre langue maternelle la place qu’elle mérite.

Certains esprits obtus associent la langue créole à une simple identité ethnique. Farfelu, estime Gaston Valayden, homme des planches qui porte un amour fou, fou, fou « pou sa lalang maternel-la, ki fer nou vibre ansam ». Pour lui, « lalang mo fami, mo pei, pa bliye sa ». S’il manie parfaitement l’anglais et le français, c’est en créole qu’il s’exprime le mieux « pou fer dimounn konpran ki nou Morisien ».

Sa passion pour le théâtre, les planches et les messages codés est née alors qu’il n’était pas plus haut que trois pommes. Gaston Valayden est tombé dans une marmite quelque peu avant-gardiste. À 7 ans, alors que des gamins de son âge jouaient au « fizi voler », « servolan », « sapsiway », « kanet », « boul kaskot », lui suivait avec une gourmandise étonnante ses aînés de la troupe Joukal du 2nd Tamil Scouts Literacy Circle à Buckingham, Rose-Hill, composée de Somoo Valayden, Tirvengadum, Bungaroo, Harry Saminaden (qui a obtenu plusieurs fois le titre de Best Actor lors du Youth Drama Festival). Ils en étaient les initiateurs. 

S’il manie parfaitement l’anglais et le français, c’est en créole qu’il s’exprime le mieux «pou fer dimounn konpran ki nou Morisien» 

La route Hugnin à Rose-Hill était un quartier oublié, voire désabusé, mais qui avait ceci de particulier : l’entente entre « bann diferan fami, misilman, kreol, malbar, tamoul, sinwa, enn vre kari melanz ki ti normal pou nou. Pa ti ena zistwar pa tous nou bann, protez nou montagn, etc. », se souvient Gaston Valayden. C’est ainsi que, de fil en aiguille, il commence à capter des extraits de grands crus de la littérature anglaise, principalement des œuvres de William Shakespeare. Il avoue qu’il écoutait sans rien comprendre et qu’à force d’assister aux répétitions de ses aînés qui participaient souvent à des compétitions nationales de théâtre, il a fini par enregistrer inconsciemment des passages littéraires complexes, comme 
« Julius Cesar », un classique des classiques. Il se remémore encore de l’une des répliques de Mark Anthony dans « Julius Cesar » : « Friends, Romans, countrymen, lend me your ears… »

Il ne savait pas que, bien que poussé vers les sciences au collège et à l’Université de Maurice (UoM), il allait devenir l’un des fervents défenseurs du kreol morisien. Si la langue de l’empire britannique et celle de Maupassant ne lui sont pas étrangères, c’est sa langue maternelle, prônée par ses proches, ses amis de la route Hugnin, au collège Royal de Curepipe et à l’UoM, qui prédominera durant son parcours d’homme des planches.

Avec son ami de toujours, Dharma Mootien, Gaston Valayden fonde la Trup Sapsiway. Lieu de rencontre : une partie d’un petit bloc commercial qui lui appartient, jouxtant sa cour. Ici, à Camp-Levieux, dans la banlieue de Rose-Hill, on découvre un bâtiment assez ordinaire, non peint à l’extérieur, avec sur le mur une inscription tracée : « Trup Sapsiway ». « Je suis fier d’avoir cet espace pour faire s’épanouir et vivre les pièces que j’ai écrites. La pièce n’est pas immense, mais cela m’évite d’aller quémander des sponsors qui, pour la plupart, font du tri, pratiquent presque de l’apartheid intellectuel, car je pense que le kreol morisien fait encore tiquer ces gens dits bien-pensants, sauf pour un ‘happy few’. »

Il ne craint rien, tant qu’il a « lalang mo mama, mo fami ek mo pei pou mo defann mwa»

L’intérieur du théâtre ? Un écrin brut, dépouillé. Une centaine de chaises en plastique, des murs noirs, une scène en bois, un sol de ciment. Rien de plus. Et pourtant, quelle atmosphère ! Les spots dessinent des jeux d’ombre, les planches de la scène résonnent sous les pas. Ici, pas de chichi, pas de fioritures. Juste la littérature créole, dans toute sa pureté, qui règne en maître.

Ici, le luxe aurait été une dissonance. Dans ce lieu, ce sont les mots, crus et authentiques, les gestes précis, les visages éclairés par les seuls projecteurs qui comptent. Le phrasé, soigné, et le respect scrupuleux du scénario sont les véritables acteurs de la scène.

Quand Gaston Valayden a joué « Li » en août dernier dans son théâtre de Camp Levieux, il y avait foule. C’était places réservées, sans passer par un quelconque réseau de professionnels en communication, qui perçoivent un pourcentage sur la billetterie. Il a opté pour le concept « Plateau à la porte ». « Ki ou met enn kwin Rs 5, enn biye Rs 25 ou plis depann ou mwayen, me mo pa fer kado pou evit fer asistana. Mo invit bann dimounn dan landrwa ek mo dir zot met enn ti kas, zis pou fer zot konpran ki zot bizin fer enn zefor pou gagn kitsoz an retour », explique-t-il.

« Li » a été joué sous nos regards : Gaston Valayden en chef policier et responsable des cachots de jeunes militants du Club des Étudiants, dont Paul Bérenger et Dev Virahsawmy, arrêtés ; le jeune policier, le planton de service et la maîtresse du policier. Les acteurs jonglaient avec le kreol morisien, utilisant des expressions propres à notre langue maternelle et relevant des travers qu’on colle souvent aux basques de policiers en service.

Gaston Valayden se veut tout petit devant l’immensité des défis qui attendent notre pays, une île Maurice qu’il chérit tant. Il a été enseignant par défaut, mais ne le regrette aucunement. Il avoue avoir trouvé la plénitude d’esprit dans le kreol morisien. Et comme Florent Pagny avec « Ma liberté de pensée », il revendique fièrement : « Pou mwa, lalang kreol pena lezo. Pran tou ek mwa, me zot pa pou gagn mo fierte koz kreol, mo langaz, mo lavi, mo tou. » 

« Mo santi mwa alez kan mo exprim mwa an kreol, enn zoli lalang mo dir ou », nous dit tout sourire un Gaston Valayden qui voit la vie, depuis des années, non pas à travers un rétroviseur ou un binocle, mais avec le recul d’un sage. Oui, il ne craint rien, tant qu’il a « lalang mo mama, mo fami ek mo pei pou mo defann mwa ».

Scientifique littéraire

Il est connu comme un homme des mots, un homme des lettres, un homme des livres, un homme de tout ce qui a trait à l’art littéraire. Et pourtant, c’est la filière scientifique (chimie, physique, maths) qu’il a étudiée au collège, avec tout ce que ces matières charrient à leurs basques en termes d’investissements, d’apprentissage et d’heures de révision. Comment l’expliquer ? 

La réponse est toute simple. Auparavant, ce sont les parents et les proches qui tiquaient les grilles du choix de sujets du Higher School Certificate (HSC) pour leurs enfants. D’où le fait que Gaston Valayden a dû mettre une croix sur la filière classique, avec la littérature, l’histoire, le latin, etc., son dada.

Son HSC en poche, il s’engage à l’Université de Maurice en optant pour un diplôme en Mechanical and Electrical Engineering qui le mènerait vers un emploi d’Assistant Engineer. Par défaut, il devient éducateur au collège du St-Esprit durant 20 ans, enseignant les maths et la physique et le théâtre à ses heures perdues.

Son intelligence a été un atout précieux tout au long de sa vie. Il a su la mettre à profit tant dans sa carrière d’enseignant que dans sa passion pour la création littéraire en créole, qu’il met en scène avec brio avec la Trup Sapsiway.

Ses amis du RCC 

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Gaston Valayden a des amis de classe et de travail qui ont tous fait leur chemin au niveau professionnel.

À cette époque, il y avait la bourse, pas le Primary School Achievement Certificate (PSAC), qui a remplacé le Certificate of Primary Education (CPE). Les « happy few », dont faisait partie Gaston Valayden, prenaient le chemin qui menait vers le Royal College of Curepipe (RCC). Qui ont été ses camarades de classe et de récré ? Citons Navin Ramgoolam, Ajay Gunness, Lindsay Rivière, Megh Pillay, le Dr Rajcoomar, le Dr Ujodah, Carl de Souza. Rien que ça…

Que sont-ils devenus, ses chers amis des bancs du RCC ? L’un, fils de…, est devenu politicien et a assumé les fonctions de Premier ministre, les autres occupent des postes à haute responsabilité. « Zot tou finn reisi », lâche Gaston Valayden.  

« Li » à l’UoM

À l’époque de ses études à l’UoM, Gaston Valayden est surtout un meneur d’hommes, du fait de son statut de président des étudiants. Bien que les pièces en créole soient censurées à cette époque, pourtant post-indépendante, il décide de faire jouer la pièce de Dev Virahsawmy, 

« Li ». « J’avais réuni un groupe d’étudiants conscientisés et solidaires qui étaient contre la répression du gouvernement de Sir Seewoosagur Ramgoolam et ensuite de Gaëtan Duval. On a quand même monté la pièce de Dev, ‘Li’. C’est l’histoire d’un homme (Paul Bérenger), emprisonné pour ses convictions politiques et foncièrement de gauche, avec ses amis du Club des Étudiants. L’écriture de cette œuvre a été couchée sur papier alors que Dev était camarade de cellule de Paul Bérenger. On a joué ‘Li’ malgré toute la pression du Registrar », raconte-t-il.

Ce même Registrar aura sa revanche le jour de la remise des diplômes à l’UoM. Il omet volontairement de mentionner que Gaston Valayden avait obtenu le « Mrs Lim Fat Gold Award ». Mais, le vice-Chancelier d’alors, M. Burronchobay, rectifiera cet impair en organisant un événement spécial pour lui, afin de lui remettre cette distinction.

Pour la petite histoire, « Li » avait obtenu le 1er prix de Radio France Internationale. Chapeau bas et un tendre clin d’œil à feu l’auteur Dev Virahsawmy, fervent militant de la langue créole, qui a su inculquer notre langue maternelle petit à petit dans l’ensemble du pays, ce qui a mené à sa véritable reconnaissance. Car, aujourd’hui, parler le kreol morisien n’est plus une tare, comme il le fut à une sombre période de notre histoire récente.

Gaston : de « nom gâté » à vrai prénom

Le Gaston que porte Sadasiven Valayden n’est pas un « nickname » ou un « nom gâté ». Ses parents – son père Manick, tailleur pour les gabelous aux Casernes, et sa mère Mani (dont le véritable prénom était Tangeti) – recevaient quelques fois un matelassier répondant au prénom de Gaston. « Quand j’étais gosse, j’aimais jouer avec Bolom Gaston, il me contait des histoires. Mes parents m’avaient surnommé Ti Gaston. Depuis, et officiellement, le prénom Gaston est noir sur blanc sur mon acte de naissance, avec celui de Sadasiven. » 

Morisien avan ki Tamoul

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Aîné d’une fratrie de six enfants, dont trois sœurs, père d’un fils, Dhiren, 45 ans, enseignant en droits humains à New York marié à une Américaine d’origine sud-coréenne, Gaston Valayden est grand-père d’une petite-fille prénommée Rhoo. À 76 ans, il est de cette génération, tout comme l’ont été d’autres camarades, nommément Dev Virahsawmy, qui se sent fils du sol avant tout. « Mo finn ne dan enn fami tamoul, normal ki mo orizinn bizin tamoul, parski dan dizef poul pa kapav gagn ti kanar. Me, mwa mo santi mwa plis Morisien ki tamoul. Dayer, mo pa al kovil tousala, me mo respekte tou relizion kouma lezot bizin respekte mwa. Samem mo filozofi », déclare un Gaston Valayden quelque peu pensif en se remémorant les années passées.

Des pièces « pou sakouy lespri »

Entre l’écriture et lui, c’est, confie-t-il tout sourire, « koumadir enn per dal pouri, kole ansam ». C’est ainsi qu’entre sa vie d’enseignant, son rôle de père et d’époux, cet homme de lettres va se mettre à écrire des pièces aux saveurs satiriques. Il veut avant tout faire prendre conscience, secouer les esprits endormis, remettre en cause des a priori. Bref, passer des messages sur les travers de notre société un tantinet puritaine.

Gaston Valayden va composer une quinzaine de pièces pour les planches de la Trup Sapsiway avec son ami Dharma Mootien, dont la dernière, « Baraz », a été jouée pour le grand public au Caudan Arts Centre. De quoi parle-t-elle ? « Toute l’histoire est basée sur le ‘communalisme’ nourri par les politiciens de tous bords pour diviser afin de mieux régner. Ce sont deux voisins qui se bagarrent pour des raisons politiques. La devise est ‘sakenn protez so bann, sak zako protez so montagn. Finalman, se lanatir ki regle zot problem avek enn siklonn ki kraz zot de lakaz e zot oblize vinn res ansam ek lerla zot dekouver ki zot parey », explique-t-il. Cette pièce, comme les autres, ajoute-t-il, pousse les gens à la réflexion.

Parmi ses pièces, il y a « Zeneral Makbef », « Toofan », « Dr Nipat », « Galileo Gonaz », « Merchant of Moris », « Tempest », « Mediafoli » (l’emprise des médias qui monopolisent la pensée), « Le Nœud » (dénonçant le Sida, l’infidélité, la violence domestique et conjugale), « Fil mo servolan » (dénonçant notre système éducatif qui vole l’enfance et ses joies), « Abé Mwa » (sur la vengeance d’un père de famille qui a vu sa femme et ses enfants être tués par des voyous. Il attend leur relaxe, les enlève mais n’arrive pas à les tuer et pointe son arme sur lui-même). Ce texte « Abé Mwa » a reçu le Prix d’écriture théatrale d’Immedia.

Gaston Valayden a également joué à l’étranger, dont en Afrique et surtout en France, sous la houlette du réalisateur Vincent Colin. C’était pour « La Maison qui marchait vers le large » de Carl de Souza, son ami au RCC. Pure coïncidence… 

« Prezantasion Konstitision Moris version Angle-Kreol » ce lundi à l’UoM

Dans le cadre de la Journée mondiale de la traduction 2024, l’Union Kreol Morisien organise, le lundi 30 septembre, au Lecture Theatre 2 de l’Université de Maurice, à 13 heures, une « Prezantasion Konstitision Moris version Angle-Kreol Morisien par Prof. Arnaud Carpooran dan kad proze resers interinstitisionel » (Promoting Institutional Democracy through Language Access in Kreol Repiblik Moris and Digital Innovation). Ensuite, est prévue une « Prezantasion odio-viziel detrwa lartik Konstitision Moris ek Invitasion pou partisipasion/validasion popiler » par Christina Chan-Meetoo de l’UoM.

Peu après cette présentation audiovisuelle, place à « Esanz avek bann lingwist Liniversite Larenion lor bann devlopman resan lor Kreol Renione ».
L’accès est libre.

Enn lot regar lor kreol

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Pour Gaston Valayden, le kreol morisien est le ciment de notre nation mauricienne.

Si Sir Seewoosagur Ramgoolam et Sir Gaëtan Duval étaient résolument contre l’utilisation du kreol morisien dans des pièces de théâtre, c’est au début des années 80 que notre langue maternelle fait une percée, quoique timide, notamment lors de festivals. Le pionnier n’est nul autre que Dev Virahsawmy, fin intellectuel, un érudit de la langue de Shakespeare et de celle de Beaumarchais.

C’était à travers la mouvance du MMMSP (Mouvement militant mauricien socialiste progressiste) avec des têtes de série telles que Brigitte Masson, Dan Callikan, Alan Ganoo, Bam Cuttayen, Bruno Mooken et Micheline Virahsawmy (à travers le groupe culturel Soley Ruz, elle dénonçait le régime alors presque totalitaire, qui réprimait tout ce qui n’épousait pas sa politique et sa philosophie). « Si mo kriye Soley Ruz, savedir mo pe kriye liberte », chantait de sa belle voix rauque Micheline sous le kiosque à l’arrière du Plaza.

Kreol morisien nou mama lalang sa, kouma Moris nou mama later. Bizin pa kras lor li. Pena laont ladan

Le déclic de la langue créole viendra s’ancrer fermement dans notre quotidien avec l’avènement d’un gouvernement MMM/PSM en 1982. Le créole faisait son entrée aux JT de la MBC, « pa zis kouma aster dan bann program spesifik, kot personn na pa gete ». Des groupes culturels poussent comme des champignons, « la pies ‘Li’ finn mem zwe dan MBC, dimounn finn konpran ki lalang kreol merit so plas, li finn ne dan lasoufrans, se enn melanz dialek diferan tribi esklav ki finn vinn nou lalang ».

Pour Gaston Valayden, la langue créole a connu une évolution positive, elle est reconnue et admise à l’école et à l’université, il y a même des diplômes en cette langue : « Il faut saluer les efforts sans relâche de deux hommes : Dev Virahsawmy et Ram Seegobin avec Ledikasion Pu Travayer. Et aussi Vinesh Hookoomsing pour son combat pour la langue créole. »

Toutefois, le créole de Dev Virahsawmy est un tantinet difficile à lire, car phonétique, souligne-t-il. Désormais, il y a le créole écrit officiel et accepté de l’universitaire et chercheur Arnaud Carpooran. Le lexique et la grammaire sont des guides pour une lecture et une écriture aisées et compréhensibles, précise-t-il. « Kreol morisien kan servi li pou explik enn size dan klas, li rant dan latet fasilman ek permet kreativite ek konpreansion. Samem mo dir ki bizin met ek aksepte kreol morisien kouma ninport ki lezot lang, pena laont ladan. Nou mama lalang sa, kouma Moris nou mama later, bizin pa kras lor li, limem ki simant nou kouma enn nasion, enn vre, pa enn fer sanblan. Kreol morisien pena lezo, li bate kouma bizin ek kan bizin ek pa pou dir ninport. » 

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