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Frédéric Bontems, ambassadeur de France à Maurice : «Les Mauriciens ont choisi de rester attachés à la France»

La visite officielle d’Emmanuel Macron à Maurice marque un tournant diplomatique majeur après 32 ans d’absence d’un chef d’État français sur le sol mauricien. Pour l’ambassadeur de France, Frédéric Bontems, ce déplacement traduit notamment la volonté affirmée de Paris de renforcer ses liens politiques, économiques et culturels dans l’océan Indien.

Quelle est la signification de la visite officielle du président Emmanuel Macron à Maurice, les 20 et 21 novembre ?
Cette visite s’inscrit dans un double registre. Il s’agit déjà d’une promesse tenue : le président avait prévu de venir à Maurice en avril dernier, toutefois, à la suite de la mort du pape François, il a été contraint d’annuler pour pouvoir se rendre à ses funérailles. Il avait alors promis au Premier ministre qu’il reviendrait sur l’île avant la fin de l’année. C’est maintenant chose faite.

Ensuite, cette visite a lieu pour le président sur la route du G20 à Johannesburg. Il vient s’assurer que les intérêts de Maurice seront représentés en Afrique du Sud, tout en soulignant le partenariat avec la France à travers les défis de notre temps. Bien sûr, de nombreux autres sujets seront abordés, mais globalement, la visite du président Macron illustre l'importance que nous accordons aux relations avec Maurice sur des messages plus particuliers. Il lui appartiendra de les communiquer.

La France souhaite-t-elle renforcer ses liens avec les pays de cette région ?
Oui, absolument. La France est un État de l’océan Indien à travers à la fois La Réunion et Mayotte. La France est membre de la COI, et l’océan Indien est une région extrêmement importante pour elle. Pour la région, nous ne sommes pas simplement un partenaire. Nous sommes présents humainement et géographiquement. 

Maurice et La Réunion ont des stratégies très proches quant à la sortie des énergies fossiles pour aller vers des énergies renouvelables.»

L’océan Indien est actuellement d’une importance croissante, marquée par l’influence de la Chine et de l’Inde. La France s’inscrit-elle dans cette dynamique ?
Je laisserai le président en parler plus longuement lui-même. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les partenariats en matière de sécurité maritime font partie du programme de la visite.

Il est difficile d’évoquer cette visite sans aborder le dossier Tromelin, une question en suspens depuis de nombreuses années. L’accord de cogestion signé en 2010 entre Maurice et la France, mais jamais ratifié par l’Assemblée nationale française, pourrait-il être remis à l’agenda ?

Nous avons un différend juridique avec Maurice s’agissant de Tromelin, mais ce n’est pas un sujet de tension. Nous souhaitons résoudre cette question ensemble, par le dialogue. L’accord de 2010 que nous avons signé est une bonne base, mais le contexte politique ne se prête pas aujourd’hui à sa ratification.

Plus de deux siècles après la période coloniale française de Maurice, comment percevez-vous l’héritage français dans la société mauricienne ?
C'est une histoire que je trouve assez passionnante. La France a été présente à Maurice entre 1715 et 1810, au moment où les Britanniques ont pris le contrôle de l’île. Depuis 1810, c’est-à-dire depuis plus de deux siècles, la France n’est plus administrativement présente à Maurice. Cependant, l’héritage de la présence française est encore très présent. Il est présent naturellement dans les langues, le créole comme le français, ainsi que dans l’architecture et dans la tradition juridique. Les Mauriciens ont fait collectivement un choix de rester attachés à cette relation culturelle, historique avec la France.

Comment l’expliquer ?
Plusieurs éléments expliquent cette relation forte. Il y a d’abord une dimension géographique : la France est le voisin le plus proche de Maurice, avec La Réunion située à seulement 200 kilomètres. Il y a ensuite l’histoire : lorsque les Britanniques ont pris possession de l’île, ils ont peu modifié l’ordre en place. Les structures sociales et économiques ont été conservées. Cela a permis de maintenir des liens profonds avec la France, tant sur le plan linguistique qu’économique.

Le contexte politique ne se prête pas aujourd’hui à la ratification de l’accord de 2010 sur Tromelin.»

Est-ce une particularité propre à Maurice ou l’avez-vous vue ailleurs ?
C’est une particularité mauricienne. Il existe dans le monde d’autres territoires ayant changé de mains entre la France et le Royaume-Uni, mais qui n’ont pas conservé le même lien, notamment sur le plan linguistique. Je pense, par exemple, à Sainte-Lucie, dans les Caraïbes. Cette île est passée à plusieurs reprises sous domination française et britannique, avant d’être définitivement rattachée au Royaume-Uni à peu près à la même époque que Maurice. Aujourd’hui, Sainte-Lucie est créolophone et anglophone, mais le français y a disparu. 

La France est aussi l’un des principaux investisseurs à Maurice. Y a-t-il des secteurs spécifiques dans lesquels elle souhaite renforcer sa collaboration ?
Nous sommes présents à Maurice en tant qu’investisseurs à travers de nombreuses entreprises actives dans des secteurs variés. Cette présence s’accompagne également de concours financiers, notamment via l’Agence française de développement (AFD). Un exemple marquant est le secteur de l’eau, où la France joue un rôle important : il y a deux ans, l’AFD a accordé un soutien de 200 millions d’euros pour accompagner les politiques publiques mauriciennes dans ce domaine. 

D’autres financements sont en cours d’instruction, dont un de l’ordre de 100 millions d’euros envisagé pour l’an prochain. Nous sommes également très engagés dans l’économie circulaire et l’adaptation au changement climatique. Ce sont des défis que nous partageons avec Maurice et auxquels nous tâchons d’apporter des réponses communes.

Et le nouvel aéroport de Rodrigues ?
Concernant l’aéroport de Rodrigues, la France n’est aujourd’hui plus partie prenante. C’est un projet sur lequel il nous avait été demandé de nous engager, mais pour diverses raisons, nous nous sommes finalement retirés. L’extension de l’aéroport est désormais financée par l’Union européenne et la Banque mondiale. Cela étant dit, la France reste active à Rodrigues, notamment dans les domaines de l’eau et des énergies renouvelables.

Dans le domaine que vous avez mentionné, comment la France peut-elle venir en aide à Maurice ?
Il ne s’agit pas de venir en aide, mais de travailler ensemble. Nous avons des entreprises qui sont parmi les plus performantes au monde dans le domaine de la gestion de ce qu’on appelle les services publics urbains marchands, qu’il s’agisse de l’électricité, de l’eau, ou du transport. Elles peuvent se mobiliser et apporter des solutions techniques d'excellence pour Maurice. Nous avons des possibilités de concours financiers. 

Et puis, il y a la possibilité d’échanger des expériences et de partager notre compréhension du sujet. La Réunion est confrontée aux mêmes défis que Maurice : changement climatique, économie circulaire, gestion des déchets et transition énergétique. Les deux îles ont d’ailleurs des stratégies très proches quant à la sortie des énergies fossiles pour aller vers des énergies renouvelables, notamment en passant par la biomasse. Nous pouvons travailler sur ces complémentarités, échanger les expériences et voir comment collaborer ensemble.

Le recyclage des déchets est un très bon exemple ; nous avons monté, depuis un an, un partenariat en matière de recyclage du papier et du carton. Cela va permettre de traiter, ici à Maurice, du papier et du carton qui viennent également de La Réunion, de manière à produire du kraft, un carton recyclé qui sera utilisé par l’économie mauricienne. Une usine à Maurice n’a pas, aujourd’hui, assez de matière première à traiter. La Réunion a un système de collecte du papier et du carton, mais n’a pas encore les capacités de traitement. Ensemble, on arrive à améliorer notre capacité à répondre aux enjeux d’économie circulaire.

Nous sommes également très engagés dans l’économie circulaire et l’adaptation au changement climatique. Ce sont des défis que nous partageons avec Maurice et auxquels nous tâchons d’apporter des réponses communes»

Entre La Réunion et Maurice, y a-t-il beaucoup d’opportunités économiques ?
Oui, absolument. Il y a de grands enjeux. D’ailleurs, les acteurs réunionnais et mauriciens auront l’occasion d’échanger en marge de la visite, notamment lors du forum Génération M.IA, portant sur l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies, qui se tiendra ce jeudi au Caudan Arts Centre. 

Il y a aussi le secteur touristique. La France est le premier marché émetteur de touristes vers Maurice…
Je préfère dire que les Français sont les premiers touristes qui ont envie de venir à Maurice. La France, à la fois en France métropolitaine et via La Réunion, c’est quasiment 400 000 visiteurs à Maurice par an, donc de très loin le premier contingent de visiteurs à Maurice.

Comment l’expliquer ?
Je l’expliquerai d’abord par la qualité de l’accueil mauricien. Les Français qui viennent ici le font parce qu’ils savent qu’ils sont accueillis d’abord dans un pays francophone, et puis avec une chaleur, une hospitalité, un sourire qui sont ceux des Mauriciens et qui sont extrêmement appréciés chez nous.

Beaucoup de ressortissants français vivent à Maurice. Vous les estimez à combien ?
Une douzaine de milliers de Français sont inscrits à l’ambassade. C’est loin de représenter la totalité. On peut estimer qu’il y a probablement entre 15 000 et 20 000, je dirais aux alentours de 17 000 ou 18 000 Français, qui vivent durablement à Maurice.

Est-ce un chiffre qui évolue vers le haut ?
Le chiffre avait baissé au moment de la COVID, il est remonté depuis. On a atteint les niveaux d’avant la pandémie, et ce nombre continue de croître.

La France est aussi présente au niveau de l’éducation avec ses écoles françaises. Des développements sont-ils prévus ?
Nous sommes présents au niveau de l’enseignement maternel, primaire et secondaire à travers le réseau de ce qu’on appelle les établissements d’enseignement français à l’étranger. Il y a aujourd’hui cinq écoles françaises à Maurice ; il devrait y en avoir une autre assez prochainement. C’est une densité assez remarquable rapportée à la taille du pays, probablement la plus forte qu’on ait dans le monde. 

Ensuite, nous sommes présents dans l’enseignement supérieur avec des partenariats extrêmement importants qui permettent à des étudiants mauriciens de faire leurs études à Maurice en lien avec des universités françaises et d’obtenir à la fin un double diplôme mauricien et français dans les mêmes conditions que s’ils avaient fait leurs études en France. Cela nous permet d’apporter les universités françaises et leur niveau d’excellence ici à Maurice. 

Je pense, par exemple, aux formations en droit et en sciences économiques offertes par l’Université Panthéon-Assas. Il y a aussi les formations en architecture par l’École nationale supérieure d'architecture de Nantes, des formations en médecine, celles que nous dispensons en lien avec la MCCI sur des BTS. 

Il y a aujourd’hui cinq écoles françaises à Maurice ; il devrait y en avoir une autre assez prochainement.»

Encore une fois, comment l’expliquer ?
Cela s’inscrit totalement dans les orientations qui ont été arrêtées par le président de la République pour renforcer les liens, notamment avec la jeunesse, et les liens éducatifs avec les pays partenaires, Maurice au premier plan. Au-delà, il y a peut-être des réflexions à avoir sur la place de la francophonie dans le système éducatif mauricien. À ce sujet, un grand développement a lieu à l’occasion de la visite du Président.

Quel est ce développement ?
Pendant la visite sera signée une déclaration d’intention afin d’expérimenter des cours bilingues en français au sein des écoles mauriciennes. Cet accord fait suite aux discussions ayant eu lieu aux Assises de l’éducation d’avril dernier, qui avaient débouché sur une volonté mutuelle d’améliorer la maîtrise du français par les plus jeunes. 

Concrètement, il s’agira d’expérimenter dans 20 écoles à Maurice et Rodrigues un enseignement bilingue en français dans une matière, en plus des cours de français déjà établis. La participation à ces cours se fera sur la base du volontariat et s’appuiera sur la proximité de la langue avec le créole mauricien. L’expérience doit durer deux ans et sera suivie de près par un groupe d’enseignants-chercheurs. 

Pour l’instant, il s’agit d’abord de former les enseignants et d’adapter les formations. Nous souhaitons adopter une approche innovante, en intégrant de nouvelles technologies comme l’IA afin de renouveler l’image de la langue française auprès des jeunes.

Je reviens sur les ressortissants français qui viennent à Maurice. Savez-vous dans quels domaines ils sont principalement ?
Nous avons différents cas de figure. Il y a un certain nombre de retraités français qui viennent s'installer à Maurice. Mais nous avons beaucoup d’actifs et de jeunes actifs dans de nombreux secteurs différents. Nous avons, par exemple, une très forte représentation des milieux de la technologie. Ce qui se voit à travers la présence de ce qu'on appelle la French Tech. On a plus de 100 entreprises qui appartiennent à la French Tech dans des tas de domaines. 

On a aussi de nouvelles modalités de présence qui se développent, notamment ce qu'on appelle les nomades numériques. Des gens qui, finalement, travaillent beaucoup à distance, qui ne sont pas ancrés sur un territoire et qui viennent passer quelques mois par an à Maurice tout en travaillant éventuellement pour des compagnies situées ailleurs. C’est un nouveau mode d’implantation qui se développe, qui reste naturellement minoritaire par rapport à l’ensemble des Français ici, mais qui commence à avoir une certaine importance.

Vous avez dit qu'il y a une centaine de compagnies qui sont dans la French Tech. Globalement, il y a combien de compagnies françaises ?
Des compagnies strictement françaises, c’est-à-dire qui ont une personnalité juridique française, il y en a à peu près 170 ici. Mais on estime qu’il y a environ un millier de Français qui sont chefs d’entreprise à Maurice – cela va d’une petite structure telle qu’une boulangerie ou une pâtisserie à des structures beaucoup plus lourdes.

Maurice veut être un hub pour l’Afrique de différentes façons. Comment la France peut-elle appuyer cette ambition ?
Il y a des possibilités d’investissement d’entreprises mauriciennes en France et vice versa, et puis il y a des possibilités de projection commune dans des pays tiers, où on peut tout à fait conjuguer le savoir-faire, l’expertise d’entreprises françaises avec la connaissance du terrain, l’agilité, la capacité d’investissement d’entreprises mauriciennes pour se projeter ensemble à l’étranger, dans le domaine financier, mais également dans les domaines industriels. C’est un axe de travail qu’on aimerait bien développer.

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