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Souveraineté Territoriale : Tromelin, le dossier qui défie la diplomatie depuis 49 ans

Les négociations franco-mauriciennes sur le dossier Tromelin ont été engagées en 1976.

La visite d’Emmanuel Macron à Maurice relance le dossier Tromelin, ce petit îlot disputé depuis 1976, mêlant souveraineté, héritage colonial et enjeux économiques et stratégiques dans l’océan Indien.

Petit caillou inhabité de 1 km², situé à 550 km au nord de Maurice et de La Réunion, Tromelin fait l’objet d’un contentieux entre La France et Maurice depuis plusieurs décennies. La visite officielle d’Emmanuel Macron à Maurice, les 20 et 21 novembre, s’annonce comme un moment diplomatique clé. Ce sera l’occasion pour le Premier ministre Navin Ramgoolam d’aborder économie, coopération régionale et sécurité maritime. 

Mais, au-delà des discours protocolaires, ce déplacement de 24 heures ravive un dossier gelé depuis des décennies : la revendication mauricienne sur l’île de Tromelin, ce récif corallien. Il devrait en être question d’une manière ou d’une autre lors de ce premier deplacement officiel d’un président francais à Maurice depuis 32 ans. 

Du point de vue de Port-Louis, Tromelin n’est pas un simple atoll perdu dans l’immensité océanique, mais un territoire constitutif de la souveraineté mauricienne, arraché par l’histoire coloniale. D’ailleurs, en 2023, à la tribune de l’ONU, Pravind Jugnauth, alors Premier ministre, a répété que Tromelin faisait partie intégrante de Maurice.

L’indépendance de Maurice en 1968, négociée avec Londres, a laissé en suspens plusieurs dépendances, dont Tromelin, Agaléga et Saint-Brandon. La revendication formelle date d’avril 1976, ancrée dans le traité de Paris de 1814, par lequel la France cédait à la Grande-Bretagne « l’île de France [Maurice] et ses dépendances ». Bien que Tromelin ne soit pas nommément cité, la version anglaise du traité – seule en vigueur à l’époque britannique – évoque explicitement « Rodrigues et les Seychelles », laissant présumer l’inclusion des îles adjacentes comme Tromelin, administrée par les autorités coloniales britanniques jusqu’en 1951 via des concessions d’exploitation de guano.

Posture régionale

Pour Maurice, cette interprétation juridique n’est pas qu’un reliquat historique : elle porte sur 280 000 km² de zone économique exclusive (ZEE), riche en ressources halieutiques, c’est-à-dire des richesses marines exploitables par la pêche, principalement les stocks de poissons, crustacés et mollusques. Port-Louis y délivre déjà des licences de pêche à des bateaux asiatiques. Il leur est cependant fortement déconseillé d’aller y pêcher. Un navire japonais a été arraisonné par des militaires français chargés du contrôle de la zone en octobre 2004. L’incident avait provoqué de « vives tensions », selon le rapport sénatorial. Car Paris intègre Tromelin aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) depuis le XVIIIe siècle. Cette ZEE représente un enjeu stratégique dans un océan où la Chine étend son influence, et où Maurice, allié de New Delhi, cherche à consolider sa posture régionale.

Un rapport sénatorial français de novembre 2012 décrit une île de « 1,5 km de longueur sur 0,7 km de largeur, […] dépourvue d’eau potable et balayée par des alizés qui rendent toute culture impossible et qui ne peut être abordée que dans des conditions difficiles ». Une île qui « ne présente pas d’intérêt économique », selon le même rapport, et qui n’a quasiment pas été habitée – seuls quelques esclaves naufragés d’un bateau négrier y vécurent pendant 15 ans au XVIIIe siècle, avant d’être secourus.

Les négociations franco-mauriciennes, engagées en 1976, ont connu un pic en 2010 avec un accord-cadre prévoyant une cogestion économique, scientifique et environnementale – de la pêche à la protection archéologique, en passant par la météorologie. Ratifié par Maurice, ce texte n’a jamais franchi le cap du Parlement français. En janvier 2017, sous François Hollande, son examen est retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, sous pression du Front national et du Medef, qui y voient une « cession » de souveraineté. L’impasse perdure depuis, illustrant les tensions entre décolonisation inachevée et intérêts nationaux français.

Héritages coloniaux

À Port-Louis, on observe la visite d’Emmanuel Macron avec un mélange de pragmatisme et d’espoir mesuré. Après le succès récent de la revendication sur l’archipel des Chagos – rétrocédé par Londres en 2024 après un arrêt de la Cour internationale de justice –, Tromelin est perçu comme le prochain jalon d’une « intégrité territoriale » restaurée. Des sources gouvernementales mauriciennes, sous couvert d’anonymat, évoquent des discussions bilatérales informelles sur les « héritages coloniaux ». Emmanuel Macron, qui avait reporté son déplacement en avril 2025 pour aller assister aux funérailles du pape François, pourrait relancer le dialogue, dans un contexte de coopération accrue sur la cybersécurité et le climat.

Pourtant, l’équation reste complexe. La France, soucieuse de sa présence indopacifique, réaffirme sa souveraineté exclusive, comme l’a rappelé l’Élysée en 2017. De son côté, Navin Ramgoolam mise sur une diplomatie discrète pour éviter un refroidissement des relations bilatérales – excellentes en matière économique, avec des investissements français dans plusieurs secteurs d’activités.

En somme, la visite macronienne pourrait-elle briser l’impasse de 49 ans ? Aucune garantie n’est donnée par les autorités concernées.

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