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Fonds récupérés par la MIC : Rs 28 Md seront détruites d’ici la fin de l’année

  • Cette stratégie monétaire de la BoM alimente la controverse 

La Banque de Maurice (BoM) prévoit de détruire Rs 28 milliards récupérées par la Mauritius Investment Corporation (MIC), une décision justifiée par la nécessité de maîtriser la masse monétaire. Si la mesure vise à prévenir l’inflation, elle suscite de vifs débats sur ses effets économiques et sur l’usage optimal des fonds publics.

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Le First Deputy Governor de la BoM, Rajeev Hasnah, a fait part de l’intention de l’institution concernant les fonds récupérés par la MIC. Selon ses explications, ces sommes, une fois retournées à la Banque centrale, seront détruites. Cette décision a suscité des interrogations, tant parmi les observateurs économiques que dans l’opinion publique, quant à ses effets sur la stabilité monétaire, la gestion des ressources publiques et les perspectives de croissance de l’économie mauricienne.

La justification de la BoM repose sur un principe de politique monétaire. L’idée serait d’éviter une masse monétaire excessive susceptible d’engendrer des pressions inflationnistes. En pleine période de réajustement post-crise, la Banque centrale souhaite prévenir toute injection non contrôlée de liquidités qui viendrait aggraver les déséquilibres monétaires existants. La destruction de l’argent ainsi récupéré s’inscrit, selon elle, dans cette démarche de prudence.

Rajeev Hasnah a expliqué que sur les Rs 81 milliards injectées dans la MIC lors de la crise économique, Rs 28 milliards sont aujourd’hui récupérables et devraient être retirées du système monétaire d’ici la fin de l’année. Il a également rappelé les affectations déjà réalisées sur le total de ce financement, notamment les Rs 25 milliards allouées à Airport Holding Ltd, les Rs 22 milliards  de prêts aux entreprises, ainsi que d’autres investissements immobiliers ou financiers. Pour Rajeev Hasnah, « le retour des fonds à la Banque centrale permet de renforcer la stabilité monétaire et de limiter l’impact inflationniste de ces 
montants ».

D’un point de vue monétaire, cette mesure peut apparaître cohérente. Comme le souligne l’économiste Bhavish Jugurnath, la destruction des fonds récupérés pourrait être justifiée sur le plan technique. Il considère néanmoins que « cette action mérite une communication transparente, afin d’éviter des interprétations erronées ou des inquiétudes injustifiées dans la population ».

Selon lui, « il est essentiel que la Banque de Maurice et la MIC expliquent clairement les raisons de cette mesure et démontrent son impact positif sur la solidité financière du pays. Faute de quoi, l’opinion pourrait percevoir la destruction de l’argent comme un gaspillage de ressources, alors qu’il s’agit, selon les autorités, d’un ajustement monétaire visant à éviter une déstabilisation de l’économie ».

Bhavish Jugurnath suggère également 

« d’envisager des alternatives, comme l’utilisation symbolique de l’équivalent de ces fonds dans des projets d’intérêt général, par exemple dans les infrastructures ou les services sociaux ». Cela permettrait de donner un sens concret à la gestion des fonds publics, tout en respectant les principes de contrôle de la masse monétaire.

Des critiques sur les effets économiques de la destruction

Cependant, la décision ne fait pas l’unanimité dans les milieux économiques. Chandan Jankee, économiste et universitaire, exprime des réserves importantes. Il estime que « la destruction de l’argent peut contribuer à aggraver les difficultés économiques du pays, dans un contexte marqué par une reprise encore incomplète et une inflation persistante ».

Il rappelle que, malgré les efforts de stabilisation, la roupie n’a pas retrouvé un niveau jugé satisfaisant par les acteurs économiques. La pression sur les devises, les déficits extérieurs et le ralentissement de la croissance continuent de poser des défis. Pour lui, « une politique monétaire trop restrictive risque d’accentuer ces problèmes ».

Chandan Jankee met en avant l’effet multiplicateur que peut avoir l’injection de fonds dans l’économie. Il considère qu’un soutien ciblé aux secteurs productifs, via des mécanismes encadrés, pourrait stimuler l’investissement privé et soutenir l’activité économique. À l’inverse, retirer de la liquidité par la destruction de la monnaie pourrait freiner la dynamique économique, sans pour autant résoudre les causes profondes de l’inflation.

Financer les pensions et d’autres dépenses sociales 

Face à la question de savoir si ces fonds auraient pu être utilisés dans le cadre du budget public, notamment pour financer les pensions ou d’autres dépenses sociales, la réponse des économistes est nuancée. Selon Chandan Jankee, « cette solution n’est pas compatible avec les principes de gestion monétaire ». Le financement des dépenses sociales relève du cadre budgétaire de l’État, tandis que les interventions de la Banque centrale doivent rester distinctes et indépendantes.

Bhavish Jugurnath abonde dans le même sens. Il rappelle que l’argent récupéré par la MIC est issu d’une émission monétaire spécifique, liée à la gestion de crise. Il ne s’agit pas de recettes fiscales classiques. L’utiliser pour couvrir les dépenses courantes reviendrait à monétiser le déficit public, ce qui pourrait entraîner des effets indésirables, notamment une pression inflationniste accrue si cela n’est pas accompagné d’une augmentation de la productivité ou de la création de richesses réelles.

Les deux économistes mettent également en garde contre les risques à long terme. Utiliser la monnaie centrale pour financer les dépenses de l’État pourrait porter atteinte à l’indépendance de la BoM, nuire à la crédibilité de la monnaie nationale, et affecter la confiance des investisseurs. L’expérience de certains pays ayant suivi cette voie – comme l’Argentine, le Venezuela ou le Zimbabwe – est souvent citée en exemple pour illustrer les conséquences possibles.

Des inquiétudes sur l’efficacité de la stratégie

Par ailleurs, certains observateurs soulèvent des interrogations sur la faisabilité concrète de la stratégie de retrait de liquidité annoncée. Un économiste, ayant requis l’anonymat, questionne la capacité de la MIC à restituer Rs 28 milliards dans les délais évoqués. Selon lui, une partie importante des fonds est encore liée à des engagements à long terme, notamment des prêts accordés aux entreprises avec des échéances s’étalant sur plusieurs années.

Il rappelle que ces prêts sont remboursables sur une durée de neuf ans, ce qui signifie que la majorité des remboursements reste encore à venir. Dès lors, la BoM ne peut récupérer immédiatement des fonds qui ne sont pas encore encaissés. Cette contrainte opérationnelle complique la mise en œuvre d’un retrait rapide de la masse monétaire.

Un autre aspect à prendre en considération serait que l’inflation actuelle ne découle pas uniquement d’un excès de liquidité. Des facteurs structurels, comme la dépréciation de la roupie, la dépendance aux importations et les déséquilibres commerciaux, jouent également un rôle déterminant. La politique monétaire, bien qu’importante, ne peut à elle seule corriger ces déséquilibres sans une approche plus large intégrant les politiques fiscales, commerciales et industrielles. 

« Si certaines entreprises responsables et patriotiques réalisent des profits, elles pourraient envisager de rembourser la MIC avant le délai contractuel. Vendre les terrains de la MIC au gouvernement reviendrait à prendre l’argent de la poche gauche pour le mettre dans celle de droite du même pantalon. Le gouvernement devrait alors emprunter, et la Banque de Maurice serait contrainte d’imprimer de l’argent. Maurice n’est pas un grand pays comme la Chine. L’inflation y est restée basse pendant la pandémie parce que la Chine produit, exporte et génère suffisamment de devises, ce qui se traduit par un excédent commercial », explique l’économiste.     

Banque de Maurice : cadre légal de l’émission monétaire

La BoM agit conformément au Bank of Mauritius Act pour l’émission de billets de banque, de pièces de monnaie et de monnaie numérique. La loi prévoit que les billets doivent répondre à des critères définis de valeur, de forme, de dessin et de contenu. Leur impression s’effectue à partir de plaques spécifiques, sur des matériaux agréés, et leur authenticité est validée selon des modalités établies par la Banque, avec l’accord du ministre concerné. L’institution est également chargée de la frappe des pièces de monnaie et de la gestion des stocks non émis. Cela inclut la sécurisation, la préparation et la destruction du matériel utilisé pour la production monétaire. La BoM a la responsabilité d’émettre, de réémettre et de garantir la conservation des instruments monétaires physiques, tout en intégrant les évolutions liées à la monnaie numérique dans le cadre légal existant.

 

La création d’une ligne de crédit, une alternative possible

Chandan Jankee avance que l’argent récupéré par la MIC aurait pu être utilisé de manière plus productive à travers la création d’une ligne de crédit. Selon lui, la mise en place d’une agence dédiée, comme recommandé par le Fonds monétaire international (FMI), aurait permis de prêter ces fonds à des entreprises à des taux préférentiels pour financer des investissements stratégiques. Les projets soutenus pourraient inclure des initiatives liées à l’économie bleue, aux solutions contre le changement climatique, à l’innovation et à l’environnement. « Une telle approche aurait eu un effet multiplicateur positif sur l’économie, en stimulant l’activité et la croissance tout en préservant l’intégrité monétaire », dit-il.
 

La destruction de monnaie, une pratique normale mais délicate

Bhavish Jugurnath rappelle que la destruction de billets anciens ou contrefaits est une fonction normale de la Banque centrale. « Cependant, la destruction de grandes quantités de fonds légitimes et récupérables sans explication transparente peut susciter des inquiétudes quant aux décisions de politique monétaire et à l’intégrité de la gouvernance », indique-t-il. 

Il cite l’exemple de l’Inde en 2016, lorsque le gouvernement a invalidé les billets de 500 et 1 000 roupies indiennes pour lutter contre l’argent noir. Bien que ces billets aient été détruits après leur dépôt en banque, la mesure a provoqué des pénuries de liquidité, un ralentissement économique et de vives critiques, notamment sur le fait qu’elle pénalisait davantage les citoyens ordinaires que les détenteurs de fonds illicites.

L’excès de liquidités a-t-il servi à constituer le capital de la MIC ?

En 2020, Harvesh Seegolam avait affirmé que la BoM avait puisé USD 2 milliards des réserves pour créer la MIC. Cela avait été réfuté par Rama Sithanen qui a déclaré que ces fonds avaient été créés virtuellement. Or, selon certaines sources, l’ancienne direction de la Banque centrale avait changé de stratégie et racheté des excédents de liquidités du système bancaire pour constituer le capital de la MIC. Si cela est avéré, alors la question de destruction des fonds de la MIC ne devrait pas être envisagée, selon nos sources. « À l’époque, l’inflation se situait autour de 2 %. Sur ces Rs 80 milliards, environ Rs 35 milliards n’ont jamais été injectées dans l’économie réelle et n’ont donc jamais circulé », explique une source. Selon Chandan Jankee, il est donc incorrect d’affirmer que cet argent a contribué à l’inflation.

 

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