Comme dit le dicton, « justice delayed is justice denied ». Alors que nous célébrons ce 12 mars la fête nationale, comment rendre accessible la justice aux justiciables et combattre la lenteur de nos procédures ?
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Le point avec quatre juristes.
Me Zaynab Mirasahib : « Innover nos services juridiques et accroître l’accessibilité »
Selon Me Zaynab Mirasahib, il est clair que même avec les meilleures intentions, il sera impossible d’aller plus vite avec les ressources actuelles.
Elle est d’avis qu’il faut avant tout consacrer davantage de ressources à notre système judiciaire, en termes de personnel et de logistique.
Manque accru de personnel
« Il y a plus de cas sont signalés et logés qu’il y a une vingtaine d’années. Toutefois, certains tribunaux de district fonctionnent encore avec un seul magistrat, tandis que d’autres souffrent d’un manque accru de personnel administratif », fait observer l’avocate. Elle ajoute qu’on pourrait dire la même chose des unités policières chargées des enquêtes. S’ils étaient mieux équipés, les enquêtes et donc les accusations provisoires accuseraient de beaucoup moins de retards.
Médiation
Dans la même foulée, Me Zaynab Mirasahib pense que plus de cas doivent être traités par voie de médiation au niveau de la police. Ce qui éviterait d’engorger le système avec des affaires qui ne seront finalement pas entendues.
Comment rendre plus accessible notre système judiciaire aux justiciables ? Pour Me Zaynab Mirasahib il est crucial que le justiciable ait accès à la justice. Car, selon elle, de nombreuses personnes sont vulnérables et n’ont pas accès aux services juridiques.
« Nous avons la responsabilité de changer le monde qui nous entoure, par nos choix, nos actions et nos paroles. Il existe de nombreuses façons d’améliorer l’accès à la justice et le secteur juridique a le devoir de trouver des solutions pour les personnes vulnérables et marginalisées. Améliorer l’accès à la justice ne se limite pas au travail bénévole (même si ce travail est extrêmement important) », indique-t-elle.
Sensibilisation
Pour l’avocate, il faut innover dans la manière dont nous fournissons des services juridiques. Il faut accroître l’accessibilité en concevant une expérience centrée sur le client. L’information est également essentielle.
Très souvent, les gens ne disposent pas des informations correctes ou ne savent pas où chercher ces informations, dit-elle. « Des campagnes de sensibilisation pour expliquer le fonctionnement de notre système légal sont donc essentielles. Pour atteindre le plus grand nombre de personnes, ces campagnes peuvent se faire avec l’aide de la technologie. Il est important d’utiliser un langage simple et des vidéos infographiques », propose-t-elle.
Me Urvashee Domun : « La réforme judiciaire ne peut se faire en un jour »
Concernant la lenteur de la justice, Me Urvashee Domun, avouée, déclare qu'elle va accorder une attention particulière au traitement des affaires civiles. Elle constate que « les justiciables se plaignent souvent de la lenteur de la justice » et reconnaît qu'il existe des solutions pour remédier à ce problème. À cet égard, elle soutient que « le gouvernement doit intervenir, notamment par le biais de mesures législatives, pour mettre en place les réformes nécessaires ».
« Le temps des méthodes traditionnelles est révolu. Le numérique représente la solution la plus efficace. À titre d'exemple, le système de dépôt électronique de documents (e-filing system), partiellement introduit en Cour commerciale, devrait être étendu à toutes les instances. Actuellement, un manque de greffiers/Court Officers dans plusieurs instances retarde le processus de dépôt des plaintes et la mise en état des affaires », ajoute l’avouée. Pour elle, le dépôt électronique des plaintes aurait résolu ce problème.
Investir
Une autre solution, selon Me Domun, consisterait à investir davantage dans le personnel judiciaire pour assurer une administration plus rapide. La récente nomination des juges par la Judicial and Legal Service Commission a contribué à accélérer le traitement de plusieurs affaires. Aussi, elle ajoute que depuis la création de la nouvelle Cour suprême, on dispose désormais de davantage de salles d'audience pour traiter les affaires en attente. La mise en place de la Land Court, une division de la Cour suprême chargée spécifiquement des affaires foncières, a permis de réduire les années d'attente pour la tenue des procès, observe-t-elle.
Pour Me Urvashee Domun, la création d'une cour d'appel distincte de la Cour suprême est recommandée, car les affaires prennent trop de temps et les justiciables doivent faire preuve de patience. « Les gens sont souvent découragés en attendant une décision de justice », souligne l’intervenante.
Selon elle, il est impératif de faire preuve de volonté pour moderniser l'infrastructure judiciaire. La climatisation de la New Court House, qui accueille plusieurs instances, est en panne depuis plusieurs mois. « Cela complique la tâche des professionnels et du personnel judiciaire, contraints de travailler dans des conditions difficiles pour administrer la justice ».
« À mon avis, il est également nécessaire de fixer un délai dans lequel une décision de la cour doit être rendue, afin d'éviter que les jugements ne soient mis en délibéré pendant une période prolongée », insiste Me Domun. Elle soutient que les jugements doivent être rendus dans un délai raisonnable afin de prévenir toute frustration chez les parties attendant une décision de justice.
S'il est normal de s'attendre à un certain délai pour les affaires complexes, il convient de souligner, selon Me Domun, que « malheureusement, parfois, des renvois injustifiés des procès contribuent à prolonger les affaires. Bien que plusieurs changements systémiques aient été apportés pour remédier à la lenteur de la justice, des lacunes persistent. Il est essentiel de s'adapter pour relever ces défis ».
Ressources financières limitées
En ce qui concerne l'accessibilité à la justice, Me Urvashee Domun soutient que « les plus démunis ont déjà accès à une représentation légale gratuite en vertu de la Legal Aid Act. On voit également de nombreux professionnels travailler bénévolement (pro bono) pour les justiciables ».
Toutefois, elle souligne que les frais de justice introduits en 2019 sont défavorables aux justiciables aux ressources financières limitées, car, en plus des honoraires des professionnels du droit, « ils doivent également supporter les frais excessifs de la Cour pour engager une action en justice ».
« Je remarque également que certains justiciables ne font toujours pas la différence entre un avoué et un avocat. En matière civile, l’avoué rédige la plainte et est chargé de la mise en état de l’affaire. Il a pour tâche d'instruire l'avocat qui plaidera l’affaire en Cour. Il est essentiel que les justiciables connaissent les différents rôles des professionnels du droit afin de mieux faire valoir leurs droits », souligne Me Urvashee Domun, qui cumule plus de 10 années de pratique.
« Une justice plus accessible repose non seulement, selon elle, sur l'intégrité de l'homme de loi, mais aussi sur la volonté de travailler diligemment sur le dossier de son client. Les personnes ayant eu une mauvaise expérience avec un praticien du droit perdent également confiance dans le système judiciaire », affirme l'intervenante.
Elle ajoute que la rigidité et la complexité des procédures découragent en partie les justiciables à initier des actions légales. Il est donc nécessaire de simplifier autant que possible les procédures afin de régler les litiges plus rapidement.
Le dernier rempart contre l’injustice
Maurice dispose d'un système judiciaire transparent, dont l'objectif est de garantir que les décisions rendues soient impartiales et équitables, et ce, en toute indépendance politique. On observe, selon Me Domun, « une hausse du nombre d'affaires portées devant les tribunaux, tandis que la confiance en notre système de justice demeure intacte. »
Pour Me Urvashee Domun, seule une minorité perçoit qu'il y ait une justice à deux vitesses, ce qui entraîne une perte de confiance dans le système judiciaire. « Avec l'émergence des réseaux sociaux et des journaux en ligne, les individus peuvent facilement exprimer leurs opinions et formuler des allégations gratuites contre les décisions judiciaires. Toutefois, il est essentiel de prendre en compte les préoccupations du public et de mettre en place des mécanismes pour garantir que la justice soit perçue comme étant équitable ».
Malheureusement, soutient-elle, « des décisions judiciaires mal rapportées dans les médias influencent également l'opinion publique, ce qui conduit les gens à avoir une vision négative du système judiciaire. Il est important de comprendre que le système judiciaire est le dernier rempart contre l'injustice, et il est nécessaire de sensibiliser le public au fonctionnement de la justice ».
Me Urvashee Domun est d'avis qu'il « est nécessaire d'examiner le recrutement de plus de juges et de magistrats issus du secteur privé, compte tenu de leur vaste expérience, et de leur offrir des salaires attractifs afin d'assurer un meilleur fonctionnement » du système judiciaire.
« À mon avis, il est grand temps de suivre l'exemple du Royaume-Uni en accordant le « right of audience », c'est-à-dire, le droit de plaider aux avoués ayant plusieurs années d'expérience, et en recrutant également des avoués expérimentés, et non seulement des avocats, pour le poste de juge », propose-t-elle.
Elle conclut en soulignant que « la réforme judiciaire ne peut se réaliser du jour au lendemain :, mais qu'il « est impératif d'apporter des changements, car le système judiciaire est un pilier important de la démocratie ».
Me Alexandre Le Blanc : « Il faut désengorger les tribunaux »
Pour Me Alexandre Le Blanc, les causes de la lenteur des procédures judiciaires divergent. Elles dépendent des juridictions devant lesquelles elles sont portées. Pour l’homme de loi, un des facteurs communs à la lenteur est le manque d’effectif. Il cite l’exemple des tribunaux de districts. La première raison de la lenteur du système, c’est l’engorgement des tribunaux.
Il n’y a, en général, dit-il, que deux ou trois magistrats par tribunal de district. Par jour, le système attend de ces deux ou trois magistrats qu’ils écoutent des dizaines de procès, des demandes de remises en liberté, des arguments et qu’ils rendent des jugements. En parallèle, ils traitent aussi des centaines de contraventions et autant d’accusations provisoires.
« Souvent, il arrive que pour diverses raisons, un magistrat administre seul des centaines d’affaires. Il va sans dire que c’est impossible en une journée ! » Les affaires sont alors renvoyées à une date lointaine, car l’agenda est rempli.
Transfert des magistrats
D’autre part, les magistrats sont parfois transférés vers d’autres tribunaux ou au bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) ou celui de l’Attorney General. Il faut ainsi, dans le premier cas, que le magistrat fasse le va-et-vient entre deux districts pour écouter ses affaires. Dans le deuxième cas, les procès, qui ont démarré devant lui, doivent recommencer.
Selon l’homme de loi, il y a plusieurs solutions à ce problème. La meilleure est sans doute de recruter et de former plus de magistrats. Considérant que plus de 70 nouveaux avocats prêtent serment tous les ans, ce ne sont pas les postulants potentiels qui manquent.
« S’il y avait plus de magistrats, les débutants pourraient s’occuper de contraventions par exemple. Ce qui permettrait aux magistrats aguerris de se concentrer aux affaires sérieuses », propose Me Alexandre Le Blanc.
Absentéisme
L’engorgement est aussi causé par le nombre d’affaires banales portées devant les tribunaux. Parfois, dans le cas de certaines infractions mineures, plutôt que de poursuivre, une réprimande ou un avertissement du DPP ou de la police suffirait.
Une autre raison de cette lenteur est l’absentéisme des témoins. Un témoin absent est souvent un facteur de renvoi. L’absent est en général condamné à payer une amende de Rs 200 ou Rs 300. « Il semble que ce ne soit pas assez sévère pour contraindre les témoins à se présenter. » Il y a d’autres causes à la lenteur de la procédure, mais elles sont surmontables.
Pour l’homme de loi, ce ne sont pas d’avocats et d’avoués qui manquent à Maurice. Les coordonnées de la plupart d’entre eux sont accessibles à travers une simple recherche sur Google. Et ce n’est, en général, pas difficile d’obtenir un rendez-vous.
Aide juridique
Ainsi, dit-il, l’aide juridique (legal aid) permet aux plus démunis d’avoir accès à des avocats et des avoués privés dont les honoraires sont pris en charge par l’État. Cependant, pour bénéficier d’un aide juridique, le demandeur doit toucher moins de Rs 15 000 par mois et son patrimoine doit être inférieur à Rs 500 000.
« À mon humble avis, l’aide juridique devrait être ouverte à tous les citoyens sans discrimination et sans considération de leurs revenus et de leur patrimoine », poursuit Me Alexandre Le Blanc.
Me Rajeshwar Bucktowonsing, Senior Attorney : « Il faut un système informatisé pour la mise en état des affaires »
Me Rajeshwar Bucktowonsing, Senior Attorney (SA), croit fermement qu’il est essentiel de trouver un équilibre judicieux entre les concepts de « justice delayed is justice denied » et « justice hurried is justice buried ». Il estime qu’il est crucial de ne pas retarder les choses, mais de ne pas se précipiter non plus. Car il y a un risque que les personnes concernées ne reçoivent pas le résultat qu’elles veulent.
Ce qui prend du temps, selon lui, c’est la préparation des dossiers. Le Senior Attorney explique que des délais sont fixés pour l’échange de documents entre les hommes de loi afin de préparer l’affaire pour son audience devant un juge. « C’est la mise en état des affaires qui prend du temps », indique l’avoué
D’où son appel pour qu’un un système en ligne soit mis en place pour l’échange des plaidoiries. Mais il souligne également l’importance de tenir compte de l’aspect financier. Il propose ainsi l’introduction d’un système semblable à celui déjà utilisé devant la Cour commerciale. « Si la mise en état pouvait se faire de manière informatisée, ce serait une bonne chose pour la Cour suprême », soutient-il.
En revanche, reconnaît-il, ce système informatisé ne pourra pas décider à qui attribuer le dossier. Le Senior Attorney propose donc la création d’un département dirigé par un juge ou le Master and Registrar, avec des officiers chevronnés chargés de la mise en état des affaires. Cette mesure, selon lui, permettrait de réduire le nombre de renvois et de garantir un traitement des affaires dans des délais raisonnables.
Changements
Après quarante ans de pratique au barreau, il dit avoir observé de nombreux changements dans l’administration de la justice. Tout d’abord, il note une augmentation significative du nombre de professionnels du droit, du volume d’affaires, du nombre de magistrats et de juges, ainsi que la création de plusieurs nouvelles divisions judiciaires. « Des changements apportés surtout en faveur des justiciables », précise-t-il.
Selon lui, il y a des dizaines de raisons qui peuvent expliquer qu’une affaire traîne pendant plusieurs années. Dans le cadre des litiges civils, cela peut être dû à la complexité inhérente du cas ainsi qu’aux demandes de renvoi formulées par les hommes de loi. Ces requêtes peuvent être motivées par des raisons valables.
Visioconférences
Me Rajeshwar Bucktowonsing, SA, estime que la création de différentes divisions (commerciale, familiale et foncière ; NdlR) contribue considérablement à accélérer le traitement des affaires. Il souligne l’efficacité des audiences en référé tenues par visioconférence et l’utilisation du système informatisé au sein de la Cour commerciale. « C’est une avancée majeure », dit-il.
Il affirme que le système dans sa forme actuelle doit être réexaminé. Il souligne que compte tenu du volume d’affaires, le Master and Registrar ne peut pas se permettre d’accorder des délais trop courts, étant donné que le calendrier de la Cour est déjà chargé.
Afin d’améliorer le système, il propose que certaines affaires, telles que les cas de révision judiciaire ou d’appel, soient entendues par visioconférence. Selon lui, cela permettrait d’accélérer le processus.
Il estime que l’accès à la justice n’est pas un problème à Maurice. Avec le nombre d’avocats disponibles, toute personne peut rapidement trouver un représentant légal. De plus, il souligne que les frais judiciaires sont très raisonnables. Même si une personne est dans l’incapacité de payer un avocat, elle peut recourir à une aide juridique (Legal Aid ; NdlR).
« Nous avons accompli de grands progrès jusqu’à présent. Tout le monde est conscient qu’il faut faire un peu vite pour rendre justice à qui de droit. Cependant, il reste des ajustements à effectuer pour améliorer le système juridique et donner des facilités tant au judiciaire qu’aux hommes de loi, afin que les choses bougent plus vite », souligne Me Rajeshwar Bucktowonsing, SA.
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