Le débat quant aux possibilités de « cover-up » dans des enquêtes sur les fautes médicales est relancé après que le ministre de la Santé ait demandé l'instauration d'un Fact Finding Committee (FFC) sur le décès d’un nourrisson à l’hôpital Victoria. Les avis sont partagés dans le corps médical et paramédical.
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« C’est difficile d'étouffer les cas de négligence médicale », estime le Dr François Tadebois, porte-parole du Medical Council. Ce dernier a été questionné suite au décès d'un nourrisson survenu le lundi 26 février après qu'il a reçu une injection à l'hôpital Victoria, à Candos. Il affirme que dans les cas de négligence médicale alléguée, l’Investigation Commitee du Medical Council enquête pour connaître les faits. « Si le conseil trouve que le rapport est incomplet ou si le conseil est insatisfait, la révision du document, ainsi que la mise sur pied d’un autre sous-comité, peuvent être réclamées. Ce n’est pas souvent que cela se produit », explique-t-il. Il ajoute que s'il y a eu faute médicale, la sanction du médecin concerné est votée par les 21 membres du conseil.
Il n'y aurait pas non plus de possibilités de « cover up » au niveau des enquêtes instituées par le ministère de la Santé, selon la Government Medical and Dental Officers Association (GMDOA). « Le panel institué pour des enquêtes au niveau du ministère est composé de quatre médecins chevronnés, dont deux spécialistes du domaine concerné qui n’ont aucun contact avec le médecin dénoncé pour négligence médicale alléguéee. Outre ces médecins chevronnés, qui sont au même rang que des Regional Health Directors, le panel est composé d’un autre médecin dépêché d’un autre hôpital », indique le vice-président de la GMDOA, le Dr Vinod Algoo.
De son côté, le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des clinique privées et directeur de la Clinique Chisty Shifa, qui a fait carrière dans le service de santé publique, nuance ses propos. « Dans certains cas dits mineurs, l’émotion peut entrer en jeu. Le consultant sur le panel peut se dire qu'il aurait pu être à la place du médecin. C'est-à-dire qu’il aurait pu lui-même commettre cette erreur et cela peut alors jouer en faveur du médecin incriminé », fait-il ressortir. Il ajoute toutefois que si l'erreur est grave ou si le patient y a laissé la vie, les membres du comité se montreront intransigeants. « Le comité est composé de consultants aguerris qui ont de l’expérience et parfois, des médecins du privé sont appelés à faire partie de ce comité afin qu’il y ait plus de transparence », dit-il.
Le Dr Ishaaq Jowahir de la Private Medical Practitionners Association, lui, fait remarquer que la plupart des cas de fautes médicales ne sont pas avérées après enquête. « Le public a souvent tendance à chercher des erreurs partout, surtout après la perte d’un proche. Seuls 10 % des enquêtes établissent qu'il y a bien eu erreur médicale. Parfois, l’erreur vient des proches, quand ils prennent trop de temps pour emmener le patient à l’hôpital ou alors s'ils ne dévoilent pas les antécédents médicaux du patient », dit-il.
Des enquêtes internes bâclées
Mais Ram Nowzadick, président de la Nursing Association, est catégorique : « Il existe bel et bien des cas d'erreurs médicales qui sont étouffés car il y a un manque d’équité au niveau des enquêtes internes qui semblent parfois bâcler. Nous n’arrivons toujours pas à comprendre comment un spécialiste, qui a causé la mort de deux personnes et qui a été dénoncé pour négligence médicale, s’en est sorti indemne. Pire, par la suite, il a été promu », déplore-t-il. C’est pour cette raison que selon Ram Nowzadick, qu'une enquête interne ne devrait pas être menée par un médecin ou un consultant du ministère. « Il y a clairement de gros risques de connivence et de 'cover-up' », fait-il ressortir.
La Nursing Association, déclare-t-il, est en faveur d'enquêtes indépendantes où toutes les catégories du personnel hospitalier, public et privé, le personnel du ministère de la Santé et aussi les membres de la société civile puissent être partie prenante.
Le président de la Nursing Association dit accueillir favorablement la décision du ministère de la Santé et du Dr Anwar Husnoo d’instituer une enquête indépendante afin de faire la lumière sur le décès du nourrisson. « C’est choquant qu’un bébé qui était en bonne santé puisse tout d’un coup décéder », martèle-t-il. « Ce Fact Finding Committee n’a pas pour vocation principale de punir mais de trouver une explication sur ce qui s’est passé et de savoir s’il y a eu erreur ou négligence médicale », dit-il. Ram Nowzadick dit espérer que cette enquête indépendante mettra en évidence les failles du système et apportera plus d’éclaircissements quant au fonctionnement des « wards » et des hôpitaux.
Moins de dénonciations dans le privé
Le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des clinique privées et directeur de la Clinique Shisty Shifa, fait ressortir que le nombre de plaintes enregistrées contre les médecins du privé est nettement inférieur, car seulement 27 % des malades fréquentent les cliniques. Notre interlocuteur précise qu’il y a deux autres éléments qui jouent en faveur des médecins du privé : la confiance et le service personnalisé. « Lorsque le malade vient consulter un médecin spécifique dans une clinique, c’est qu’il a déjà un certain degré de confiance en ce médecin. Ensuite, il y a ce service personnalisé dont bénéficie le malade dans une clinique », avance le Dr Oaris.
Notre interlocuteur soutient que le service n'est pas le même dans les hôpitaux qui opèrent, selon ses dires, dans une certaine opacité. « Cela donne lieu à des doutes dans la tête du patient, car on lui a imposé un médecin qu'il ne connaît pas et il n’y a pas de service personnalisé où le médecin tient le malade et sa famille informés de ce qui se passe ou de ce qui peut arriver », explique le Dr Oaris.
Quand les infirmiers taclent les médecins
Au sujet du décès du nourrisson à l’hôpital Victoria, Ram Nowzadick, président de la Nursing Association, se montre très critique à l’égard du corps médical car celui-ci n'a pas expliqué les raisons de sa mort, préférant en laisser le soin au médecin-légiste. « Celui-ci a conclu dans son rapport à un œdème pulmonaire. Mais cela ne veut rien dire. De nombreux facteurs peuvent entraîner un œdème pulmonaire, allant du traumatisme à la consommation de l’héroïne. Je pense que les médecins auraient dû être en mesure d’expliquer eux-mêmes ce décès », insiste-t-il.
Ram Nowzadick indique qu’il s’est rendu à la salle néonatale de l’hôpital Victoria. Il dit avoir constaté que cette salle compte 27 lits. « Cela veut dire que les infirmières doivent s’occuper de 27 mères et 27 bébés. C’est énorme. Les infirmières sont débordées et épuisées et avec la fatigue, il peut y avoir un manque de concentration. Dimoun mem ki fer errer, pa bann robo ! »
Le Dr Bushan Ramtohul, du syndicat des consultants : «Le médecin n’est pas le seul à être blâmé»
Le Dr Booshan Ramtohul du syndicat des consultants fait ressortir que le médecin n’est pas le seul à être blâmé dans les cas de négligence médicale. « La négligence médicale est causée non seulement par le médecin, mais aussi par le personnel paramédical. Il y a toute une procédure dans la médecine », explique-t-il.
À son avis, le ministère de la Santé doit donner des directives pour mener des enquêtes approfondies dans certains cas de négligence médicale et qu’un médecin d'expérience doit traiter le dossier. « De nos jours, il y a pas mal d’enquêtes qui sont initiées. Un médecin d’expérience doit être approché pour mener ces enquêtes. Ce dernier sera apte à prendre les sanctions tout en restant impartial », avance le Dr Booshan Ramtohul.
Yousuf Mohamed, avocat : «Ce n’est pas facile de prouver la négligence médicale»
Me Yousuf Mohamed, Senior Counsel, avance que « chaque médecin possède sa science ». Selon l’homme de loi, « si les médecins arrivent à se mettre d’accord, il n’y a pas de connivence ». D'après lui, ce n’est pas facile de prouver qu’il y a eu négligence médicale car c’est difficile de regrouper des preuves.
« Il faut avant tout trouver l’élément permettant de prouver qu’il y a eu une quelconque négligence médicale. S’il y a mort d’homme, il faudrait solliciter l’opinion d’un autre médecin. Mais où est la preuve s’il arrive qu’il n’y ait pas d’autopsie qui démontre le contraire ? D’où le fait que, dans la plupart des cas, le patient ou sa famille n’obtient pas gain de cause en Cour. Cela, par faute de preuves », avance l’homme de loi. Yousuf Mohamed déclare que le patient ou sa famille peut réclamer une analyse séparée ou encore la présence d’un autre expert. « Tout est possible », ajoute le Senior Counsel.
Il indique que dans le Traité de droit civil, l'erreur médicale est définie comme suit : « La faute peut consister en la violation d’une règle légale indiquant avec précision ce qu’il faut faire ou pas ; c’est alors un acte illicite. Elle peut aussi consister en un écart de conduite témoignant de la malhonnêteté de l’auteur de l’acte ou son incapacité au niveau physique ou intellectuel. Elle peut aussi consister en l’imprudence avec laquelle on crée une situation susceptible de nuire aux tiers. » Le Traité de droit civil indique les fautes médicales comme suit :
- L’erreur de diagnostic ; si le diagnostique était simple et l’erreur grossière ;
- L’opération dangereuse ; qui n’est pas demandée par le malade et qui est faite sans le prévenir ;
- La maladresse ou la négligence opératoire ;
- L’ignorance d’une méthode curative courante ;
- L’absence de soins post- opératoires ; la maladresse ou la négligence dans les soins postopératoires, si la surveillance et le contrôle incombent au chirurgien;
- La pratique de la chirurgie esthétique; si le chirurgien se livre à des expériences dangereuses qui ne sont pas nécessaires.
Dr Vinod Algoo de la GMDOA : «Il faut faire la différence entre négligence et complication»
Le vice-président de la Government Medical and Dental Officers Association (GMDOA), le Dr Vinod Algoo, constate que parfois les membres du public ont tendance à utiliser le terme « négligence médicale » au lieu de complications. « Ils ne font pas la différence. Les erreurs médicales existent. Mais, par exemple, certains patients ont tendance à développer des allergies après avoir pris certains médicaments. Ceux-ci provoquent des effets secondaires.
Dans certains cas, le cœur du patient peut même lâcher, causant un arrêt cardiaque. Ce genre de complications ne relèvent nullement d'une négligence ou d'une erreur médicale », fait-il ressortir.
Le médecin met également à l’index des patients qui sont à l’origine des complications. « Certains patients ont également tendance à consommer des boissons alcoolisées tout en étant sous traitement. C’est une pratique, vivement déconseillée, qui peut provoquer des effets secondaires », prévient-il.
Les proches qui ne veulent pas dévoiler les antécédents médicaux du patient sont aussi dénoncés par le Dr Vinod Algoo. « Cela peut jouer contre le patient, car certains médicaments auront des effets néfastes sur sa santé », précise-t-il.
Neil Pillay, avocat : «Il faut adopter l’approche américaine»
Pour l’avocat Neil Pillay, notre loi n’est pas assez moderne. On est, dit-il, depuis longtemps dépendant des analyses du Forensic Science Laboratory (FSL) et autres laboratoires. En cas de décès, c’est l’autopsie qui va établir les faits.
« Le pays est pourvu de professionnels du privé pouvant pratiquer des contre-autopsies. Je suis tout à fait pour une approche à l'américaine, c'est-à-dire donner à la défense l’occasion de conduire ses propres analyses et enquêtes. D’abord, la famille a le droit de réclamer une contre-autopsie ou même l’exhumation d’un corps pour une contre-autopsie. L’important est d’établir les circonstances exactes qui aurainet pu mener à une négligence médicale. En gros, il faut pouvoir prouver comment la négligence médicale s’est produite », propose l’avocat.
L’avocat précise qu’il y a une différence entre erreur médicale, faute médicale et négligence médicale.
Dr. François Tadebois : «Le Medical Council devrait être plus indépendant»
Il y a toute une procédure à respecter lorsqu’une enquête est initiée dans les cas d'erreurs médicales, indique le Dr. François Tadebois, porte-parole du Medical Council (MC). En général, les enquêtes sont menées par deux sous-comités. Chaque comité est présidé par un Chairperson et quatre autres membres. Le but du comité est de questionner les personnes concernées et ensuite de rédiger un rapport. Si jamais l'enquête soulève des doutes, le dossier est envoyé au Medical Disciplinary Tribunal qui est composé d’un juge ou d'un magistrat et de deux assesseurs.
« La décision finale revient au MC une fois que le rapport est distribué, puis lu. Le conseil, qui est composé de 14 médecins (5 membres nommés, un représentant du SLO et un représentant du ministère de la Santé), décide si le médecin mérite une des notes suivantes : ‘Be cautious’, ‘Warning’, ‘Severe/Profound Warning’, ou encore, ‘Deregister’. Seule la radiation dépend de la Public Service Commission (PSC) », a précisé le Dr. François Tadebois.
Concernant la différence entre les enquêtes menées dans le privé et dans le public, le porte-parole du MC a déclaré qu’une demande « est encore à l’étude » au sein du conseil. Selon le Dr. François Tadebois, le MC envisage de formuler une proposition « en vue d’amender la loi de sorte afin que le conseil soit apte à prendre des décisions sans consulter la PSC ». Il fait ressortir qu'au niveau du privé, les sanctions sont prises directement. C'est-à-dire que les cas rapportés par les patients sont immédiatement traités par le MC. Mais dans le cas du secteur public, dit-il, l’autorisation de la PSC est nécessaire. « Il est du devoir de cette entité de déléguer les pouvoirs et de prendre les décisions qui s’imposent. Mais c’est la loi. Les hôpitaux tombent sous la PSC », a souligné le Dr. François Tadebois.
La prérogative du Medical Council
Le MC a le pouvoir d’initier une enquête préliminaire contre un de ses membres, suivant une plainte pour faute professionnelle, fraude, malhonnêteté, négligence ou toute violation du code de pratique.
Si l’enquête préliminaire conclut à une faute, un tribunal disciplinaire est institué. Le tribunal est composé d’un président, en général un juge ou un magistrat, et de deux assesseurs qui doivent être des médecins agréés. Les trois doivent avoir plus de dix années d’expérience dans leur domaine respectif.
Si le tribunal confirme la conclusion de l’enquête préliminaire, les sanctions suivantes peuvent être appliquées :
- un avertissement ou un avertissement sévère ;
- une réprimande ou une réprimande sévère ;
- une suspension de fonction pour une période ne dépassant pas 12 mois ; ou
- le retrait du nom de la personne inscrite du registre.
Les victimes de négligence médicale peuvent intenter une action au civil, des dommages étant prévus si la faute est prouvée. Les services d'un avoué et d'un avocat seront nécessaires pour engager une procédure devant la Cour suprême. Si les poursuites sont dirigées contre le ministère de la Santé et l’État, celles-ci doivent se faire dans un délai de 24 mois.
Par ailleurs, des poursuites au pénal peuvent aussi être engagées par la police en cas de décès ou de blessure grave causée à un patient. La négligence doit être d’une certaine gravité, allant au-delà d'une indemnisation. Le médecin peut alors être poursuivi par la police et inculpé devant un tribunal pénal.
Dr Dawood Oaris de l’Association des cliniques privées : «La procédure est simple dans le privé»
Les procédures en cas de négligence médicale alléguée dans le privé sont beaucoup plus simples, selon le Dr Dawood Oaris, président de l'Association des cliniques privées. « La plainte est faite directement auprès du Medical Council. Celui-ci demandera d’abord des explications en écrit au médecin concerné. Le médecin devra alors se justifier et expliquer pourquoi le Medical Council ne devrait pas prendre des actions disciplinaires contre lui. Une fois les explications obtenues, un comité au Medical Council déterminera s’il y a matière à poursuivre l’enquête ou pas », a expliqué le Dr Oaris.
Selon ce dernier, si le comité n'est pas satisfait des explications fournies par le médecin incriminé, il peut décider de poursuivre l’enquête. Il devra alors rédiger un rapport après que les principaux concernés aient donné leur version des faits. Ce rapport sera ensuite soumis au Medical Disciplinary Tribunal.
« Dépendant de la gravité de la faute, le médecin peut écoper d’un avertissement, d’une réprimande, de la suspension de sa licence pour une durée de 12 mois ou, dans des cas extrêmes, il peut être radié. » Et le Dr Oaris d'ajouter que le plaignant peut aussi intenter des poursuites au civil contre le médecin. « Le plaignant peut alors faire usage des rapports rédigés dans le cadre de sa plainte. »
Dr. Ishaaq Jowahir : «Un Investigative Body est nécessaire»
Le Dr. Ishaaq Jowahir de la Private Medical Practitionners' Association (PMPA) ne mâche pas ses mots à l’égard du système. Il a déploré le fait que des dossiers de cas de négligences médicales traînent à la Public Service Commission (PSC). Le médecin réclame la mise sur pied d’une institution séparée visant à enquêter sur les cas de négligence médicale. « Lorsque des cas de négligence médicale sont rapportés contre un médecin de l’État, l’affaire est portée au ministère de la Santé d’abord, puis au Medical Council, au Medical Disciplinary Tribunal et enfin à la PSC pour les sanctions. Or, une fois qu’un cas est rapporté dans le privé, le Medical Council initie aussitôt une enquête puis passe le dossier au Medical Disciplinary Tribunal pour les sanctions », a précisé le médecin.
Ce dernier a déploré toutefois ce protocole qui est « de deux poids, deux mesures ». Il réclame la mise sur pied d’une autre structure. « Un Investigative body, constitué de médecins du privé et du public, doit être institué. Ce corps indépendant aura pour tâche de mener des enquêtes sur des cas de négligence médicale rapportés dans le privé et dans le public. Cette structure sera équitable et juste pour les deux institutions », propose-t-il.
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