L’économiste décortique le Budget et soulève ses incohérences, dont l’incompatibilité de l’impôt négatif avec le salaire minimal. Il regrette l’absence de l’investissement privé dans le discours du Grand argentier et doute que les prévisions de 4,1 % de croissance soient réalisées.
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Dans les grandes lignes, quelle impression le Budget vous a-t-il laissé ?
Je reste sur ma faim en tant qu’économiste. C’est un Budget fade avec beaucoup de mesures sociales comme d’habitude. Mais du point de vue économique, on s’attendait à un Budget qui traite des problèmes économiques urgents. Il y en a trois : d’abord, l’exportation. Nous sommes en plein dans l’incertitude causée par le Brexit et nos exportations ont déjà chuté de 11 % l’année dernière. Il fallait venir avec des mesures pour soutenir les industries traditionnelles. Il est venu principalement avec des mesures pour soutenir les entreprises domestiques qui peuvent exporter, notamment les petites et moyennes entreprises (PME). Cette baisse de Corporate Tax sur les profits de l’exportation, qui passe à 3 %, il faut d’abord avoir les moyens d’en profiter !
Le problème, c’est que dès le départ, les PME n’ont pas les moyens d’exporter leurs produits…
Très peu de PME exportent. Le deuxième problème économique qui n’a pas été abordé dans le Budget, c’est l’investissement privé. C’est à peine si le terme a été utilisé. La seule mesure qu’on puisse souligner, c’est la relaxation des critères de recrutement de la main-d’œuvre étrangère dans des secteurs comme l’agro-industrie. On mise aussi sur de nouveaux secteurs comme la pharmacologie et la biotechnologie, mais il n’y a pas grand-chose pour les secteurs traditionnels.
Le troisième problème, c’est l’offshore. Ce secteur est en pleine transition, avec la fin du traité indien et ce Budget n’en fait pas mention. On fait comme si de rien n’était, alors que c’est un Game Changer. Il a dit de manière vague qu’il reverra le régime fiscal de l’offshore. Les sociétés offshore, aujourd’hui, paient 3 % au lieu de 15 % de Corporate Tax. Est-ce qu’on revoit cela ? C’est une mesure qu’exige l’OECD, mais où sont les mesures d’accompagnement ? Puis c’est contradictoire : pourquoi ramener la taxe de l’offshore à 15 % alors qu’elle était de 3 % et faire l’inverse pour les PME ?
Vous parlez de budget social et la mesure la plus originale est sans doute l’impôt négatif et la « Solidarity Levy » pour les riches. L’objectif est de réduire les inégalités. Atteindra-t-on ce but à travers ces deux mesures ?
Ce sont deux choses séparées. D’abord, l’impôt négatif est une alternative au salaire minimal. Je suis surpris qu’il soit venu avec cela alors que le gouvernement envisage d’introduire le salaire minimal en janvier 2018. Le salaire minimal bousculera le système de l’impôt négatif : ceux qui touchent moins de Rs 5 000 auront un chèque de Rs 1 000, ceux qui touchent Rs 5 000 auront Rs 800, puis cela diminue au fur et à mesure.
Mais à combien sera fixé le salaire minimal ? A-t-on déjà décidé qu’il sera de Rs 5 000 ? On disait que le salaire minimal devait être déterminé en fonction du salaire médian, qui est de Rs 12 800. Si on retenait un salaire minimal qui est de 60 % du salaire médian, cela nous fait Rs 8 000 environ. C’est une deuxième incohérence de ce Budget. S’il fallait choisir entre l’impôt négatif et le salaire minimal, je choisirais l’impôt négatif.
«Moins de 3 000 personnes sont concernées par la ‘Solidarity Levy’. Avec cette mesure, l’État récoltera moins de Rs 100 millions par an.»
Pourquoi ?
Parce que l’impôt négatif peut quand même favoriser l’emploi. C’est une sorte de subside à l’entreprise. Un employeur peut donner un salaire de Rs 5 000 en sachant que la personne aura Rs 6 000 en comptant l’impôt négatif. Pour le salaire minimal, c’est l’entreprise qui paie. Il favorise la consommation plus que la production. Pour moi, la seule façon de réduire les inégalités, c’est de permettre aux personnes au bas de l’échelle d’avancer dans la hiérarchie salariale, d’être formées et de profiter de la méritocratie.
Qu’en est-il de la « Solidarity Levy » qui veut taxer les riches ?
Avec cette mesure, le gouvernement veut imposer un seuil de Rs 3,5 millions. Mais un contribuable qui a deux personnes à sa charge a un seuil de Rs 475 000. C’est après avoir déduit cela qu’on obtient le revenu imposable. Donc, en réalité dans cet exemple, c’est à partir de Rs 4 millions que cette levy entrera en jeu. Et encore, c’est sur les sommes qui dépassent ces Rs 4 millions. Pour quelqu’un qui gagne Rs 4,1 millions, la Levy de 3 % ne s’appliquera que sur Rs 100 000. D’après les chiffres de Statistics Mauritius, en 2015, environ 3 500 personnes avaient un revenu annuel de plus de Rs 2,5 millions. Moins de 3 000 personnes sont concernées par cette Solidarity Levy. Je pense qu’avec cette mesure, l’État récoltera moins de Rs 100 millions par an.
Le ministre des Finances prévoit une croissance de 4,1 %. Le même chiffre figurait dans le précédent Budget, comme l’a rappelé Paul Bérenger. Doit-on y croire ?
Ce chiffre n’est pas réaliste. Ce n’est pas un Budget qui relancera l’économie. Il a jeté ce chiffre comme on jette un os à un chien. Il avait donné le même chiffre l’année dernière et nous n’avons eu que 3,9 % au final. Cela pourrait même être moins que cela l’an prochain.
Le Budget ne dit pas grand-chose non plus sur la création d’emplois…
C’est l’investissement privé qui amène la création d’emplois. Il répond à une logique interne : s’il ne parle pas d’investissement privé, il n’y a pas lieu de parler de création d’emplois. Il n’y a que l’emploi dans le secteur public. Là, il paraît qu’on recrutera encore 2 000 fonctionnaires. On annonce aussi le recrutement de 583 policiers. L’an dernier, c’était 930 policiers. L’année précédente, Lutchmeenaraidoo annonçait 600. En trois ans, sous ce gouvernement, on a recruté 2 100 policiers !
Au niveau de l’investissement, l’Economic Development Board verra le jour. Cela va-t-il aider à attirer des investissements ?
C’est une simple fusion de quatre organismes. Il y avait la même idée l’année dernière. J’espère que cela apportera une rationalisation des procédures et non un monstre administratif avec trois Chief Executive Officers, comme avec Landscope Mauritius.
Que pensez-vous de l’amendement à la Public Debt Management Act pour exclure les dettes des organismes parapublics pour le calcul du plafond de la dette publique ?
Ils jouent avec nous ! On était supposé réduire la dette publique à 50 % du Produit intérieur brut (PIB) en décembre 2018. On en est arrivé à 56 % cette année. Ils savent qu’ils n’y parviendront pas, donc il fallait amender la loi pour retarder l’échéance. Ce qui aurait envoyé un mauvais signal. Donc, il abolit cette loi et la remplace par une autre. L’objectif ne sera plus 50 % du PIB, mais 60 %, selon la définition internationale de la dette publique. Actuellement, cette dette est à 66 %. Mais si on regarde ses prévisions, dans trois ans, on en sera à 62,2 %. Il ne nous dit même pas quand il compte ramener cela à 60 %. Encore un exemple où tout reste vague. C’est un mauvais signal envoyé aux investisseurs étrangers. Cela leur dit que le gouvernement gère mal les finances publiques.
Cette loi a été votée en 2008 sous les pressions du Fonds monétaire international (FMI). Doit-on craindre la réaction du FMI ?
Le gouvernement doit discuter avec le FMI et le convaincre de son sérieux. Mais je suis plus intéressé par ce que dira Moody’s qui a plus d’influence sur les investisseurs étrangers.
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