Gare à la chute. C’est un peu la conclusion à laquelle aboutit l’économiste Éric Ng, après avoir décortiqué les grandes lignes du Budget 2018-2019. Notre invité met l’accent sur un Budget qui privilégie le court terme sans tenir compte des défis économiques mondiaux.
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Quelle lecture faites-vous du Budget 2018-2019 ? Quels en sont ses points saillants ?
D’abord, le secteur privé avait craint qu’il contiendrait de nouveaux impôts, il n’en a rien été. Compte-tenu de cela, j’en conclus que c’est presque du ‘business as usual’. Pour les classes moyennes, on a baissé le taux d’imposition à 10 %, ce qui représente un surplus de revenus disponibles. Est-ce que les classes moyennes vont-elles tout dépenser, ou en garder une partie ou encore rembourser les dettes ? Une grande partie peut soutenir la croissance et la consommation. Mais n’oublions pas que nous importons beaucoup de ce que nous consommons. De ce fait, une relance par la consommation entraînera déjà une hausse des importations et par conséquent, un déficit de la balance commerciale. Il y aura une pression qui conduira à la dépréciation de la roupie, avec pour conséquence que les produits seront plus chers.
Pourquoi le ministre des Finances a-t-il pu se permettre de concessions qui semblent plaire à la population ?
S’il n’y a pas eu de nouvelles taxes, mais, en revanche, la baisse de la fiscalité, c’est que le gouvernement aura le soutien des gouvernements étrangers en matière de ‘grants’. En 2019, il disposera de Rs 9 milliards pour le projet Metro Express et de Rs 1,6 milliard de fonds spéciaux. Grâce à cette masse d’argent, le gouvernement peut ne pas monter les impôts, mais jusqu’où ira-t-il et que se passera-t-il à l’avenir, lorsque nos n’aurons plus de fonds provenant de l’étranger ? À bien y regarder, c’est un Budget qui incite à l’endettement, d’autant qu’il a rehaussé les financements bancaires à 100 %. C’est un Budget qui met l’accent sur le court terme au lieu de s’atteler aux défis de l’avenir, qui sont déjà présents.
Certains ont pu parler de Budget électoraliste. Est-ce le cas ?
Définitivement. D’abord, avec des mesures en faveur de la classe moyenne, puis l’accès à des prêts, la baisse des prix du gaz ménager, alors qu’il n’y aucune baisse sur le marché mondial et aucune taxe sur l’alcool et les cigarettes, ni d’augmentation du tarif d’eau, entre autres. Ce Budget est une indication que les élections générales ne sont pas loin.
Quels sont les grands absents de ce Budget ?
Ce Budget ne propose rien concernant la nécessaire réforme de la pension et ne s’attèle pas aux défis auxquels sont déjà confrontés les grands piliers de notre économie, dont l’industrie sucrière, le secteur manufacturier, l’hôtellerie et le tourisme, les services financiers et les Tic, sans oublier la révolution industrielle qu’est le 4.0, afin d’être en mesure de s’aligner avec la concurrence étrangère.
Il faut cesser de faire croire que la situation économique est bonne et qu’on peut continuer de faire comme si de rien n’était.»
Qu’est-ce qui explique cette priorité de choix par rapport à d’autres ?
Je trouve que c’est de l’inconscience, car le contexte économique mondial reste difficile. À part la braderie du passeport mauricien, on fait marche arrière concernant les priorités contenues dans la Stratégie nationale d’exportations, dont on avait parlé en 2017. Or, le contexte international est caractérisé par la montée du protectionnisme, la concurrence internationale et la hausse du prix du pétrole. Il n’y aucune mesure concrète qui s’attaque à ces défis.
Pourtant, ces questions ont été mises de l’avant par le secteur privé durant les consultations pré-budgétaires. Est-ce que le ministre des Finances n’aurait-il pas tenu compte de cette situation ?
Ne soyons pas dupes : ces consultations relèvent d’un rituel où on ne fait que quelques propositions. C’est toujours ahurissant de constater que le secteur privé soit toujours satisfait du Budget dans son ensemble, malgré le fait que la plupart de ses propositions n’ont pas été adoptées. À quoi, alors, servent ces réunions pré-budgétaires ?
Si Pravind Jugnauth n’a pas été attentif à ces propositions, qui a-t-il écouté ?
Il a écouté ses conseillers économiques, il prône l’esprit de la consommation, la relance keynésianisme par la consommation. Depuis le premier Budget de 2016, on voit que c’est un Budget qui incite à la dépense, la consommation et l’endettement.
Peut-on parler de Budget qui met l’accent sur le social plutôt que sur l’économie ?
C’est un Budget pour le petit peuple. Pravind Jugnauth veut un soulagement au niveau des prix pour la consommation. Mais pour ce faire, il faut des revenus, un emploi et un pouvoir d’achat. Aujourd’hui, quand on regarde parmi les jeunes, il existe de nombreux chômeurs dans la tranche d’âge de 16 à 25 ans. Même lorsqu’ils ont un emploi, il n’est pas à la mesure de leurs qualifications. Il faut relancer la production de l’entreprise pour créer des emplois avec des revenus permettant de consommer. Dans une économie, il faut passer par la production et c’est l’entreprise qui doit être au cœur de ce processus de relance. Je suis vraiment triste de noter que c’est un Budget qui ne regarde pas l’avenir et l’avenir, c’est l’épargne. Je note, aussi, que l’investissement fait peu de mention de l’investissement privé. En investissant aujourd’hui, ce sont les emplois de demain que le secteur prive crée. Je pense que le gouvernement a les yeux rivés sur les élections, donc il va inciter à la consommation pour créer un semblant de ‘feel-good factor’.
L’octroi du passeport et de la nationalité mauricienne sont-ils des mesures justifiées pour attirer les riches étrangers ?
C’est une mesure qui démontre que c’est un gouvernement qui manque d’imagination pour attirer les investisseurs étrangers. En fait, il n’arrive pas à vendre Maurice par des mesures économiques comme la bonne gouvernance. C’est une mesure désespérée que de vendre la nationalité mauricienne contre paiement. Jusqu'à présent, on vendait Maurice avec ses avantages fiscaux et économiques moyennant qu’on investisse. Après plusieurs années, on pouvait demander un passeport, mais là, on le vend comme une marchandise. Si j’ai bien compris, on n’arrive pas à vendre nos Smart Cities et IRS et par cette vente de passeport, on tente d’attirer des étrangers. C’est un véritable drame, car cela signifie qu’on a développé un secteur sans étude sérieuse en matière de demande. Est-ce qu’il y avait la demande pour les Smart Cities et les IRS ? Là, on vient brader le passeport mauricien pour relancer le secteur immobilier. Est-ce qu’on verra accourir de riches étrangers et viendront-ils à Maurice pour investir ? Rien ne le prouve. J’ai le profond sentiment qu’il s’agit d’une stratégie qui, d’une part, dévalorisera le statut de Maurice et, d’autre part, va inciter à la spéculation immobilière.
Y a-t-il des mesures pour contenir la dette publique à défaut de le réduire ?
Rien n’a été fait dans ce sens. En juin 2018, la dette publique représentait 63 % du PIB. À fin 2018, elle restera au même niveau. Dans cette dette, on ne comptabilise pas les emprunts garantis par le gouvernement comme celui de la State Bank pour le Metro Express ou le Safe City Project, pour lequel Mauritius Telecoms a emprunté plusieurs milliards. Si on devrait comptabiliser ces emprunts, la dette publique se rapprocherait de 70 % du PIB. Le gouvernement donne le mauvais exemple, en incitant les gens à s’endetter.
Présenté comme tel, est-ce le dernier de ce gouvernement ?
Le gouvernement dit qu’il lui reste un dernier Budget en 2019. Or, celui-ci montre déjà un gouvernement à bout de souffle. S’il a un 5e Budget, je ne m’en attends pas à un meilleur, car il ne s’attèlera pas à la relance économique. Ce sera un Budget encore plus électoraliste et qui ne demandera aucun effort aux Mauriciens. Il faut cesser de faire croire que la situation économique est bonne et qu’on peut continuer de faire comme si de rien n’était, or les prochaines années vont être difficiles.
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