Ce dimanche, plus d’un million de Mauriciens se rendront aux urnes après une campagne marquée par une polarisation extrême, des enregistrements controversés et des restrictions sur les réseaux sociaux. Entre surenchères de promesses et tensions exacerbées, le scrutin de 2024 pourrait redéfinir le paysage politique mauricien.
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Ce dimanche 10 novembre 2024, quelque 1 002 857 Mauriciens sont attendus dans les centres de vote pour élire leurs futurs représentants parlementaires. La dissolution de l’Assemblée nationale, le 4 octobre dernier, a lancé une campagne unique en son genre, marquée par une polarisation intense, des rebondissements imprévus et des révélations d’enregistrements audio qui continuent d’alimenter le débat public. Linion Reform, dirigée par Roshi Bhadain et Nando Bodha, incarne, elle, une troisième force.
Les deux blocs en compétition
L’élection oppose avant tout deux grandes alliances. L’Alliance Lepep, dirigée par le Premier ministre sortant Pravind Jugnauth, chef du Mouvement socialiste militant (MSM) fait valoir son bilan en termes de développement économique, d’infrastructures et de relance post-pandémique. À ses côtés, Xavier-Luc Duval, Ivan Collendavelloo, Steven Obeegadoo et Alan Ganoo défendent une vision de stabilité et de continuité.
Face à eux, l’Alliance du Changement regroupe le Parti travailliste (PTr) de Navin Ramgoolam, vétéran de la politique locale, et le Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger, avec des alliés comme Nouveaux Démocrates et Rezistans ek Alternativ. Vétéran de la politique, le leader des rouges, qui a déjà exercé trois mandats de Premier ministre (1995-2000, 2005-10, 2010-14), ambitionne de retrouver un rôle de premier plan après plusieurs années passées dans l’opposition et deux échecs électoraux personnels (2014 et 2019).
Le climat de la campagne a été dominé par des polémiques, au-delà des discours classiques sur l’économie et le social. L’émergence de bandes sonores et de contenus compromettants a profondément changé la dynamique de cette période électorale.
Enregistrements audio : révélations et controverse
Les débats publics ont été marqués par la diffusion de près de 80 enregistrements audio, relayés par un mystérieux dénonciateur sous le pseudonyme de « Missie Moustass », que le gouvernement soupçonne être Sherry Singh, ancien Chief Executive Officer de Mauritius Telecom. Ce dernier a été arrêté le vendredi 1er novembre 2024, avec quatre autres personnes.
Mais lundi dernier, la Cour suprême a décidé de rayer l’accusation de terrorisme, estimant que les explications fournies par la police ne justifiaient pas une telle charge contre les suspects. Ces bandes, dans lesquelles seraient entendues les voix attribuées à Pravind Jugnauth, à son épouse Kobita Jugnauth et au Commissaire de police Anil Kumar Dip, ainsi qu’à d’autres personnes évoluant dans le giron du couple Jugnauth, ont suscité une indignation croissante au sein de la population.
Les propos diffusés, bien que non vérifiés, offrent un aperçu troublant de ce qui serait le fonctionnement interne de l’appareil d’État. L’effet de ces révélations a été immédiat, provoquant un sentiment de défiance envers l’administration actuelle chez une partie de l’opinion publique.
Le gouvernement a vivement réagi, rejetant ces enregistrements comme étant manipulés et le fruit de l’intelligence artificielle et contraires aux intérêts nationaux. Dans ce climat de tension, le camp au pouvoir a répondu par la publication de nouvelles bandes sonores via des comptes anonymes, « Anonym Moris » et « Missie Labarbe ». Ces enregistrements concernent des conversations privées de certains candidats de l’Alliance du Changement, parfois de nature intime. Ils ont été largement partagés sur les réseaux sociaux. Cette guerre de bandes sonores a eu pour effet de renforcer la polarisation entre les partisans des deux camps.
Régulation des réseaux sociaux et intervention de l’Icta
Face aux « révélations » de Missie Moustass, les autorités ont pris une décision inédite pour Maurice. L’Information and Communication Technologies Authority (Icta), soutenue par le bureau du Premier ministre, a ordonné une restriction temporaire de l’accès à certains réseaux sociaux, notamment Facebook, TikTok et Instagram. Cette coupure, instaurée le vendredi 1er novembre au matin et levée le lendemain vers midi, avait pour objectif officiel d’empêcher la diffusion des bandes sonores jugées sensibles pour la sécurité nationale.
La décision a toutefois suscité des critiques, notamment parmi les partisans de la liberté d’expression et les défenseurs des droits numériques, mais aussi des internautes. Certains y ont vu une tentative de censure et de contrôle de l’information, dénonçant une atteinte au droit de l’électorat à une information libre et complète. Les réseaux sociaux étant devenus l’un des principaux canaux de communication en cette période électorale, cette coupure a amplifié les suspicions d’une intervention politique dans le traitement des informations.
Tensions communales et raciales
À la série d’enregistrements s’ajoutent des vidéos à caractère communal et racial, circulant sur les réseaux sociaux depuis le début de la campagne. Ces vidéos, qui tentent de jouer sur les clivages ethniques, ajoutent un climat de crispation au sein de la société mauricienne. L’impact de ces contenus pourrait influencer l’issue du scrutin en faveur ou en défaveur de certains.
Les résultats du vote de dimanche ne se limiteront pas à choisir les futurs représentants à l’Assemblée nationale : ils seront également le reflet de la capacité de Maurice à traverser une campagne marquée par la défiance et les controverses.
Surenchère de promesses électorales
La campagne électorale s’est aussi distinguée par une multiplication de promesses électorales. Face aux électeurs, le gouvernement sortant a mis en avant plusieurs mesures ambitieuses pour « soutenir le pouvoir d’achat des Mauriciens ». Parmi elles, une allocation mensuelle de Rs 5 000 par enfant, de la naissance jusqu’à l’âge de 18 ans, ainsi qu’une allocation de Rs 2 000 destinée aux femmes au foyer, annoncée pour alléger la charge des ménages.
Dimanche dernier, lors du grand meeting de clôture qui s’est tenu à Phœnix, une promesse de 14e mois de salaire a été faite aux employés et aux travailleurs indépendants. Cette initiative a été reprise par l’Alliance du Changement, mardi, lors d’une conférence de presse.
Mercredi, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a annoncé des allégements fiscaux importants sur les carburants. En cas de victoire, il a promis qu’en janvier, la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) appliquée à l’essence et au diesel passera de 15 % à 10 %, réduisant ainsi le prix de l’essence de Rs 2,30 par litre et celui du diesel de Rs 2,60. En outre, une abolition immédiate de l’Excise Duty sur l’essence et le diesel est prévue après les élections générales. Cette suppression totale des taxes entraînerait une baisse cumulative de Rs 16 pour l’essence et de Rs 7,45 pour le diesel.
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