Le Dr Vikash Tatayah, directeur de conservation et assistant-trésorier de la Mauritian Wildlife Foundation, est d’avis que l’environnement à Maurice est dans une condition si dégradée qu’il est presque arrivé au point de non-retour.
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« Le Rodriguais a une meilleure conscience écologique que le Mauricien. »
Quel constat faites-vous de la conservation à Maurice ?
La situation est catastrophique. Il ne reste que 1 % de forêt de bonne qualité. Ce qui reste (4 %) s’est fortement dégradé. Les côtes et les lagons sont en péril, puisqu’on construit dans les milieux humides. Les gens jettent leurs ordures partout. Les arbres enlevés ne sont pas remplacés. La situation est si grave qu’il faudrait cent ans pour y apporter un semblant d’ordre.
Les « wetlands » sont un atout touristique. Que pensez-vous du projet hôtelier aux Salines ?
Il faut savoir que presque toute la côte de Maurice est composée de zones humides. Ces zones incluent les rivières et les marais. Depuis l’indépendance, les gouvernants ont privilégié des hôtels ou des bungalows pieds dans l’eau tout le long de la côte. Certains propriétaires n’ont pas respecté les distances permises avec les berges des rivières. Donc, il n’y a pas que le projet aux Salines qui est concerné. Les wetlands permettent l’épuration des eaux, le contrôle des crues, le maintien des écosystèmes et la régulation de la quantité d’eau fournie par les écosystèmes. Mais c’est le cadet des soucis des décideurs politiques et des propriétaires de terrains.
New Mauritius Hotels Ltd dit vouloir créer un « wetland » encore meilleur sur ces terrains...
C’est une aberration. Je ne suis pas contre le développement aux Salines de Rivière-Noire. Cela appuiera la croissance et créera des emplois. En revanche, je crois qu’on peut développer tout en conservant les espaces vitaux. C’est un atout touristique. Construire sur une zone humide pour créer une autre zone humide ? Je ne comprends pas pourquoi les promoteurs veulent toujours construire pieds dans l’eau pour les touristes. Je suggère à New Mauritius Hotels Ltd de construire à l’arrière et de conserver les wetlands qui sont devant.
En plantant des arbres et des plantes endémiques qui attirent les oiseaux, cette entreprise permettrait aux touristes de profiter de la mer tout en prenant connaissance de la faune et de la flore. Croyez-moi, ce serait un plus pour les touristes, car ils s’y intéressent beaucoup. Il faut aussi que le gouvernement songe aux plantes endémiques, au lieu de dépendre seulement des filaos pour les plages. Certains arbustes atteignent 20 mètres et ils sont ombrageux. Les oiseaux les préfèrent aux filaos.
Êtes-vous satisfait de la restauration d’habitats sur les îlots ?
À l’île-aux-Aigrettes seulement. Un formidable travail a été abattu pour retourner cette île à son état d’origine, que ce soit au niveau de la faune ou de la flore. C’est une grande victoire pour la biodiversité. L’île Plate et l’île Ronde sont des échecs. Surtout l’île Plate qui est dans un état déplorable.
Les chasses sont ravagées aussi…
Terriblement. On coupe sans discrimination. Les bois endémiques sont détruits. Les forêts se transforment en vastes plaines. On y introduit le sanglier qui dévore les racines des plants endémiques. Les cerfs broutent les plants et dégradent le sol. Plus rien ne reste. Au niveau des brisées, il y a un pourcentage à respecter. Mais on fait fi de cela.
Votre programme scolaire « Apprendre avec la nature » ne marche pas fort…
Nous organisons des sorties à l’île-aux-Aigrettes gratuitement pour les élèves du primaire et à un prix forfaitaire pour ceux du secondaire. Mais nous constatons que les chefs d’établissement ne semblent pas intéressés. Ils craignent peut-être qu’un élève soit victime d’un accident. Mais un accident peut se produire à tout moment et partout, pas seulement lors d’une excursion.
Notre action vise à sensibiliser les jeunes au respect de l’environnement. C’est d’eux que viendra le changement, si changement il y a. Plus tôt ils seront sensibilisés, mieux cela vaudra. Mais il faut bien que les chefs des établissements scolaires encouragent les apprenants à y aller.
Je me suis rendu en Israël. J’ai vu des étudiants encadrés par des enseignants vivre dans le désert pendant quelques jours, malgré les serpents, les scorpions, la chaleur, les risques de déshydratation et l’égarement en chemin. Mais cela fait partie du programme scolaire afin que les jeunes comprennent les enjeux environnementaux.
Il paraît que Rodrigues est en avance sur Maurice à ce sujet ?
Absolument. Le Rodriguais a compris que la pollution, la dégradation des sols et la pêche illégale ne peuvent que nuire à lui-même. Il a une meilleure conscience écologique. Là-bas, les autorités pratiquent la fermeture de la pêche à l’ourite deux fois l’an. Le plastique est interdit. La Mauritian Wildlife Foundation a créé une forêt endémique splendide à Grande-Montagne. Les Rodriguais en prennent grand soin. En comparaison, les Mauriciens ne sont pas éduqués. Ils ont reçu une instruction à l’école, c’est tout. Et les gouvernants font preuve de laxisme en matière d’environnement. On tarde à prendre des décisions. Et la bureaucratie est poussive.
La culture et l’environnement sont négligés. Qu’en est-il du patrimoine ?
Je ne critique aucun gouvernement en particulier. Mais c’est clair que la culture et l’environnement sont relégués à je ne sais quelle position par tous les gouvernements qui se succèdent. Ici, tout est une question d’économie et d’argent. La pollution, la laideur et des pans entiers de l’histoire s’effacent. Cela intéresse peu les gouvernants. Allez voir dans quel état se trouve le château Bénarès dans le Sud. Moi je dis que ce qui est historique à Maurice doit être préservé. On voit des ruines dans beaucoup de coins. Chacune cache une belle histoire. Payez des gens pour les recherches et réhabilitez ces ruines. De nombreux touristes sont cultivés. Ils apprécieront.
Vous plaidez aussi pour la cause des chauves-souris qui ont perdu leur habitat...
Effectivement. Je dois préciser que la chauve-souris consomme surtout les fruits et les feuilles des arbres endémiques et moins les mangues et les letchis. Le problème est qu’on a déboisé à outrance. On a détruit tout un espace vital pour ce mammifère. Où voulez-vous qu’il aille ? Il faut donc reboiser les montagnes et les rivières, où c’est encore possible. Les gens ont envahi les flancs des montagnes et construit sur des cours d’eau ou tout près.
Que faut-il faire pour sauver l’environnement ?
À Maurice, nous avons un gros problème au niveau du suivi et de l’application des lois. Il faut adopter une politique ferme, sans concessions pour sauver l’environnement. Par exemple, des policiers ou des Coast Guards devraient être présents sur les plages. Ils pourraient dire gentiment aux gens : « S’il vous plaît, ramassez vos ordures et mettez-les dans un sac. » Après ils pourraient verbaliser les gens qui enfreignent les lois.
Il faut aussi créer de grandes pépinières. Il faut employer des gens pour enlever les arbres et plantes exotiques afin de les remplacer par des plantes endémiques sur les montagnes et les berges des rivières. Il faut bannir l’importation d’animaux et de plants exotiques. Cela nuit à la flore et à la faune locales. Il faut faire visiter aux étudiants, dès leur plus jeune âge, des sites naturels pour les sensibiliser à l’écologie. La Mauritian Wildlife Foundation fait ce qu’elle peut. Mais elle est une organisation non gouvernementale avec peu de moyens et les nouvelles règles de la National CSR Foundation nous enlèvent une partie de nos revenus.
Feroz Saumtally
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