Interview

Dr Takesh Luckho, économiste et chercheur indépendant : «Aucune mesure économique et budgétaire n’est gratuite»

Dr Takesh Luckho

L’économiste s’appesantit sur la marge de manœuvre dont dispose le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, dans la préparation du Budget 2019/2020. L’Etat ne peut se permettre d’être généreux aujourd’hui car il faut contrôler le niveau de la dette publique. La rigueur est de mise.

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La semaine économique a été dominée par les consultations en marge du Budget 2019/2020. Des demandes, des pistes de réflexion, des esquisses de stratégies nouvelles. Qu’est-ce que vous retenez de cette démarche ?
Les rencontres entre le ministre des Finances, les principaux partenaires économiques, petits et moyens opérateurs, syndicats et les représentants de la société civile sont bien ancrées dans les habitudes. C’est l’occasion pour l’État d’être à l’écoute des arguments soutenant leurs propositions écrites et soumises. Certes, le Premier ministre et ministre des Finances et son équipe sont appelés à faire le bon choix dans la ribambelle de propositions, rejeter les demandes farfelues et travailler sur celles qui feront avancer le pays.

Quelle demande, si transcrite en une mesure, pourrait avoir un impact sur l’économie ?
Prenons comme exemple, la suggestion de la Mauritius Chamber of Commerce and Industry de ramener l’impôt sur les profits des entreprises à 5 % contre 15 %. Une telle baisse augmentera le revenu après impôts des entreprises et conglomérats mauriciens. Si cette demande devient une mesure-phare du Budget, on devrait s’attendre à davantage d’investissement dans le pays, avec des retombées positives sur la croissance et la création d’emploi. Qui plus est, une taxe corporative à 5 % sera plus attrayante pour des investisseurs prospectant l’Afrique sub-saharienne. Ce sera un nouvel élan pour les investissements directs étrangers, en baisse de 18 % en 2018 comparé à la précédente année.

Le revers de la médaille n’est pas beau à avoir d’un point de vue de consommateur ! Afin de compenser pour la baisse des recettes fiscales venant des entreprises, le gouvernement devra chercher d’autres sources de revenus parce qu’il ne peut jouer la carte de « No Tax Budget » comme en 2015 ! Ainsi, on se dirigerait vers une révision à la hausse de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA). La pilule sera dure à avaler pour l’ensemble des consommateurs.

Vous occultez le ciblage pour la pension universelle et la question de ramener l’âge de la retraite à 65 ans. N’est-ce pas là un mal qu’on ne peut plus tarder à guérir ?
Le problème lié au vieillissement de la population s’explique comme suit. Il y a un nombre en hausse de personnes éligibles à la pension de vieillesse (215 334 en 2108 comparer à 206 799 en 2017, soit une hausse de 4,1 %). En parallèle, la population active (des Mauriciens entre 16 et 65 ans ayant un emploi et payant des impôts) est en baisse. C’est un casse-tête pour l’État. Le gouvernement doit constamment trouver plus d’argent pour s’acquitter du paiement des pensions. C’est un coût grandissant pour le pays qui se transforme en une pression additionnelle dans la préparation du Budget.

Je ne pense pas que ce gouvernement va prendre le risque de présenter une réforme du système de pension à la veille des élections générales»

D’accord. Quelle serait la solution idéale pour l’État ?
Pour être honnête, il n’existe aucune solution idéale parce que ce sera toujours au détriment d’un segment de la population, des personnes qui ont contribué au développement du pays. Mais si vous insistez, voilà une voie dans laquelle l’État pourrait s’engager. Afin de réduire cette pression sur l’appareil d’État, on devrait mettre en place un mécanisme de ciblage en remplacement du système actuel, comme préconisé par le Fonds monétaire international dans un rapport en date de 2016 et intitulé « Pension Reforms in Mauritius : Fair and Fast - Balancing Social Protection and Fiscal Sustainability. »

Au fond, croyez-vous que le gouvernement, dans son dernier Budget, sera aussi courageux pour adopter une telle mesure ?
La question de ciblage de la pension de vieillesse reste un très mauvais souvenir pour l’actuel Premier ministre. Cette mesure, présentée et mise en place en 2004 par la même personne en sa capacité de ministre des Finances à l’époque, avait été très mal accueillie par la population. L’impopularité de cette mesure a été l’un des facteurs ayant contribué à la défaite du gouvernement en place pour l’élection de 2005. De fait, je ne pense pas que ce gouvernement va prendre le risque de présenter une réforme du système de pension à la veille des élections générales. Le High Level Committee, instauré pour travailler sur ce dossier, est toujours en mode « réflexion ». Le ministre de la Sécurité sociale a déjà donné le ton en disant à la presse que « le gouvernement…n’est pas d’accord qu’on touche à la pension de gens modestes. »

Devrait-on s’attendre à un budget populiste tenant compte de la conjoncture électorale ?
C’est une attitude qui n’est pas nouveau. À chaque exercice budgétaire de fin de mandat d’un gouvernement, on s’attend à un budget dit « fer la bous dou », en caressant dans le sens du poil les deux gros composants des votants : les fonctionnaires et les retraités. Le corps syndical a soumis des propositions à l’effet que le rapport du Pay Research Bureau et ses recommandations de hausses salariales soient rendus publics en janvier 2020, 10 mois avant la date impartie. En même temps, il est question d’aligner les pensions de base sur le salaire minimal. L’opérationnalisation de ces deux propositions représente un coût élevé. Les dépenses de l’État, déjà sous le feu des projecteurs, augmenteront. L’impact sur le déficit budgétaire et la dette sera considérable.

À votre avis, l’État est donc appelé à choisir entre faire plaisir aux votants et respecter ses engagements en tant que gouvernement responsable qui agit pour l’intérêt futur du pays ?
La dette publique est passée à Rs 318 milliards à fin mars 2019. Elle est à 64,8% du Produit Intérieur Brut contre 63 % en mars 2018. Le seuil à ne pas dépasser, selon les normes internationales est de 60 %. Déjà, on devrait repousser le calendrier établi pour s’assurer que la dette repasse à ce niveau. Le Fonds Monétaire International en fait mention de cette situation alarmante. Un budget populiste ne fera qu’amplifier la pression sur l’économie mauricienne.

Mais d’ici l’horizon 2025, le niveau d’endettement devrait retrouver un palier plus favorable. Pourquoi est-ce un problème ?
L’impact d’un budget populiste dépasse le cadre des finances publiques. N’oublions pas l’effet sur l’inflation que cause une injection massive de liquidités dans le circuit monétaire. Le prix des produits et services repartirait à la hausse. Aucune mesure économique et budgétaire n’est gratuite. Des concessions faites ici seront financées par des réductions dans d’autres segments. Si l’Etat mise sur une hausse de ses revenus pour financer ces concessions, le contribuable et le consommateur devra casquer plus d’une façon ou d’une autre.

Au final, quel type de budget sera bénéfique au pays ?
À un moment où les principaux secteurs économiques du pays, comme le textile, le tourisme et l’offshore, sont confrontés à d’énormes défis - le Brexit, la révision du traité de non-double imposition fiscale avec l'Inde et la baisse dans le nombre d’arrivées touristiques au pays – de nombreux observateurs s’attendent que à ce l’exercice budgétaire 2019/2020 apporte des réponses concrètes au aux attentes des opérateurs des différents segments sous pression.

 

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