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Dans les bottes d’Ajay Aumeerun

Culture d’angives et de gingembre.
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En ce début d’année, nos pas nous guident vers un coin pittoresque du pays. Là où la terre fertile de Rivière Baptiste aide Ajay Aumeerun à cultiver une variété de légumes. Découvrons, ce dimanche, ce planteur aux mains habiles et au cœur généreux.

Dans le calme matinal de Saint-Pierre, où la majestueuse montagne du Pouce s’étire vers le ciel, nous allons à la rencontre d’Ajay Aumeerun dans ses champs agricoles à Rivière Baptiste. Pour y arriver, nous traversons des sentiers rocailleux, des champs de bananes et d’autres légumes pendant une dizaine de minutes. Nous empruntons le pont Arabe sous lequel, coule une rivière. En chemin, nous découvrons des fleurs sauvages, nous admirons des oiseaux virevoltant dans le ciel et nous courons comme des enfants derrière les papillons que nous trouvons ici et là. 

Sur un immense terrain agricole, un homme récolte des « brèdes ». Il a un chapeau de « cow-boy » vissé sur la tête et des bottes bleues aux pieds. Il sourit en nous voyant approcher. « Vous vous demandez certainement c’est quoi ce look. C’est juste pour me protéger du soleil », dit-il dans un éclat de rire. 

Ajay Aumeerun a 55 ans. Il habite à Ripailles. Après un brin de causette, il nous invite à découvrir ses plantations. Les pieds dans la boue, nous arpentons avec lui l’étendue de ses champs agricoles. Nous découvrons ses cultures de « brèdes », d’aubergines, de piments, d’angives, de coriandre et tant d’autres légumes. 

Ce qui nous plaît le plus, cependant, c’est sa culture de gingembre. Grands consommateurs de jus de gingembre tous les matins pour ses nombreux bienfaits pour la santé, nous admirons le planteur qui arrache d’un tour de main une plante pour nous montrer les rhizomes dans les racines. Nous sommes fascinés par ce que la terre peut produire et le travail acharné des planteurs chaque matin, malgré les caprices du temps, pour garantir que des légumes frais atterrissent dans nos assiettes.

Comment fait-il pour arroser ses plantes au quotidien vu l’immensité de ses champs agricoles ? « À Rivière Baptiste, je cultive des légumes sur 11 arpents de terre. Pour l’irrigation des cultures, j’utilise l’eau de la rivière que vous voyez là-bas », répond Ajay Aumeerun. Et plus encore ? Faire le va-et-vient pour transporter l’eau n’est certainement pas une mince affaire… « Nous utilisons une pompe », sourit le planteur.

Cultiver la terre est sans doute un travail épuisant ? « Oui », répond le planteur. Pourquoi, alors, avoir choisi ce métier ? Ajay Aumeerun explique qu’après avoir échoué à son Certificate of Primary Education (CPE), il a suivi la vocation familiale : la culture des légumes. Des regrets ? « Non. Depuis, mon enfance j’ai les mains dans la terre. Ce métier, je l’ai appris sur le tas. Il m’a permis d’avancer dans la vie après le décès de mes parents lorsque j’étais encore un enfant », confie le planteur. 

Ce dernier raconte qu’il avait un an et demi lorsque son père est décédé. « Nous habitions le village de Crève-Cœur à l’époque. Mon père plantait principalement du gingembre, de l’ail et du curcuma que les anciens appelaient ‘Safran Mang’. » 

Par la suite, comme sa mère avait une maison à Ripailles, ils y ont emménagé. « J’ai commencé la culture des légumes pour aider ma mère à subvenir aux besoins de la famille. Puis, elle est morte lorsque j’avais 15 ans », relate Ajay dont l’enfance a été marquée par des épreuves difficiles. 

À ses débuts dans la plantation des légumes, le manque de main-d’œuvre compliquait la tâche. En faisant des efforts et des sacrifices, il a commencé rapidement à gagner sa vie grâce à la rotation des cultures. « À 20 ans, j’ai pu retaper notre maison familiale. En 1992, je me suis marié avec Rekha, ma femme. À 35 ans, j’ai acheté un terrain à la rue Tulsi à Ripailles pour y construire ma maison. Ce métier m’a aussi permis d’assurer l’éducation de mes enfants. Ma fille est aujourd’hui comptable et mon fils, lui, est ingénieur. Et je viens de marier ma fille », révèle Ajay Aumeerun, avec fierté.

Ainsi, ce planteur qui a grandi dans la misère, a fait d’innombrables sacrifices pour offrir un meilleur confort de vie à sa famille. Son épouse Rekha lui est d’un grand soutien. « Elle est ma main droite, mais je ne lui dis pas », avoue-t-il dans un éclat de rire. 

C’est ensemble que le couple Aumeerun brave les aléas de la vie et cultive la terre avec passion. À quand la retraite ? « Tant que j’ai du courage, je vais continuer à faire ce métier. Pour construire ma maison, j’ai fait un emprunt à la banque que je dois payer jusqu’à mes 65 ans. Donc, il faudra bien continuer de travailler ! »

Après notre balade dans ses champs agricoles, Ajay Aumeerun nous invite chez lui. Nous empruntons la route pour aller à la rue Tulsi, à Ripailles. La beauté du mur de pierre qui entoure sa demeure attire notre regard. « Ce sont des rochers qui viennent de mes champs agricoles. Ils ont été taillés pour faire ce mur », dit-il avec le sourire. 

Bienveillante, Rekha nous sert une boisson fraîche et des biscuits. Nous la remercions. Ensuite, Ajay Aumeerun nous conduit dans un coin de sa cour où il fait des semences. Dans les champs agricoles qu’il loue tout au long de l’année, il y a des pommes d’amour, des aubergines, du gingembre, des calebasses, des concombres, des angives, des brèdes, de la coriandre, du piment et bien d’autres légumes. Ce qui fait que les champs agricoles d’Ajay que nous avons vus au pied de la montagne du Pouce sont un tableau vivant de couleurs et de saveurs pendant toute l’année, grâce à la rotation des cultures.

À quelle heure commence-t-il sa journée ? « Après le réveil et une tasse de thé, je vais chercher mes travailleurs qui habitent à Belvédère. Puis, je les dépose dans les champs à Rivière Baptiste. Nous nettoyons là où il faut, ensuite nous mettons les semis en terre. Nous récoltons aussi les légumes que je livre à la vente à l’encan à Wootun, les lundis et les jeudis. »

C’est à 11 h 30 que ses employés terminent leur journée de travail. « Je les dépose chez eux et je rentre à la maison. Après avoir complété des tâches ici et là, je me repose pour tout recommencer le lendemain. »

Que fait-il lorsqu’il ne travaille pas ? « Je vais à la pêche », dit le père de famille. Il voyage également chaque année pour aller voir son ami à l’île de la Réunion, profitant de l’occasion pour se promener et se vider l’esprit. 

Qu’a-t-il fait pendant la fin d’année ? « J’ai travaillé jusqu’au 31 décembre. Puis j’ai profité des jours fériés du Nouvel an pour passer du temps avec ma famille avant de reprendre le boulot le 3 janvier dernier. » 

Kusum Samloll : jardinière de la résilience 

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Après avoir été cueilleuse de feuilles de thé, Kusum Samloll aide Ajay Aumeerun dans ses activités agricoles.

L’histoire d’Ajay Aumeerun, tissée entre les sillons du labeur et les récoltes de la vie, s’entremêle avec celle de Kusum Samloll, que nous rencontrons au domicile du planteur. Assise sur un tabouret, elle trie les rhizomes de gingembre mis à sécher au soleil. 

Depuis combien de temps travaille-t-elle dans les champs ? Kusum Samloll répond en bhojpuri. Ajay Aumeerun est notre interprète. Nous apprenons qu’elle a 68 ans et qu’elle habite à Belvédère. Pourquoi continue-t-elle toujours de s’impliquer dans des activités agricoles à cet âge ? 

Kusum Samloll explique qu’elle a été cueilleuse de feuilles de thé à Grand-Bois pendant 30 ans. Son époux, également cueilleur de feuilles de thé, est décédé il y a 25 ans à cause de la maladie. Elle raconte avoir traversé de nombreuses épreuves. En rentrant après le travail dans les champs de thé, elle devait s’occuper de son mari amputé du pied. Elle devait cuire des gâteaux et les vendre pour subvenir aux besoins de leurs trois enfants. C’est ainsi, à travers de nombreux sacrifices, qu’elle a assuré un meilleur avenir à ses enfants, qui sont aujourd’hui mariés.

Vivant seule au rez-de-chaussée de sa maison, elle se débrouille par elle-même. Comme elle aime avoir les mains dans la terre, elle aide Ajay Aumeerun à faire les récoltes. Jusqu’à quand continuera-t-elle ? Elle répond qu’elle s’est blessée après une chute et souffre d’atroces douleurs aux pieds. « Je verrai cette année si je pourrai continuer à le faire ou non », confie-t-elle. 

Que fera-t-elle si elle doit rester à la maison ? « Je m’occuperai de mes plantes et je profiterai pleinement du temps qu’il me reste sur terre. »

Leurs mains ont labouré la terre, leurs cœurs ont résisté aux tempêtes de la vie et dans chaque plantation, c’est l’histoire d’une nation qui s’épanouit…À travers les épreuves, les sourires et les douleurs, Ajay Aumeerun et Kusum Samloll ont non seulement cultivé des légumes, mais ils ont aussi semé les graines d’une résilience intemporelle. En cette nouvelle année, leurs récits demeurent une leçon d’humanité, une invitation à célébrer la beauté tissée dans le quotidien et à cultiver, avec le même amour, les promesses de demain.

 

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