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Corruption : le mauvais usage du pouvoir discrétionnaire décrié

Rajen Bablee et Dr Geetanee Napal.

Le 9 décembre est décrété Journée internationale de la lutte contre la corruption. Dr Geetanee Napal, Associate Professor à l’Université de Maurice qui vient de sortir « Business Ethics, perspectives from emerging economies » et Rajen Bablee, Executive Director de Transparency Mauritius analysent la situation à Maurice.


État des lieux 

Rajen Bablee : « Les institutions utilisées comme des outils… »

« Il est un fait qu’il y a de plus de critiques envers les institutions publiques qui ont été accaparées par les pouvoirs politiques. La perception est que beaucoup d’institutions ne fonctionnent plus pour le bien de la société mais pour enrichir ou protéger ceux qui détiennent le pouvoir. D’autre part, il serait malséant de généraliser car il y a aussi beaucoup de fonctionnaires sincères et qui font leur travail en toute intégrité. Ce qui est surtout dommage, c’est que les politiques utilisent les institutions comme des outils, leur permettant de récompenser leurs proches ou leurs sympathisants. »

Dr Geetanee Napal : « Un public mal averti sur la corruption » 

« La corruption au niveau d’un établissement de l’État impacte sur la crédibilité de l'organisme et sur la qualité de service qu’il propose au public. Une institution qui ne s’acquitte pas de son devoir n’aura pas droit au respect ou à la confiance du public. Nous avons un public mal averti où beaucoup de citoyens ne se rendent malheureusement pas compte de ce qu’est vraiment la corruption. La corruption du pouvoir, constitue un délit dans le sens universel. Mais chez nous, un jeune nouvellement promu qui choisit de corrompre qualifierait sa conduite de légitime parce qu’il détient un certain pouvoir, ne serait-ce qu’un pouvoir auto-proclamé. »


L'usage du pouvoir discrétionnaire 

Dr Geetanee Napal : « La forme d’abus de pouvoir »

« Le pouvoir discrétionnaire peut s’avérer utile, dépendant des intentions du décideur et de l’usage qu’il en fait. Cependant la bureaucratie prime dans les institutions publiques et le mauvais usage de pouvoir est très courant. La corruption prend souvent la forme d’abus de pouvoir pour des gains personnels ou des règlements de compte. Tout décideur à ce niveau doit répondre aux attentes de son public de manière honnête et intègre. Une approche rationnelle dotée de justice et de respect est hautement recommandée. Il faut éviter toute forme d’abus de pouvoir discrétionnaire et agir de manière responsable, si le but de l’institution est de maintenir ou rétablir la confiance et rassurer le public. »

Rajen Bablee : « Il doit pouvoir être expliqué »

« Le pouvoir discrétionnaire est utilisé à mauvais escient. Tout pouvoir reçu en délégation doit s’accompagner d’une grande redevabilité et son exercice doit pouvoir être motivé et expliqué. Plusieurs de nos lois permettent aux ministres de nommer des personnes au sein des conseils d’administration ou à la tête des institutions publiques. Si toutes les personnes ainsi nommées étaient compétentes et n’agissaient pas comme des paillassons pour le pouvoir, il n’y aurait pas de problème. Quand les personnes qui sont nommées n’ont d’autres qualifications que celles d’être proches d’un ministre, le principe de la méritocratie est bafoué. Les politiques utilisent ou veulent utiliser les institutions comme des biens personnels et non pour le bien de tous les citoyens. »


Les caractéristiques 

Dr Geetanee Napal : « Déviation du sens du devoir du décideur »

« Lorsqu’un décideur considère ses propres intérêts au-dessus de ceux du public qu’il est appelé à servir de par sa fonction, il s’engage dans la corruption. Toute forme de corruption, active, passive ou trafic d’influence, entraîne une déviation de la norme, du sens du devoir du décideur. Là où l’individu est motivé par un gain, il sera tenté à corrompre. Se servir de sa position afin de garantir un gain personnel est une forme courante de corruption dans notre contexte. La corruption peut aussi prendre la forme de faits et gestes comme l’intimidation, un traitement préférentiel à ses proches ou des actes de connivence avec des malfaiteurs impliqués dans une conduite douteuse qui va contre l’éthique. » 

Rajen Bablee : « Les pouvoirs politiques sapent le moral des fonctionnaires »

« La corruption crée un déséquilibre dans la société et au sein des institutions. En prenant le contrôle des institutions et faisant comme si elles étaient leurs biens personnels, les pouvoirs politiques sapent le moral de ces milliers des fonctionnaires qui travaillent avec intégrité. Les institutions cessent de fonctionner de façon adéquate et un malaise s’installe. Une des conséquences directes est que le fossé entre les riches et les pauvres s’agrandit et la criminalité et un climat de méfiance s’installent. »


Comment peut-on la vaincre ?

Rajen Bablee : « Des lois cadres nécessaires »

« Les citoyens sont endormis par des promesses ou des gâteries ponctuelles afin qu’ils laissent le champ libre aux politiques.  Ce n’est que quand le citoyen a compris qu’il est manipulé par le pouvoir qu’il pourra réagir. Pour exposer la corruption, il faudrait des lois cadres pour la libre circulation de l’information et la protection des lanceurs d’alerte, entre autres. Le citoyen doit comprendre que les politiques ont un pouvoir limité dans le temps et qui appartient, en fait, au citoyen lui-même. Alors seulement, il pourra demander des comptes à ceux qui contrôlent le pouvoir. »

Dr Geetanee Napal : « L’Icac doit être immunisée contre l’ingérence »

« Les gens responsables de la lutte anti-corruption ont une mission importante à accomplir. Le public s’attend à des résultats, à des actions concrètes de leur part. L’exercice du pouvoir repose sur la promesse éthique qu’une agence anti-corruption proclamée indépendante respecte les règles régissant l’octroi d’importantes responsabilités. Il est peut-être temps d’évaluer la situation courante, faire son propre bilan, revoir la stratégie anti-corruption actuelle. C’est important de mettre de côté préjugés et intérêts personnels. Le public doit pouvoir faire confiance à une commission indépendante dont le rôle principal est de combattre la corruption. Notre institution s’est inspirée du modèle de l’Icac de Hong Kong qui opère de manière tout à fait autonome. Toute forme d’ingérence devrait être éliminée si l’objectif est de réussir dans cette mission et jouir d’une bonne réputation dans le contexte national et sur la scène internationale. »


Les failles dans notre lutte contre la corruption 

Rajen Bablee : « Cessez avec les discours creux  »

« Encore faut-il qu’on veuille bien lutter contre la corruption et qu’on ne fasse pas de discours creux uniquement pour se faire élire ou épater la galerie. Il faut qu’on soit sérieux. On ne peut prétendre vouloir combattre la corruption et s’assurer, en même temps, que ceux qui dirigent l’institution chargée de cette lutte soit gérée par nos proches ou selon un système discrétionnaire. Personne ne sait, depuis 2002, quels sont les critères exacts justifiant le choix de ceux qui constituent le Conseil de la commission indépendante contre la corruption. Est-ce pour récompenser les uns ou les autres ? Est-ce pour qu’ils agissent comme pare-feu contre tout éventuelle accusation de corruption ? Il faudrait plus de transparence et un système de recrutement plus strict et public. Il existe aussi une perception que si les pouvoirs politiques choisissent de nommer uniquement leurs proches à la tête de telles institutions, c’est qu’ils aient déjà commis des actes douteux qui justifient alors qu’ils ont besoin de se protéger. »

Dr Geetanee Napal : « Le sens des obligations personnelles »

« Les failles du système découlent de notre culture, des traditions, d’un comportement qui est loin d’être éthique ou moral. Ajouté à cela, il y a le « principe » du sens des obligations personnelles qui surpasse le sens du devoir. Ces concepts doivent être remplacés par des attributs, tels le sens de l’intégrité morale, l’honnêteté, l’empathie et la conscience morale. Le public a des attentes dans une institution anti-corruption et c’est dans l’intérêt de l’institution de répondre à ces attentes. »

 

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