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Chiens errants : la puce de la discorde

L’un des objectifs du micropuçage est d’endiguer la prolifération des chiens errants.
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Face à une population de quelque 57 000 chiens errants, le gouvernement impose l’identification électronique. Une mesure qui suscite résistances et questions sur sa mise en œuvre.

Dans les postes de police, les centres communautaires et les Village Halls, une campagne d’envergure nationale a débuté. Depuis le 1er octobre 2025, tout propriétaire de chien est tenu de faire implanter une micropuce électronique dans son animal et de l’enregistrer auprès de la Mauritius Society for Animal Welfare (MSAW). Une obligation légale qui vise à répondre à un problème endémique : les dizaines de milliers de chiens errants qui parcourent les rues de l’île.

Les chiffres sont éloquents. Sur une population canine totale estimée à 246 000 individus, près de 20 % circulent librement, selon les données de la MSAW. La population de rue atteindrait ainsi 57 000 chiens, un chiffre que le ministre de l’Agro-industrie, Arvin Boolell, juge probablement sous-estimé. « Un défi majeur pour le bien-être des chiens errants réside dans le manque de responsabilité et d’information des propriétaires d’animaux de compagnie », précise-t-il.

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Chez les chiens et les chats, la puce est insérée sous la peau de la nuque.

Mais le problème dépasse la seule question animale. Del Ghurburrun, directeur général d’Animalia, souligne la dimension juridique : « Il y a des chiens qui ont des propriétaires, mais ces derniers les laissent se promener dans les rues. Par la suite, ces chiens peuvent mordre des personnes. Ainsi, lorsqu’une affaire arrive en cour, il est impossible de prouver que le chien appartient à cette personne. »

Trop d’animaux sont abandonnés dans les rues, confirme Tinagaren Govindasamy, directeur général de la MSAW. « Le micropuçage est une manière d’instaurer une responsabilité légale et morale », souligne-t-il.

Et plus encore ! Tinagaren Govindasamy insiste : « Le micropuçage sauve des vies. Quand un chien perdu est retrouvé, il peut être rendu à son propriétaire grâce à la puce. » Le directeur général de la MSAW précise que « le nombre de chiens errants à Maurice est alarmant. Beaucoup sont laissés dans la rue après des vacances ou un déménagement. Le micropuçage nous aide à retrouver les propriétaires et à réduire les euthanasies ».

Toujours est-il que le micropuçage n’a rien de nouveau à Maurice. La MSAW le pratique depuis plus d’une décennie. Mais son caractère désormais obligatoire, inscrit dans les articles 31(1) et 31(3) de l’Animal Welfare Act promulgués le 1er octobre, a déclenché une vague de contestations. Des images circulant sur les réseaux sociaux ont amplifié les craintes, laissant croire que la procédure serait douloureuse ou risquée.

L’organisme assure qu’il s’agit d’un outil de protection, pas d’un instrument de contrainte. Le week-end dernier, plus de 280 chiens ont été micropucés à Baie-du-Cap dans le cadre d’une vaste campagne régionale. « Aucun incident n’a été signalé. Tout s’est déroulé sans douleur pour les animaux », affirme Tinagaren Govindasamy, qui attribue la polémique à des « malentendus » et une méfiance injustifiée.

La technique au cœur du débat

Pour plusieurs associations, le problème ne vient pas du micropuçage lui-même, mais de la communication autour du projet. « Il faut expliquer le geste, montrer comment c’est fait, rassurer les propriétaires. Une campagne d’éducation nationale serait la meilleure réponse à la désinformation », estiment-elles.

Le vétérinaire Keshav Jeetah, qui dirige une clinique à Flacq, confirme la nature bénigne du geste : « L’injection d’une micropuce, c’est comme une simple piqûre. La douleur ne dure que quelques secondes, et si c’est bien fait, l’animal ne ressent rien ou presque rien. » Mais il avertit : « La technique est primordiale. Si l’aiguille pénètre trop profondément ou si la zone d’injection est mal choisie, l’animal peut crier ou être blessé. »

Chez les chiens et les chats, la puce est insérée sous la peau de la nuque, une zone où la peau est plus épaisse, ce qui réduit le risque de douleur ou d’inflammation. Pour d’autres espèces, le point d’injection varie : la patte arrière pour les tortues, la nuque pour les hamsters, et près des pattes pour les reptiles à la peau dure.

Dans la pratique, la puce contient un numéro d’identification unique. La MSAW tiendra une base de données centralisée conformément aux dispositions de la Data Protection Act. Les propriétaires sont tenus d’informer l’organisme en cas de décès de l’animal ou de changement de propriétaire. Lorsqu’un chien errant est retrouvé, un simple scan permet d’obtenir les coordonnées du propriétaire. La MSAW rappelle que toutes les opérations sont réalisées par des vétérinaires agréés, conformément aux normes internationales définies par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). 

Le dispositif n’est d’ailleurs pas propre à Maurice. En France, il est obligatoire depuis 2012 pour les chiens et les chats ; au Royaume-Uni, tous les chiens doivent être micropucés depuis 2016. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et certaines provinces d’Afrique du Sud ont également adopté cette mesure. Dans ces pays, les micropuces sont jugées sûres, durables et indolores, à condition qu’elles soient posées par des professionnels formés.

« Conformément aux principes de bonne gouvernance, le gouvernement veille à ce que le système de micropuce et d’enregistrement soit transparent, sûr et rigoureusement supervisé », affirme le ministre de l’Agro-industrie. Le ministère et la MSAW collaborent étroitement avec les ONG enregistrées pour favoriser l’implication citoyenne dans la protection animale. 

Ces ONG doivent être reconnues légalement et enregistrées, puisqu’elles traiteront des informations personnelles sur les propriétaires de chiens. Elles s’engagent également à transmettre toutes les informations pertinentes à la MSAW et à faire appel à un vétérinaire agréé par le Conseil vétérinaire de Maurice.

« Une approche souple et inclusive est adoptée. Des réunions sont prévues avec les ONG enregistrées afin de favoriser la participation citoyenne, la transparence et la responsabilisation », précise Arvin Boolell.

Mise en oeuvre décriée

Mais si le principe de micropuçage fait consensus dans la communauté vétérinaire internationale, c’est la mise en œuvre locale qui suscite les critiques. Le Dr Swaley Abdoola, président du Veterinary Council, estime que les mesures gouvernementales doivent être suivies, mais souligne un manque de planification : « Quand le gouvernement met en place une mesure, il faut s’y conformer. Mon seul souci, c’est qu’il n’y a pas eu de consultation avec toutes les parties prenantes. »

Selon lui, d’autres projets d’enregistrement d’animaux menés par le ministère de l’Agro-industrie, tels que pour les bovins, cabris et moutons, se sont déroulés sans incident. « Cette fois-ci, il y a eu un véritable cafouillage », déplore-t-il.

Del Ghurburrun partage ce diagnostic. S’il salue l’avancée que représente l’implantation de micropuces, il regrette l’absence d’un moratoire pour l’enregistrement des chiens, qui aurait permis de mieux préparer le public. « Il aurait été judicieux de chercher le soutien des cliniques privées. La plupart des propriétaires ont déjà un vétérinaire attitré. Les obliger à se rendre uniquement à la MSAW a provoqué une réaction défensive. Avec une meilleure coordination, il n’y aurait pas eu autant de résistance. »

D’ailleurs, le Dr Abdoola s’interroge également sur la faisabilité, pour les propriétaires, de se déplacer pour faire implanter une micropuce à leurs chiens : « Il existait des moyens plus simples, mais lorsque personne n’écoute les recommandations, il est normal que des problèmes surviennent. »

Un déploiement progressif

À ce jour, deux stations permanentes sont opérationnelles à Rose-Hill et Plaine-Magnien. Pour tenter de désamorcer les tensions, le gouvernement a prévu un dispositif décentralisé. Une trentaine de sites répartis à travers le pays accueilleront les propriétaires de chiens dans les conseils municipaux, centres communautaires et Village Halls, jusqu’en juin 2026. Le commissaire de police a également donné son accord pour que certaines opérations se déroulent dans les postes de police. Un calendrier provisoire, du 13 octobre au 23 décembre 2025, a été établi.

Au 6 octobre 2025, un total de 853 chiens avait déjà été enregistrés et micropucés. Les frais d’enregistrement ont été fixés à Rs 350 roupies, incluant la micropuce et les frais vétérinaires, contre Rs 500 précédemment.

La MSAW a, par ailleurs, conclu des protocoles d’accord avec des cliniques vétérinaires privées pour assurer la pose de micropuces et l’enregistrement à l’échelle nationale. L’organisme s’apprête à réceptionner 15 000 micropuces, un volume initial perçu comme un test grandeur nature avant une éventuelle généralisation à d’autres animaux domestiques.

Cependant, des inquiétudes demeurent. Le Dr Swaley Abdoola alerte sur certaines cliniques se présentant comme spécialisées dans les chiens, mais employant des étrangers sans papiers et non enregistrés auprès du Veterinary Council : « Ces personnes stérilisent des chiens sans être reconnues et sont souvent exploitées. »

Stérilisation et sensibilisation

S’agissant des chiens errants, le président du Veterinary Council s’inquiète de l’avenir de ces animaux : « Le problème restera entier si aucune stratégie claire n’est mise en place. Est-ce que le gouvernement envisage de les euthanasier ? » Pour lui, la solution passe par une campagne de sensibilisation massive, la stérilisation, l’implantation de micropuces et l’encouragement à l’adoption. « Il faudrait également proposer un rabais sur la taxe pour inciter les familles à adopter ces chiens », suggère-t-il.

Le gouvernement mise sur une approche globale. Pour l’exercice financier 2025-26, un budget de Rs 20 millions a été alloué à la MSAW pour mettre en œuvre des campagnes de stérilisation de masse, pendant lesquelles les chiens sont micropucés, enregistrés et stérilisés gratuitement. Cette initiative cible particulièrement les ménages en situation de précarité avec, dans certains cas, une mise à disposition de transport.

« En tant que gouvernement attentif et soucieux du bien-être des animaux, nous soutenons pleinement ces campagnes, qui combinent contrôle de la population et protection de la santé publique », explique le ministre Arvin Boolell.

Entre-temps, la MSAW se veut ferme, mais juste. Les propriétaires refusant le micropuçage pourraient se voir infliger une pénalité, bien que les modalités exactes restent à préciser. Le directeur général insiste sur une approche humaine : les familles nécessiteuses seront traitées au cas par cas.

L’enjeu, pour la MSAW, est double : d’un côté, faire respecter la loi ; de l’autre, restaurer la confiance du public dans une institution souvent critiquée pour sa gestion du bien-être animal. « En tant que gouvernement responsable et nation aimant les chiens, il est de notre devoir de veiller à ce que les lois sur le bien-être animal soient renforcées afin de promouvoir, entre autres, la possession responsable des chiens et le bien-être de la population, compte tenu des risques associés aux chiens errants », conclut le ministre Boolell.

Cette réforme législative et opérationnelle marque une étape majeure dans la gestion responsable de la population canine à Maurice, en alliant technologie, gouvernance et sensibilisation citoyenne. Elle constitue également un exemple de coopération entre l’État, les ONG et les acteurs privés pour répondre à un enjeu social et sanitaire majeur. Reste à savoir si le gouvernement parviendra à transformer l’essai et à convaincre une population encore méfiante de la nécessité de cette mesure.

Extension à Rodrigues

Le ministère a également mis en place un protocole d’accord avec l’Assemblée régionale de Rodrigues pour assurer la mise en œuvre harmonieuse du Projet national durable de contrôle de la population canine. Lors de la campagne de stérilisation de masse de novembre 2023, les agents des services vétérinaires de Rodrigues ont été formés aux procédures d’enregistrement.

La MSAW collaborera avec la Commission de l’agriculture et la Division des services vétérinaires pour établir la liste des centres désignés à Rodrigues, et pour superviser l’application du cadre légal. Des visites de terrain seront effectuées afin de garantir une mise en œuvre conforme et efficace.

Brian, « animal lover » : un plaidoyer pour la responsabilité

Depuis son enfance, Brian se décrit comme un amoureux des animaux. Aujourd’hui, il observe avec prudence le débat autour du micropuçage obligatoire des chiens à Maurice. « Je ne suis ni pour, ni contre », dit-il d’un ton réfléchi, avant d’ajouter que la mesure pourrait enfin freiner le fléau des chiens errants. 

Pour lui, le micropuçage n’est pas une atteinte à la liberté animale, mais un outil de responsabilité. « Chaque micropuce contient un code unique, comme un code-barres. Si un chien est volé ou perdu, le vétérinaire ou la MSAW peuvent le scanner et retrouver immédiatement son propriétaire », indique-t-il. 

Brian insiste sur un point essentiel : la micropuce n’est pas un GPS, donc pas un dispositif de surveillance. Elle permet simplement d’attribuer une identité officielle à chaque animal de compagnie. Dans un pays où les abandons restent fréquents, il voit dans cette initiative « une manière de protéger les chiens et d’éduquer les maîtres ». 

Maria Pudaruth, fondatrice et directrice du Black Cat Coffee Shelter Mauritius : «Le micropuçage, oui, mais pas au détriment des plus vulnérables»

Alors que la MSAW poursuit son programme national de micropuçage des chiens, Maria Pudaruth, fondatrice et directrice du Black Cat Coffee Shelter Mauritius, soutient la démarche, tout en dénonçant une approche inadaptée à la réalité sociale du pays. Pour elle, les autorités négligent les plus fragiles, humains comme animaux.

Si Maria Pudaruth ne conteste pas le bien-fondé du micropuçage, elle estime que la méthode adoptée par les autorités laisse à désirer. « Il y a eu plusieurs facilités, notamment une réduction du coût de micropuçage de Rs 500 à Rs 350 par animal. Mais cela ne prend toujours pas en compte le fait qu’il y a beaucoup de personnes à Maurice qui ne sont toujours pas connectées au réseau. Certaines n’ont même pas accès aux informations et sont complètement déconnectées de la réalité », souligne-t-elle.

Selon elle, ces oubliés du dispositif ne sont pas des cas isolés. « Ce sont souvent des personnes âgées qui ont des problèmes de santé ou encore des gens pourvus d’un grand cœur, qui ont accommodé leurs vies autour des animaux qu’ils ‘ramassent’ et en font leur priorité », explique-t-elle. 

Maria Pudaruth rappelle aussi que la pauvreté et l’isolement géographique freinent la participation au programme. « Bon nombre de personnes n’ont pas les moyens d’enregistrer leurs animaux et sont également dépourvues de moyens de locomotion », poursuit-elle.

Elle salue néanmoins les efforts entrepris par la MSAW et le gouvernement pour structurer la campagne. « La MSAW, par le biais du gouvernement, est en train de faire un effort. Mais tout semble indiquer que le fait que certaines personnes ne peuvent pas se déplacer n’est pas pris en considération », souligne-t-elle. 

Sa question reste ouverte : « Est-ce que ces gens ont besoin d’aide ? Ont-ils des dizaines d’animaux à leur charge ? Dans ce cas de figure, il n’y a pas que l’argent qui pose problème. » Pour Maria Pudaruth, l’enjeu dépasse le simple enregistrement : il s’agit de replacer l’humain et la compassion au cœur d’une politique publique censée protéger les animaux.

 

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