Live News

Chauffe-eau à gaz - Monoxyde de carbone : l’ennemi invisible qui tue

Les salles de bains sont très souvent mal ventilées et nécessitent un extracteur d’air.
Publicité

Invisible, inodore et mortel, le monoxyde de carbone continue de faire des victimes chaque hiver à Maurice. Ce gaz toxique, qui s’échappe des chauffe-eau à gaz installés dans les salles de bains, peut provoquer des intoxications graves, voire la mort, en quelques minutes seulement.
 
Depuis le début de cet hiver, 28 cas d’intoxication au monoxyde de carbone ont déjà été traités à l’hôpital Victoria à Candos. Un chiffre alarmant qui témoigne d’une tendance préoccupante — et l’hiver est loin d’être terminé. En comparaison, 21 cas avaient été enregistrés en 2023. Ce nombre est monté à 34 en 2024.

La semaine dernière, un nouveau drame est venu rappeler la dangerosité de ce « tueur silencieux ». À Triolet, un adolescent de 16 ans a perdu la vie le lundi 7 juillet après avoir inhalé du monoxyde de carbone provenant d’un chauffe-eau à gaz installé dans la salle de bains familiale. Un décès qui a bouleversé la communauté et relancé le débat sur la sécurité des installations au gaz dans les foyers mauriciens.

D’ailleurs, chaque hiver, le scénario se répète. Des personnes sont retrouvées inconscientes dans leur salle de bains, victimes de ce gaz mortel qui, sans odeur ni couleur, ne laisse aucune chance si la pièce est mal ventilée. Pourtant, des gestes simples peuvent éviter de tels drames.

Le ministère de la Santé tire la sonnette d’alarme suite à ces nombreux cas. Pour le Dr Fazil Khodabocus, directeur par intérim des services de santé, le monoxyde de carbone est un danger bien réel mais trop souvent sous-estimé. « C’est un gaz incolore, inodore et sans saveur. On ne se rend pas compte qu’on est exposé, et c’est justement ce qui le rend extrêmement dangereux », explique-t-il. 

En cas d’inhalation, le monoxyde de carbone pénètre rapidement dans l’organisme. « Il passe directement dans le système sanguin et atteint le cerveau. Les premiers symptômes peuvent être des maux de tête, des étourdissements, des nausées, une fatigue inexpliquée ou une somnolence. Si l’exposition continue, cela peut mener à la perte de connaissance et à la mort », prévient-il.

Le Dr Khodabocus souligne que l’exposition prolongée peut aussi avoir de graves conséquences sur la santé à long terme, même si la personne survit. « Cela peut endommager le cerveau et d’autres organes vitaux », ajoute-t-il. Face à l’augmentation des cas, il appelle à la vigilance, en particulier dans les régions froides comme le plateau central, tout en rappelant que toute l’île est concernée.

« Il est impératif de s’assurer que les salles de bains soient bien ventilées, et de ne jamais sous-estimer ce risque. Ce gaz tue sans prévenir », alerte-t-il. Sa recommandation est simple : « Si vous ressentez l’un de ces symptômes, quittez immédiatement la pièce et consultez un médecin. »

À SAVOIR

Les symptômes d’une intoxication au monoxyde de carbone

l Maux de tête soudains
l Étourdissements ou sensation de vertige
l Nausées ou vomissements
l Fatigue intense ou somnolence inexpliquée
l Confusion mentale
l Perte de connaissance

Que faire ?

l Quittez immédiatement la pièce
l Aérez l’espace
l Consultez un médecin en urgence


Traitement à Candos : l’oxygénothérapie hyperbare pour sauver des vies

Le caisson peut accommoder jusqu’à sept personnes à la fois.
Le caisson peut accommoder jusqu’à sept personnes à la fois.

Suite à une intoxication au monoxyde de carbone, seule une oxygénothérapie hyperbare peut aider et ce traitement est disponible uniquement à l’hôpital Victoria, Candos. Son efficacité résulte dans la rapidité de la prise charge, car chaque minute compte lors d’une exposition à ce gaz toxique.

À l’hôpital Victoria, Candos, le Dr Gunsham Purusram, anesthésiste, tire la sonnette d’alarme. Depuis la baisse des températures, le service reçoit en moyenne deux cas d’intoxication au monoxyde de carbone par jour. « Le nombre de cas ne cesse d’augmenter. Les gens doivent comprendre que ce gaz est très dangereux pour la santé », alerte-t-il.

Pourquoi est-il si dangereux ? Le Dr Purusram explique que le monoxyde de carbone a une affinité 200 fois plus grande que l’oxygène pour l’hémoglobine, la molécule qui transporte l’oxygène dans le sang. « En respirant ce gaz, le monoxyde de carbone se fixe à l’hémoglobine et empêche l’oxygène d’atteindre les organes. Le cerveau et le cœur sont les premiers touchés, ce qui peut entraîner la perte de connaissance, un arrêt cardiaque ou même la mort », précise-t-il.

À Maurice, une seule solution existe pour traiter rapidement ces intoxications graves : l’oxygénothérapie hyperbare, réalisée dans le caisson hyperbare installé depuis 2004 à l’hôpital Candos. Cette chambre spéciale peut accueillir jusqu’à sept patients en même temps, chacun étant installé sur un siège.

Comment fonctionne ce traitement ? « La thérapie dure environ 1h30 », explique le Dr Purusram. « Le patient respire de l’oxygène pur à haute pression, ce qui permet d’éliminer rapidement le monoxyde de carbone fixé sur l’hémoglobine et de réoxygéner l’organisme. C’est un traitement vital qui sauve des vies », ajoute-t-il.

Il veut surtout faire comprendre au public que sans oxygène, le corps s’expose à des dommages irréversibles. « Plus le temps passe, plus les complications sont graves. Cela peut aller jusqu’à des lésions cérébrales (‘brain damage’), des troubles de la personnalité ou encore des problèmes de motricité », fait ressortir le médecin. Ce dernier se souvient d’un cas marquant : « En 2023, nous avons eu deux patientes intoxiquées au monoxyde de carbone. Malgré le traitement en hyperbare, elles ont gardé des séquelles neurologiques importantes ».

Ce département vital à Candos fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. « Nous sommes six anesthésistes et un chirurgien ORL à nous relayer pour assurer ce service indispensable », conclut le Dr Purusram, qui appelle à la vigilance de tous pour éviter d’en arriver à un tel traitement.

La thérapie expliquée

L’oxygénothérapie hyperbare est un traitement médical qui consiste à faire respirer au patient de l’oxygène pur dans une chambre pressurisée.
Comment ça fonctionne ?

l La pression élevée permet à une plus grande quantité d’oxygène de se dissoudre dans le sang.
l Cet oxygène chasse rapidement le monoxyde de carbone fixé sur l’hémoglobine.
l Les organes sont à nouveau correctement oxygénés.

Sa durée : Environ 1h30 par séance.

Son utilité : Elle est utilisée notamment pour traiter :

l Les intoxications au monoxyde de carbone
l Certaines plaies difficiles à cicatriser notamment chez les diabétiques
l Les accidents de décompression chez les plongeurs


Les effets médicaux et les risques à long terme 

Les symptômes d’une exposition au monoxyde de carbone varient : du simple mal de tête à des étourdissements, en passant par une fatigue et une confusion mentale. Les effets à long terme peuvent être bien plus graves : troubles de la mémoire, difficultés de concentration, paralysie partielle, anxiété chronique ou dépression post-traumatique.

Dr Sheik Luqman Nisa : « Les conditions à Maurice aggravent les risques d’une intoxication »

Pour le Dr Sheik Luqman Nisa, médecin-chercheur en santé publique et Healthcare Manager à Medicolyfe, l’utilisation des chauffe-eau à gaz dans les salles de bains représente un risque sanitaire majeur. « Dans un espace mal ventilé, la combustion du gaz peut produire du monoxyde de carbone. C’est un gaz mortel, et malheureusement, beaucoup l’ignorent », avertit-il.

Le danger réside dans la nature même du monoxyde de carbone : « une personne peut l’inhaler sans même s’en rendre compte ». Au-delà des premiers symptômes (maux de tête, étourdissements, fatigue, confusion), souvent négligés ou attribués à un coup de fatigue, l’exposition prolongée peut être fatale. « Perte de connaissance, convulsions, paralysie temporaire, arrêt cardiaque ou respiratoire… La mort peut survenir en quelques minutes », prévient-il.

Même en cas de survie, les séquelles peuvent être lourdes : troubles neurologiques, paralysie, anxiété ou dépression.

Le Dr Nisa souligne aussi que les conditions locales à Maurice aggravent les risques : salles de bains mal ventilées, humidité élevée qui nuit au fonctionnement des appareils, et installations faites sans respecter les normes internationales.

« C’est un danger domestique silencieux, mais parfaitement évitable. La santé publique commence à la maison », conclut-il.

Dr Vashish Pothegadoo : « Les femmes enceintes s’exposent à des malformations du fœtus »

Le Dr Vashish Pothegadoo, médecin généraliste dans le privé, rappelle que les chauffe-eau à gaz, bien qu’efficaces et économiques, représentent un réel danger s’ils sont installés dans des espaces confinés ou mal ventilés. « Ces appareils fonctionnent par combustion. Si celle-ci est incomplète ou que l’évacuation des gaz est défectueuse, le monoxyde de carbone peut s’accumuler », explique-t-il.

Comme il est incolore, inodore et sans goût, ce gaz est indétectable sans appareil spécialisé. « Il se fixe plus facilement que l’oxygène sur l’hémoglobine, empêchant ainsi le sang de transporter l’oxygène vers les cellules et organes vitaux. Le cerveau, le cœur et le système nerveux sont les premiers touchés », indique-t-il.

Selon lui, les symptômes initiaux sont souvent confondus avec un simple malaise, une grippe ou une fatigue. Mais lorsque l’exposition se poursuit, les lésions cérébrales peuvent devenir irréversibles, menant à des troubles neurologiques, problèmes moteurs, altérations de la personnalité, coma ou décès.

Le Dr Pothegadoo insiste sur l’importance de la prévention : installations professionnelles, entretien régulier, détecteurs de monoxyde de carbone dans chaque maison. « Dans certains pays, ces détecteurs sont obligatoires. Maurice devrait s’en inspirer. Ce n’est pas un luxe, c’est vital », fait-il ressortir.

Il rappelle que les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables. « Les femmes enceintes, notamment, s’exposent à des risques de malformations du fœtus », alerte-t-il.


Les bons gestes qui sauvent : l’appel des pompiers

Il suffit de quelques minutes pour qu’une personne soit intoxiquée au monoxyde de carbone.
Il suffit de quelques minutes pour qu’une personne soit intoxiquée au monoxyde de carbone.

Pour Joevani Rezannah, Station Fire Officer à Coromandel, chaque intervention pour intoxication au monoxyde de carbone rappelle la dangerosité de ce gaz invisible. « Souvent, c’est nous, les pompiers, qui arrivons les premiers sur place. La majorité du temps, les personnes sont déjà inconscientes dans leur salle de bain, fermée de l’intérieur », indique-t-il.

« Notre rôle est de retirer la victime le plus vite possible pour limiter son temps d’exposition », explique-t-il. Une fois la victime extraite, le SAMU est immédiatement contacté. « L’urgentiste prend alors le relais pour donner de l’oxygène et transporter la personne en urgence à l’hôpital », précise le pompier.

Il déplore que malgré la hausse des cas ces dernières années, les Mauriciens ne réalisent toujours pas les dangers qui les guettent. Il précise : « Les incidents augmentent surtout en hiver, lorsque les douches sont plus longues et plus chaudes. Nous remarquons que ce sont souvent les jeunes, surtout les adolescents, qui sont concernés. Ils aiment prendre des douches très chaudes, transformant la salle de bain en sauna, sans réaliser que le chauffe-eau brûle de l’hydrocarbure, produisant du monoxyde de carbone sur place ».

Le pompier estime que les interventions pour intoxication au monoxyde de carbone révèlent souvent le même constat : des installations faites sans précautions. « Nous voyons encore trop de chauffe-eaux placés dans des salles de bain hermétiques, sans aucune ventilation », fait-il remarquer.

Selon lui, beaucoup de familles ignorent qu’un chauffe-eau à gaz doit être installé par un professionnel qualifié qui connaît les normes et vérifie chaque raccordement. « Installer un tel appareil ne se limite pas à le fixer au mur. Il faut s’assurer qu’il y ait un système d’évacuation pour rejeter les gaz à l’extérieur et une aération suffisante », explique notre interlocuteur.

Autre erreur courante relevée par les pompiers : connecter plusieurs appareils sur une même bouteille de gaz. « C’est extrêmement dangereux, cela multiplie les risques de fuite ou de surpression », explique Joevani Rezannah. De même, il rappelle qu’il est impératif de ranger les bouteilles à l’extérieur.

 Il préconise de contrôler régulièrement l’état des flexibles, la ventilation de la pièce, et de s’assurer que le conduit d’évacuation n’est jamais obstrué. Pour lui, ces gestes simples doivent devenir des réflexes, car « chaque vie sauvée est une famille qui ne sera pas brisée ».

Suttyhudeo Tengur : « Il faut une campagne de sensibilisation nationale »

L’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (Apec) appelle à une action urgente. En effet, face à la recrudescence des cas d’intoxication au monoxyde de carbone liés aux chauffe-eaux à gaz, l’association a émis un communiqué le 10 juillet. Selon son président, Suttyhudeo Tengur la situation est devenue préoccupante et nécessite une réponse immédiate des autorités.

« Ces dernières semaines, nous avons constaté une augmentation alarmante des intoxications au gaz, dont certaines ont entraîné des hospitalisations et même un décès. C’est une menace sérieuse pour la santé publique mauricienne », déclare-t-il.

Le danger provient principalement de l’inhalation du monoxyde de carbone dans des salles de bain fermées et mal ventilées. L’association souligne que le risque est aggravé lorsque les appareils sont mal installés, mal entretenus, ou dépourvus de détecteurs de gaz. Dans certains cas, l’usage intentionnel de gaz à des fins d’automutilation a également été évoqué selon lui.

Pour lui, il est urgent d’agir sur plusieurs fronts. D’abord, les propriétaires doivent veiller à ce que l’installation des chauffe-eaux à gaz soit confiée à des techniciens certifiés, et que leurs salles de bain disposent d’une ventilation adéquate. L’installation de détecteurs de monoxyde de carbone à proximité de ces appareils devrait être encouragée, voire rendue obligatoire.

Sur le plan légal, le communiqué rappelle que Maurice possède déjà un cadre réglementaire en la matière. La loi de 2004 sur le contrôle des produits chimiques dangereux et la Loi sur la santé publique encadrent l’utilisation de gaz toxiques et habilitent les autorités à intervenir en cas de menace environnementale. Cependant, l’association déplore que l’application de ces lois reste insuffisante et que la population soit encore mal informée.

« Il est temps que les autorités passent à l’action. Nous demandons au ministère de la Santé et aux organismes concernés de lancer une campagne nationale de sensibilisation, de renforcer les inspections et de réviser les codes du bâtiment pour imposer l’installation d’appareils de sécurité sur tous les chauffe-eaux à gaz », plaide Suttyhudeo Tengur. 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !