Chagos : les documents Wikileaks divisent les juges britanniques

Chagos Lord David Neuberger, Lady Brenda Hale, Lord Jonathan Mance, Lord Brian Kerr, Lord Anthony Clarke, Lord Jonathan Sumption et Lord Robert Reed.

La Cour suprême britannique a rejeté l’appel interjeté par Olivier Bancoult contestant la création d’un Parc marin protégé aux Chagos. Même s’il a perdu la bataille, le leader du Groupe Réfugiés Chagos a pu rallier deux des sept juges à sa cause. Lord Brian Kerr et Lady Brenda Hale ont désapprouvé la position de leurs confrères sur la politique adoptée par Londres concernant les documents secrets révélés par Wikileaks.

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Olivier Bancoult avait saisi la Cour suprême britannique après avoir essuyé deux revers devant la Divisional Court et la Court of Appeal concernant son opposition à la création d’un Parc marin protégé (PMP) qui interdit toute forme d’activité économique sur l’archipel des Chagos à partir du 1er avril 2010. Pour Olivier Bancoult, ce PMP n’est qu’un subterfuge pour empêcher toute forme de retour du peuple chagossien sur l’archipel.

Il est d’avis que les consultations précédant la création du PMP ont occulté les droits de pêche historiques et traditionnels des Chagossiens dans les eaux de l’archipel. Le porte-parole du Groupe Réfugiés Chagos estime que la création du PMP est guidée par des motifs répréhensibles (improper and ulterior motive).

Il s’appuie sur les révélations du site Internet Wikileaks pour soutenir son argument. Entre décembre et février 2011, un document secret a été mis au jour faisant le récit d’une conversation, qui s’est tenue le 12 mai 2009, entre des représentants du gouvernement américain et deux fonctionnaires britanniques. Selon Olivier Bancoult, cette conversation démontre clairement que le PMP a pour but d’empêcher toute forme de retour des Chagossiens sur l’archipel, eu égard aux propos péjoratifs utilisés par l’un des fonctionnaires.

La Divisional Court a considéré que les documents de Wikileaks ne sont pas recevables. Elle a néanmoins autorisé l’avocat d’Olivier Bancoult à contre-interroger les deux fonctionnaires britanniques sur le contenu de cette conversation, sans pour autant en admettre son authenticité.

La Court of Appeal était d’un avis contraire. Mais elle précise que même si ces documents avaient été versés au dossier à charge devant la cour inférieure, celle-ci n’aurait pas conclu à un « ulterior and improper motive » de la part du gouvernement britannique.

La Cour suprême britannique épouse la position de la Court of Appeal sur la recevabilité des documents Wikileaks, précisant qu’ils ont perdu leur cachet d’inviolabilité dès lors qu’ils ont atterri dans le domaine public. Cinq des Law Lords précisent toutefois que la Divisional Court serait arrivée à la même conclusion si les documents avaient été admis comme preuves.

Jugements minoritaires

Ce n’est cependant pas l’avis de deux juges. Lord Brian Kerr et Lady Brenda Hale estiment que la recevabilité des documents Wikileaks aurait pu avoir une incidence sur la décision de la Divisional Court. D’autant qu’ils ont révélé des incohérences entre les révélations de Wikileaks et le témoignage d’un des fonctionnaires britanniques.

Lord Brian Kerr a désapprouvé la conclusion de ses collègues sur la politique de « Neither Confirm Nor Deny » des deux fonctionnaires britanniques sur les documents révélés par Wikileaks. Selon le Law Lord, le recours à une telle politique ne peut être accepté pour esquiver les questions durant un contre-interrogatoire. « For my part, I would not be disposed to accept that this policy could be resorted to in order to avoid answering a relevant question with which the court was required to deal », a fait ressortir Lord Brian Kerr dans son jugement.

Droits de pêche

Olivier Bancoult a aussi soutenu que les consultations précédant la création du PMP ont occulté les droits de pêche historiques et traditionnels des Chagossiens dans les eaux de leur terre natale. Mais cet argument a été rejeté par décision unanime de la Cour suprême. Les sept juges font ressortir que l’absence de toute mention aux droits de pêche de Maurice dans les eaux territoriales des Chagos n’invalide pas les consultations, car quiconque aurait pu soulever la question avant la création du PMP.

Le jugement de la Cour suprême britannique a été rendu par Lord David Neuberger, Lord Jonathan Mance, Lord Brian Kerr, Lord Anthony Clarke, Lord Jonathan Sumption, Lord Robert Reed et Lady Brenda Hale.


Chronologie

Présence militaire américaine motivée par la menace d’une guerre

Le contentieux entre Olivier Bancoult et le Royaume-Uni a pour origine le déracinement du peuple chagossien de sa terre natale. L’affaire comporte des ramifications diplomatiques de grande envergure, car toute reconnaissance de la souveraineté de Maurice sur l’archipel aura une incidence sur la présence de la base militaire américaine sur Diego Garcia. Voici la chronologie des événements.

1962 : la population des Chagos s’élève à 1 000 âmes. L’exploitation du coco est leur principale activité. Une compagnie seychelloise, Chagos Agalega Company Ltd, acquiert toutes les plantations de coco et gère l’archipel de façon féodale.

1962 : la crise des missiles de Cuba, la menace d’une guerre avec la Russie et la guerre du Vietnam poussent les États-Unis à établir une base militaire dans l’océan Indien.

1964 : les États-Unis entament les négociations avec le Royaume-Uni qui accepte l’installation d’une base militaire américaine sur Diego Garcia.

1965 : l’archipel des Chagos est détaché de Maurice en vertu du British Indian Ocean Territories Order.

1966 : la Grande-Bretagne et les États-Unis concluent un accord de principe pour établir une base militaire sur Diego Garcia pour 50 ans.

1967 : le gouvernement britannique rachète toutes les terres de l’archipel à la Chagos Agalega Company Ltd pour 660 000 livres sterling.

1968 : Maurice obtient son indépendance. Des Chagossiens arrivent à Maurice à bord d’un bateau. Ils ne sont pas autorisés à regagner leur terre natale.

1998 : un groupe de Chagossiens réclament un retour sur l’archipel. Le British Indian Ocean Territory Immigration Ordinance, qui restreint l’accès aux Chagos, est annulé.

2000 : une cour britannique annule l’Ordonnance de 1971 et conclut que l’expulsion de toute une population de son pays d’origine est illégale.

2004 : le jugement du 3 novembre 2000 est annulé à travers deux décrets royaux (Order in Council). Le décret royal, qui vient de la reine d’Angleterre, a préséance sur l’ordre de la Cour.

2006 : une demande d’examen judiciaire (judicial review) du décret royal est entamée auprès de la Haute Cour d’Angleterre qui, en 2006, statuera en faveur des Chagossiens, arguant que les ordres du décret royal ne sont pas rationnels. Cette fois, le gouvernement britannique fait appel de cette décision devant la Cour d’appel.

2008 : la Cour d’appel statue à l’unanimité en faveur des Chagossiens, rejetant l’appel. Dans la foulée, le gouvernement britannique loge un autre appel, cette fois devant la Chambre des Lords, maintenant appelée la Cour suprême. En octobre 2008, trois des cinq Lords de la Chambre se déclarent contre les Chagossiens.

2010 : un Parc marin protégé (PMP) est créé autour des Chagos, mettant en péril l’espoir d’un retour des Chagossiens sur l’archipel et toute activité de pêche dans la région.
l 2013 : Olivier Bancoult saisit la Divisional Court pour contester la création du PMP mais il essuie un revers.

2014 : son appel devant la Court of Appeal est rejeté.

2017 : Maurice saisit l’Organisation des Nations unies pour contester l’occupation des Chagos par le Royaume-Uni. La résolution de Maurice est adoptée : 94 membres votent pour.

2018 : La Cour suprême britannique rejette l’appel d’Olivier Bancoult.


Parc marin aux Chagos - Olivier Bancoult : « Il y a des points positifs »

Bien qu’il ait perdu son appel devant la Cour suprême britannique, le jeudi 8 février, Olivier Bancoult ne perd pas espoir. Le leader du Groupe Réfugiés Chagos contestait la décision du gouvernement britannique de créer un Parc marin protégé (PMP) dans l’archipel. « Je garde espoir, car le combat ne s’arrête pas là. D’ailleurs, comme vous pouvez constater dans le jugement, il y a plusieurs points positifs. Cela peut m’aider dans les autres combats légaux. Tôt ou tard, la vérité triomphera. Bien que le combat se poursuive, nous gardons espoir de pouvoir retourner sur l’archipel. Nou pa pe rod nanie an plis ou en mwin », lâche Olivier Bancoult.

Après le jugement, le Groupe Réfugiés Chagos a émis un communiqué pour commenter la décision de la Cour suprême britannique. « Nous avons été surpris de constater que les conclusions de l’International Maritime Tribunal concernant la Marine Protection Area, dont les éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles dans les tribunaux britanniques, n’ont pas suffi à convaincre les juges. »

Le Groupe Réfugiés Chagos réitère son soutien au gouvernement mauricien. « Compte tenu des actes conséquents préjudiciables à notre culture, nous soutiendrons pleinement le rôle de Maurice devant la Cour internationale de justice. Nous croyons que la communauté internationale pourra soutenir nos droits et mettre un terme à notre exil », lit-on dans le communiqué.


Me Siven Tirvassen : «La bataille se fera au niveau diplomatique maintenant»

Sollicité pour une réaction, l’avocat Siven Tirvassen a soutenu que les juges de la Cour suprême britannique se sont basés uniquement sur le droit. « Ils se sont appuyés sur la loi créant le Parc marin aux Chagos pour dire qu’il n’y a pas de motif ultérieur. C’est la plus haute instance dans la hiérarchie judiciaire qui s’est prononcée. Les Chagossiens réclament, eux, le retour sur leur île natale. Ce qui est un droit humain. Olivier Bancoult devrait changer de fusil d’épaule. La bataille est au niveau diplomatique. Olivier Bancoult devrait se concentrer et appuyer la démarche du Premier ministre Pravind Jugnauth de réclamer aux pays membres de l’Union africaine de prendre position sur le dossier Chagos. »

 

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