Se retrouver à 15 ou 16 ans enfermé dans un univers qui ressemble à une prison marque à vie. Certains pensionnaires des centres de détention pour mineurs parviennent, à leur sortie, à refaire leur vie, grâce à un suivi psychologique et un encadrement. D’autres, moins chanceux, accumulent les bêtises. Ceux-là finissent derrière les barreaux.
Akshay a 17 ans et il sait chanter. Son rêve est de poser sa voix sur ses compositions et pourquoi pas sortir un album. Pour le moment, il ne peut pas faire grand-chose qui puisse le rapprocher de ce qu’il désire le plus. Raison : il est incarcéré au centre correctionnel pour jeunes situé à Beau-Bassin.
Accro à la drogue synthétique, Akshay commettait des vols pour s’en procurer. « J’ai atterri ici parce que je suis allé voler chez une ministre. J’étais accompagné de quelques amis. J’ai volé des bijoux et de l’argent. La police était en sentinelle devant la portière principale. Nous sommes passés par derrière. Nous avions loué une voiture pour cela. Nous sommes passés par la cour du voisin pour accéder à cette maison. Nous avons attendu que la ministre sorte pour entrer. Nous sommes passés par une fenêtre ouverte », raconte-t-il.
Aujourd’hui, Akshay veut se remettre sur le droit chemin. Il pense qu’il doit commencer par revoir ses fréquentations. « Je ne peux pas voir une fenêtre ouverte. Je suis obligé d’entrer pour voler. S’il y a des gens à l’intérieur, je les ligote. Je suis accro à la drogue synthétique et je dois voler pour pouvoir m’en procurer. Ce sont mes fréquentations qui m’ont amené jusque-là. Mes amis sont bien plus âgés que moi. Ils m’entraînent toujours dans leurs combines. »
Meurtrier à 15 ans
À 15 ans, la vie se résume à l’insouciance, la liberté et la découverte du monde. Mais celle de Ricardo est entachée par une accusation de meurtre. L’adolescent et deux amis du même âge sont accusés d’avoir tué un receveur d’autobus à Flic-en-Flac en février dernier. Ricardo revient sur cette nuit fatidique.
« Mes amis et moi buvions sur la plage de Flic-en-Flac et cet homme nous a accompagnés. On ne le connaissait pas. À un moment nous avons voulu nous rendre dans un morcellement non loin et il a voulu venir avec nous. Il m’a montré des photos de son mariage sur son téléphone et c’est là qu’il s’est énervé parce qu’apparemment j’aurais vu une photo que je ne devais pas voir. Il a commencé à me taper. Je lui ai donné deux coups, l’un à la tête et l’autre sur le corps, à l’aide d’une pierre. Il s’est écroulé. Nous sommes partis. Ce n’est qu’après que nous avons appris son décès. »
Le plus dur pour lui aujourd’hui est de vivre en ayant cela sur la conscience. « Nous sommes désolés de ce qui est arrivé. Nous avons pris conscience de la gravité de nos actes. Nous ne voulons pas aller croupir dans la prison pour adultes. Sans compter le fait que nos familles nous manquent », confie Ricardo.
Vol, crime, drogue… Autant de raisons qui ont conduit 44 mineurs à se retrouver au Correctional Youth Centre. Dans ce centre on leur inculque les valeurs de la vie mais on leur apprend surtout à canaliser leurs émotions pour ne plus faire les mêmes bêtises. Hedley Hannelas, surintendant de prison, revient sur les activités que pratiquent ces jeunes à l’intérieur de ces murs.
« Après les corvées du matin, à 8 heures, une partie des pensionnaires va à l’école qui se trouve dans la cour. Ils ont aussi droit à des cours de musique et de danse. Des associations se déplacent au centre pour leur donner des formations sur l’art de vivre et l’instruction morale. Il y a la messe et un Aya vient pour des cours de Moral Instructions. Il y a également un psychologue qui suit les jeunes admis ici. »
De temps en temps, surtout depuis l’introduction du Duke of Edinburgh’s International Award, on permet aux jeunes d’aller faire du camping. Le dernier en date a eu lieu à Flic-en-Flac. Fabiano, 17 ans, qui y avait participé dit être sorti grandi de l’expérience. « C’était une aventure exceptionnelle. Pour la première fois nous avons senti qu’on nous faisait confiance en nous laissant à l’air libre. Nous avons respecté les consignes des officiers. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas passé autant d’heures à l’extérieur. »
Réhabilitation
Puis il y a les choses sérieuses. Après les corvées du matin, les garçons se rendent en classe. « La majorité a fait la Prevoc. Le niveau de ces élèves équivaut à ceux de Grade 6. » Un livre qui traîne sur une des tables de la salle d’activités attire notre attention. À l’intérieur se trouve une lettre contenant la phrase : « Maman, pardonne-moi pour tout. » C’est Christophe qui l’a écrite. Dans cette missive, il explique à sa maman ce qui l’a amené à commettre le délit qui l’a conduit dans ce centre correctionnel.
L’adolescent soutient que l’écriture l’aide à s’exprimer. Il regrette néanmoins de ne pas avoir de matériel pour donner libre cours à sa créativité. « J’ai voulu dire à ma maman que je suis désolé pour tout ce que j’ai fait. Je lui dis aussi que j’ai décidé de changer. J’aime écrire. Cela m’aide à évacuer mon angoisse. Mais il n’y a pas assez de matériel pour nous permettre d’écrire ici. »
Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien : «Il faut leur faire subir un dépistage dès le départ»
D’un point de vue psychologique, la délinquance se traduit comme un langage ou encore un signe de souffrance. Comme l’explique Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien. « Généralement, les jeunes qui commettent des actes de délinquance sont perçus comme de mauvais enfants. Cependant, la psychologie définit la délinquance comme un langage qui traduit une profonde souffrance. Ces jeunes qui se retrouvent dans ces centres sont issus de milieux défavorisés où règne la pauvreté. La délinquance n’existe pas uniquement dans ces quartiers, mais ceux qui sont plus aisés ont les moyens pour sortir de cet enfer. »
Pour Vijay Ramanjooloo, ces adolescents sont issus de milieux où l’encadrement familial est inexistant, où les parents ont des antécédents psychiatriques et sont accros à l’alcool ainsi qu’à la drogue. « Ils viennent d’un environnement où ils subissent des actes de violence intrafamiliale. Ils sont souvent victimes de violence physique et sexuelle. Puis il y a ces jeunes dont les mères étaient déjà dépendantes de l’alcool et de la drogue lorsqu’elles étaient enceintes. Cela perturbe le développement cognitif des enfants. »
Le psychologue prévient qu’on ne peut pas blâmer uniquement les parents. Il explique que les jeunes qui se retrouvent dans les centres ont des problèmes sur le plan de l’équilibre mentale. « Schizophrénie, dépression, addiction, bipolaire… Ils basculent dans diverses pathologies mentales. L’idéal serait de faire subir un dépistage aux jeunes qui intègrent les centres correctionnels pour déterminer de quoi ils souffrent. La prison doit être le dernier recours dans le cas des mineurs. »
Me Hervé Lassémillante : «On ne peut placer des enfants n’ayant pas encore été trouvés coupables avec ceux qui l’ont été»
Me Hervé Lassémillante, de la National Preventive Mechanism Division de la National Human Rights Commission, montre du doigt l’environnement dans lequel vivent les adolescents qui se retrouvent au Correctional Youth Centre (CYC). Il explique que c’est le premier facteur qui l’a frappé lors des visites qu’il a faites au centre de détention. « Quand on entre au CYC, la première chose qu’on voit dans la cour ce sont les jeunes en train de pratiquer un sport. Ce qui est très positif. Mais une fois à l’intérieur, le constat est différent. Il y a de l’urine par terre. Les matelas sentent mauvais. Les toilettes sont cassées. Vingt à 22 mineurs vivent dans une seule unité. Ce n’est pas un environnement qui aide à la réhabilitation de ces adolescents. Il faut améliorer tout cela. »
Me Hervé Lassemillante déplore également le fait que le CYC accueille les jeunes qui sont en détention provisoire (on remand) et ceux qui sont condamnés (convicted) sous le même toit. « On ne peut pas placer des enfants qui n’ont pas encore été trouvés coupables avec ceux qui l’ont été. Il faut une séparation entre les deux catégories. De plus, on a affaire à des mineurs ultra-sensibles. Il faut les comprendre pour pouvoir les encadrer. Il faut certes de la sévérité mais sans exagération. »
Questions à…Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for Children : «Difficile de faire de la réhabilitation derrière les barreaux»
Pourquoi les jeunes se retrouvent-ils dans des centres de détention ?
Si on remonte dans l’histoire de ces jeunes, l’instabilité familiale dans laquelle ils vivent est un des principaux facteurs. Ils n’ont pas grandi au sein d’une famille stable. Ils ont souvent été exposés à des formes de violence domestique. Il y a une série de facteurs qui les conduisent à enfreindre la loi.
Les parents de certains d’entre eux se trouvent eux-mêmes en prison. Quand on tente de faire de la réhabilitation, la famille constitue souvent un obstacle. L’environnement dans lequel vivent ces jeunes y est pour beaucoup : la pauvreté, le chômage et le comportement des parents, etc. L’enfant n’est pas bien encadré.
Il faut aussi faire ressortir qu’il y a un sérieux problème de drogue synthétique parmi ces jeunes. Beaucoup se retrouvent au Correctional Youth Centre (CYC) pour des cas de larceny. Ce sont souvent des jeunes qui volent pour pouvoir se procurer de la drogue.
Quand nous parlons de la gravité de ce fléau chez les jeunes, nous ne sommes pas du tout alarmistes. C’est la réalité. Plus de 40 mineurs sont détenus au CYC Boys, la plupart étant enfermés pour des cas de larceny et de consommation de drogue, qu’elle soit dure synthétique. Il y a un grave problème de drogue parmi les jeunes.
Vous avez souvent décrié le système de réhabilitation de ces jeunes. Pourquoi ?
Les deux rapports du bureau de l’Ombudsperson for Children de 2015 et 2016 sont clairs sur les conditions dans lesquelles vivent les jeunes au centre. La situation a certes évolué depuis 2016, mais il n’y a pas de réhabilitation sans condition physique appropriée. Les conditions physiques incluent l’hygiène de vie.
Dans certaines ailes, il y a eu des améliorations. Mais quand il y a 40 enfants qui vivent dans le même centre, la promiscuité s’installe. Nous avons besoin de petites unités thérapeutiques pour pouvoir faire de la réhabilitation. Tant qu’il n’y aura pas cela, le travail individuel sera difficile et l’hygiène absente.
En termes de réhabilitation, la Convention relative aux droits de l’enfant dit que le centre de détention devrait être le dernier recours. Pour qu’il y ait une véritable réhabilitation, il faut un soutien psychologique intensif et un dossier individuel pour chaque enfant. Il faut des éducateurs. C’est ce type de système que nous devons privilégier. Il y a des conventions internationales à ce sujet. Il faut les adopter et les adapter à notre contexte. On ne peut pas faire de la réhabilitation derrière les barreaux.
Pensez-vous qu’il est temps de revoir l’âge de la responsabilité pénale ?
L’âge de la responsabilité pénale doit être défini et fixé le plus tôt possible. Il doit être au-delà de 15 ans à mon avis, mais c’est un grand débat. Le Juvenile Justice Bill est essentiel. Il y a du bon dans les lois existantes mais il faut avancer. La Convention n’est pas passée par le Parlement. On s’y réfère mais elle n’a pas force légale. Sans cadre légal, il n’y a pas de changement. Dans nos centres, un enfant est admis au Rehabilitation Youth Centre jusqu’à l’âge de 14 ans. Ceux admis au CYC ont entre 14 ans et 18 ans.
Quid du rôle des parents ?
Certains ne veulent plus revoir leurs enfants quand ces derniers sortent du CYC. D’autres, en revanche, font tout pour les aider. Les officiers des centres éprouvent des difficultés pour retourner les enfants dans leurs familles. Pour le moment, la réhabilitation ne se fait pas avec les proches. Ce qui est dommage, car c’est la cellule la plus importante de la société.
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