Interview

Catherine Boudet, sociologue et journaliste : «Quand la diversité devient une ressource de pouvoir, elle devient une source de conflits»

Catherine Boudet

Comment Maurice est-elle perçue, en termes de respect de la démocratie,  auprès des délégations que vous avez rencontrées à Bruxelles ?
Maurice est considéré comme un modèle de démocratie dans la SADC et parmi les délégations qui connaissent le pays, il y a un respect envers le travail de la Commission électorale. À la suite de ma présentation, les participants africains étaient très enthousiastes de découvrir, je cite, « un système différent de fonctionnement électoral », « une expérience différente dans la région SADC ». Ils étaient très intéressés de savoir comment Maurice trouve ses propres solutions de prévention des conflits.

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Quel est votre constat de l’exercice de la démocratie dans les pays membres de la SADC ?
Les pays d’Afrique australe connaissent des situations de violence politique intense, avec souvent le rôle de groupes armés. Alors qu’à Maurice, la violence est sous-jacente, plus invisible, par le biais de la corruption, de l’intimidation, du vote buying. C’est donc très utile pour ma recherche de pouvoir comparer avec les situations des autres pays d’Afrique afin d’élargir mon angle d’approche sur Maurice.

Dans votre article, vous avez utilisé le terme ‘management of diversity’ effectué par les protagonistes politiques et socioculturels à Maurice. Dans quelles circonstances, ce ‘management’ peut-il échapper au contrôle de ceux qui s’en portent garants ?
La diversité ethnique ou culturelle en soi n’est pas un problème. Le problème se pose quand la diversité est utilisée politiquement comme une ressource de pouvoir, quand des élites cherchent à se prévaloir de la ressource ethnique, religieuse, culturelle, etc. pour prendre ou se maintenir au pouvoir. Quand la diversité devient une ressource de pouvoir, elle devient une source de conflits. C’est dangereux pour la démocratie et pour la justice sociale parce que les identités se retrouvent alors en compétition. À partir de là, ce sont les identités ethniques qui prennent le dessus par rapport aux droits des individus et des citoyens.

C’est dans ce contexte qu’on est amené à parler de ‘management of diversity’. En effet, cette diversité ethnique, qui est politisée, devient un moteur de compétition et elle risque d’être hors de contrôle. Cela peut se passer schématiquement de deux façons. Soit lorsque les groupes extrémistes rompent le pacte de l’harmonie interculturelle et cherchent à faire pencher la balance du pouvoir ethnique ou religieux à leur profit, et pour cela ils ont recours à la violence et à l’intimidation. Soit lorsque les maillons faibles du système et les désavantagés de la compétition interethnique sont poussés au désespoir et se révoltent. Les émeutes de 1999 en sont une illustration.

Vous attribuez au système ‘Best Loser System’ (BLS) un des facteurs de l’attisement des conflits interethniques. De quelle manière cette représentativité ethnique au Parlement mauricien est-elle perverse ?
Même s’il visait à offrir des garanties de préservation des intérêts des minorités, le BLS a en réalité contribué à attiser la compétition interethnique. La raison, c’est que le BLS a été mis en place dans le cadre d’un système électoral et politique, qui a érigé les communautés en acteurs politiques et qui les a mises en compétition pour accéder aux positions et aux ressources de l’État.

Ce qui a eu des effets pervers en premier lieu parce qu’en réalité, le BLS est un système purement symbolique de représentation. Et encore que pour les groupes officiellement reconnus. Pire, une fois que ce système électoral fondé sur le BLS a érigé les communautés officielles en acteurs politiques, celles-ci doivent avoir recours au lobbying de leurs élites et de leurs agents pour accéder aux ressources de l’État. De ce fait, le BLS va même à l’encontre de l’égalité des chances pour les citoyens parce qu’il donne lieu à une compétition électorale basée sur l’appartenance ethnique et non sur la méritocratie. Le BLS ne protège absolument pas les citoyens mauriciens contre l’exclusion politique.

Que répondez-vous à celles et ceux qui soutiennent que le BLS a permis de maintenir l’harmonie entre les communautés de Maurice ?
Disons que le BLS a évité des bains de sang supplémentaires à l’époque de l’Indépendance. Certes, le BLS a eu son importance dans le contexte politique bien précis de la transition vers l’Indépendance, où il fallait rassurer les communautés sur leur place dans la transition politique. Mais dans l’île Maurice indépendante, l’harmonie entre les communautés s’est faite au détriment de l’égalité des chances entre les citoyens.

 

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