Entre 10 000 et 15 000 avortements sont pratiqués tous les ans à Maurice.
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C’est, en tout cas, ce qu’indiquent le Muvman liberasion fam et la Mauritius Family Planning and Welfare Association. À Maurice, l’interruption volontaire de grossesse est autorisée sous certaines conditions. Faut-il revoir la loi, en vigueur depuis 2013, afin d’éviter les avortements clandestins qui engendrent souvent des complications ?
Lors d’une interpellation parlementaire, le mardi 8 mai, le député Kavi Ramano a mis en lumière le dysfonctionnement d’une loi qui était censée régler le problème des avortements clandestins à Maurice. Car près de cinq ans plus tard, les choses n’ont pas beaucoup évolué. Il y aurait, en moyenne, entre 10 000 et 15 000 avortements chaque année à Maurice, selon les chiffres non officiels.
Pour sa part le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, indique qu’il y a eu trois avortements thérapeutiques en 2015, quatorze cas en 2016 et sept en 2017.
Chiffres à l’appui, le député Ramano a aussi indiqué qu’une complication sur dix est traitée à l’hôpital ou dans les cliniques privées. Selon les chiffres cités à l’Assemblée nationale, il y a eu 501 cas de complications en 2015 ; 634 en 2015 et 487 en 2016. Une révision de la loi semble ainsi nécessaire, estime Kavi Ramano. C’est aussi l’avis de Vidya Charan de la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA) et de Lindsey Collen du Muvman liberasion fam (MLF).
Selon Lindsey Collen, « il faut décriminaliser l’avortement ». Elle considère que le choix revient à la femme. « Il faut qu’il y ait un cadre légal pour que l’intervention se fasse dans les meilleures conditions », dit-elle. Elle ajoute que l’avortement n’est pas un sujet qui concerne l’État, mais l’intimité d’une femme ou d’un couple. « La législation devrait plutôt porter sur les conditions qu’il faut respecter dans la pratique de l’avortement », explique-t-elle.
Vidya Charan de la MFPWA est d’avis que de nombreux avortements passent inaperçus, car ils n’engendrent pas des complications, étant donné que des méthodes modernes sont utilisées. Mais dans certains cas, il y a des complications. « C’est pour cela que nous demandons que la loi soit revue et que l’avortement soit considéré comme un problème de santé concernant la femme et qui est réglé de façon médicale », fait-elle observer.
L’Action familiale, de son côté, indique que la hausse du nombre d’avortements clandestins découlerait d’un manque de respect à la vie. La directrice, Agnieszka Duvergé, souligne que pour beaucoup de personnes, une grossesse non planifiée est un drame. Selon elle, certaines personnes prennent des risques et négligent les méthodes de contraception, parce qu’elles se disent qu’il y a la possibilité de se faire avorter.
Alarmant
Le Dr Arvind Pulton, consultant en charge du département de gynécologie à l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgoolam, à Pamplemousses partage cet avis. Il estime que le nombre d’avortements est alarmant. Il ajoute que contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce sont surtout des couples mariés qui décident d’avoir recours à l’avortement après avoir eu un ou plusieurs enfants. « Ils considèrent l’avortement comme une solution facile », dit-il. Et d’indiquer qu’il s’oppose à la décriminalisation de l’avortement à Maurice.
« La décriminalisation banalisera l’avortement et la relation sexuelle. » Le Dr Pulton préconise l’éducation des jeunes, afin qu’ils changent leur mode de vie et adoptent un comportement sexuel plus responsable.
La directrice exécutive de la MFPWA et la responsable du MLF insistent, pour leur part, qu’il faudrait prendre des mesures pour éviter les avortements clandestins. Elles s’accordent à dire qu’il faut mettre en place les services appropriés et offrir aux femmes l’encadrement nécessaire lorsqu’elles sont confrontées à des grossesses non désirées.
« L’avortement est un problème social et médical », fait ressortir Lindsey Collen. Vidya Charan considère qu’il faut laisser aux femmes et aux couples le soin de décider s’ils souhaitent avoir recours à l’avortement. « Nos lois devraient leur permettre d’avoir accès à un service de santé approprié, afin d’éviter les complications qui peuvent survenir dans des cas d’avortements clandestins », indique-t-elle.
Avortement thérapeutique en 2012
En 2012, le Criminal Code a été amendé, afin d’autoriser l’avortement thérapeutique sous certaines conditions. La loi a été votée en octobre de la même année, légalisant ainsi partiellement l’avortement. L’interruption de grossesse doit se faire avant quatorze semaines de gestation. Une femme peut se faire avorter si sa vie est en danger ; si la grossesse peut porter préjudice à sa santé physique et mentale ; s’il y a un risque de malformation ou d’anormalité physique ou mentale chez le fœtus qui l’empêcherait d’avoir une vie normale.
La loi stipule également qu’une grossesse peut être interrompue si elle est la conséquence d’un viol, d’un inceste ou de relations sexuelles avec mineure.
Selon la loi, la femme souhaitant se faire avorter doit avoir l’autorisation d’un comité composé de spécialistes et l’intervention n’est possible que dans les cinq hôpitaux régionaux ainsi que dans les institutions privées accréditées par le ministère de la Santé.
Infertilité
Les méthodes d’avortement ont énormément évolué, ce qui fait qu’il y a moins de complications, explique le Dr Pulton. La plus connue est l’utilisation du Cytotec, prescrit par les médecins.
Parmi les complications possibles à la suite d’un ou de plusieurs avortements, il y a le risque d’infertilité. Il précise qu’il y a des antibiotiques très efficaces pour lutter contre d’éventuelles infections lors des curetages.
Me Jenny Mooteealoo : « Approuver la légalisation ne signifie pas appuyer le principe »
« Quand on parle de l’avortement, nous avons tendance à juger les femmes qui ont recours à cette pratique. Le jugement qu’on porte sur ces femmes ne les aide pas. Elles n’ont pas toujours le choix. Aucune femme ne recourt à l’avortement par plaisir, c’est toujours un moment difficile. L’avortement est un acte douloureux pour la femme, à la fois physiquement et psychologiquement. Le recours à l’avortement est bien souvent l’acte ultime, lorsque les problèmes en amont ne sont pas résolus : précarité, violences, deuil, mères célibataires », estime Jenny Mooteealoo.
Elle ajoute : « La femme ne doit en aucun cas mettre au monde un enfant, si elle n’est pas sûre d’être capable de le porter, de l’élever, de s’en occuper avec amour et affection. La vie est ce qu’il y a de plus important, seulement si elle est voulue par la personne qui la porte. À Maurice l’avortement est permis dans des cas très spécifiques, mais qu’en est-il de la libre disposition de son corps ? En privant les femmes du droit à l’IVG, on les prive de leur liberté de disposer de leur corps et aussi de leur libre arbitre ».
Un autre point soulevé par elle : « Légaliser l’avortement ne veut pas dire que plus de femmes peuvent avoir recours à l’avortement, mais plutôt que plus de femmes aient la possibilité de le faire dans un hôpital et pas dans des endroits clandestins. Il ne faut cependant pas prendre l’avortement comme moyen de contraception. Il est aussi important de souligner que la légalisation de l’avortement n’est pas un remède qui s’attaque au mal lui-même ».
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