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[Blog] Assises de l’océan : concilier les ambitions de l’économie bleue avec la durabilité marine

Maurice cherche à concilier ambitions économiques et devoir écologique. Entre souveraineté maritime, convoitises régionales et urgence climatique, l’île doit redéfinir son rapport à la mer.

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Maurice occupe une position stratégique dans l’océan Indien, servant à la fois de passerelle entre l’Afrique et l’Asie et d’acteur clé dans l’essor de l’économie bleue régionale. Notre vaste Zone économique exclusive (ZEE) de plus de 2,3 millions de km² offre un potentiel économique considérable grâce à la pêche, la biotechnologie marine, l’énergie océanique et le tourisme durable.

Cependant, ce potentiel est étroitement lié à la responsabilité environnementale : la prospérité de l’île dépend de la santé de ses récifs coralliens, de ses mangroves et de ses écosystèmes côtiers, aujourd’hui gravement menacés par la surexploitation, la pollution et les effets du changement climatique.

Trouver l’équilibre entre croissance économique et protection écologique est ainsi devenu un défi central. Maurice doit renforcer la gouvernance maritime, la surveillance scientifique et la coopération régionale afin de garantir que ses ressources océaniques soutiennent un développement inclusif et durable, tout en préservant le capital naturel qui assure la survie et le bien-être des générations présentes et futures. Cet équilibre devrait constituer le fil conducteur des prochaines Assises de l’océan.

2. Défis et risques des Assises de l’océan

Alors que les Assises de l’Océan avaient été conçues comme une plateforme participative visant à aligner les ambitions nationales en matière d’économie bleue sur les objectifs de durabilité, le processus fait aujourd’hui face à de sérieux risques de gouvernance. Le dialogue a été progressivement capté par de puissants lobbies notamment certains acteurs des secteurs de pêche et de l’aquaculture dont les intérêts entrent souvent en conflit avec les priorités environnementales et communautaires.

Cette influence a dénaturé l’esprit initial des Assises, en déplaçant l’attention d’une gouvernance inclusive et écologique de l’océan vers une logique d’exploitation commerciale présentée sous le vernis de la « croissance bleue ». Sans garanties renforcées de transparence, d’intégrité scientifique et de participation publique, l’initiative risque de se transformer en un exercice de « bluewashing », où le discours de durabilité masque en réalité des pratiques extractivistes.

Reprendre le contrôle citoyen et scientifique des Assises de l’océan est essentiel pour réaligner la gouvernance maritime de Maurice sur ses responsabilités écologiques et sociales véritables. Jetons un coup d’œil sur l’océan Indien.

3. L’océan Indien : un théâtre de pouvoir, de ressources et de risques environnementaux

L’océan Indien s’est imposé comme l’une des régions les plus stratégiquement contestées et économiquement cruciales au monde. De l’Afrique de l’Est à l’Asie du Sud et du Sud-Est, les nations bordant ses vastes eaux le considèrent comme une source essentielle de puissance, de sécurité et de prospérité. Plusieurs facteurs interdépendants expliquent cette course accélérée au contrôle.

  • Énergie et voies commerciales :

L’océan Indien constitue une artère vitale du commerce mondial, transportant près de 40 % du commerce pétrolier mondial ainsi qu’une part importante du trafic conteneurisé à travers des points de passage stratégiques tels que le détroit d’Hormuz, Bab el-Mandeb et le détroit de Malacca. Le contrôle de ces voies maritimes confère un levier sur les chaînes d’approvisionnement mondiales et la sécurité maritime.

  • Ressources marines et minérales :

Sous sa surface se trouvent d’immenses réserves halieutiques, d’hydrocarbures, de minéraux des grands fonds et un potentiel en énergies renouvelables. Les États côtiers cherchent à sécuriser un accès exclusif à ces ressources via leurs Zones économiques exclusives (ZEE), allant parfois au-delà de la limite des 200 milles nautiques pour étendre leur juridiction.

  • Positionnement stratégique et militaire :

La géographie de l’océan en fait également un terrain privilégié pour l’influence militaire. Les grandes puissances comme l’Inde, la Chine, les États-Unis et la France rivalisent pour la domination navale et l’accès à des infrastructures logistiques. Les bases de Diego Garcia, Djibouti et des Seychelles illustrent l’intensification de la militarisation de la région sous couvert de « coopération en matière de sécurité maritime ».

  • Pressions climatiques et sur les ressources :

Alors que les ressources terrestres s’épuisent et que les impacts climatiques s’intensifient, l’océan est de plus en plus perçu comme la prochaine frontière pour l’expansion économique – des projets de carbone bleu et de l’aquaculture à l’exploitation minière en eaux profondes. Cependant, ces activités, si elles sont mal régulées, risquent de compromettre les objectifs mêmes de durabilité qu’elles prétendent promouvoir.
En résumé, l’océan Indien est devenu un carrefour stratégique d’ambitions économiques, de négligence environnementale et de rivalités géopolitiques. Sans une gouvernance collective renforcée, davantage de transparence et de garanties écologiques, cet océan partagé risque de devenir la prochaine victime mondiale du nationalisme des ressources et de l’exploitation à court terme.

  • 4. L’océan Indien : victime et régulateur du changement climatique

Le changement climatique exerce un impact profond et multidimensionnel sur l’océan Indien et, en retour, cet océan en mutation influence à son tour le climat régional et mondial. L’élévation de la température des eaux de surface provoque une augmentation de la fréquence et de l’intensité des cyclones tropicaux, tout en bouleversant les régimes de mousson essentiels à des millions de personnes en Afrique de l’Est et en Asie du Sud. Le réchauffement et l’acidification des océans entraînent le blanchissement massif des coraux, la migration des espèces marines et la perturbation des chaînes alimentaires. Parallèlement, la montée du niveau de la mer accentue l’érosion côtière et menace les zones habitées et les infrastructures portuaires. 

Mais l’océan Indien n’est pas seulement victime : il joue aussi un rôle crucial de régulateur climatique, absorbant une part importante de la chaleur et du dioxyde de carbone émis par les activités humaines. Or, cette fonction de « puits de carbone » s’affaiblit sous la pression du changement climatique et de la dégradation des écosystèmes marins. En somme, l’océan Indien se trouve à la fois au cœur de la crise climatique et au centre des solutions, à condition que les pays riverains unissent leurs efforts pour restaurer ses écosystèmes et renforcer la résilience de leurs sociétés côtières.

5. Le rôle des dipôles dans la dynamique climatique de l’océan Indien- 

  • Un phénomène unique 

Le dipôle de l’océan Indien (IOD) joue un rôle déterminant dans la variabilité climatique de la région, influençant directement les régimes de précipitations, les températures marines et la fréquence des événements extrêmes. En phase positive, les eaux de l’ouest de l’océan se réchauffent tandis que celles de l’est se refroidissent, provoquant de fortes pluies et parfois des inondations en Afrique de l’Est, mais accentuant la sécheresse et les vagues de chaleur en Australie et dans les îles de l’océan Indien, y compris Maurice. À l’inverse, une phase négative entraîne des conditions plus humides dans la partie orientale et une diminution des pluies à l’ouest. Ces fluctuations, amplifiées par le changement climatique, modifient la productivité marine, la migration des espèces et la résilience des récifs coralliens. Comprendre et anticiper les effets du dipôle devient donc essentiel pour la gestion climatique, la sécurité alimentaire et la planification économique des pays riverains de l’océan Indien.

6. Gouvernance régionale et captation géopolitique - IORA

L’Association des pays riverains de l’océan Indien (IORA), bien qu’elle soit l’organisme régional principal chargé de promouvoir la coopération et le développement durable dans l’océan Indien, demeure, à mon sens, institutionnellement fragmentée et politiquement affaiblie. Ses mécanismes de coordination politique, de protection de l’environnement et de gouvernance maritime restent faibles, se limitant souvent à des engagements volontaires plutôt qu’à des cadres contraignants.

Ce vide de gouvernance a ouvert la voie à l’ingérence d’acteurs externes, notamment l’Union européenne, la Chine, la France, Taïwan, l’Inde et d’autres puissances géopolitiques. Ces interventions, bien que souvent présentées sous les bannières de « l’économie bleue », de la « coopération en matière de sécurité » ou des « pêches durables », reflètent fréquemment des intérêts stratégiques et économiques extérieurs plutôt que des priorités écologiques régionales ou des besoins communautaires pour ne pas dire qu’elles s’apparentent parfois à une forme de prédation des ressources.

En conséquence, l’océan Indien n’est pas géré comme un système écologique partagé, mais comme un espace de rivalités d’influence où la gouvernance fragmentée et la dépendance aux bailleurs affaiblissent la souveraineté collective et l’intégrité environnementale.

Maurice, en tant que petit État insulaire doté d’une forte légitimité morale en matière de protection des océans, devrait utiliser des plateformes comme les Assises de l’océan pour plaider en faveur d’une IORA réformée et renforcée, fondée sur la gouvernance écologique, la transparence et une participation équitable au cœur de son action.

7. Le rôle de la Commission de l’Océan Indien 

  • Entre coopération régionale et influence postcoloniale

La Commission de l’Océan Indien (COI), créée en 1982, regroupe cinq États membres – Comores, Madagascar, Maurice, La Réunion (France) et Seychelles  avec pour mandat initial de renforcer la coopération régionale dans les domaines de la diplomatie, du développement durable et de la sécurité maritime.

Cependant, la présence de la France à travers La Réunion confère à cette organisation une dynamique asymétrique, où le pouvoir d’influence, les ressources financières et les priorités stratégiques tendent souvent à être orientés selon les intérêts français. La COI reste une structure financièrement et institutionnellement dépendante. La majorité des projets de la COI sont financés par des partenaires extérieurs : Union européenne, France, AFD, GIZ, Banque mondiale, etc. On revoit beaucoup ces mêmes organisations comme fer de lance des Assises de l’Océan. Cette dépendance financière donne aux bailleurs, notamment à la France, un poids disproportionné sur les priorités programmatiques, au détriment parfois des besoins exprimés par les petits États insulaires. Ainsi, les orientations de la COI reflètent souvent une vision « eurocentrée » de la coopération régionale.

  • Une présence française dominante sous couvert de coopération 

La France agit comme membre à part entière via La Réunion, mais aussi comme puissance extérieure dotée d’intérêts stratégiques : maintien de zones économiques exclusives étendues, contrôle maritime, et présence militaire dans le sud-ouest de l’océan Indien.

Cette double position lui permet de façonner les politiques régionales  notamment sur la sécurité maritime, la gestion des pêches et la gouvernance de l’océan selon une logique de préservation de ses propres intérêts géopolitiques et économiques.

  • Une marginalisation des petites îles au sein de la COI

Les pays insulaires indépendants comme Maurice ou les Seychelles se trouvent souvent dans une position défensive, cherchant à faire entendre leurs priorités environnementales, économiques et de justice climatique face à un agenda dominé par les puissances extérieures. Le risque est que la COI serve davantage de plateforme diplomatique pour la France que de véritable outil d’intégration régionale autonome.
En somme, la COI demeure un instrument utile de coopération, mais sa légitimité est affaiblie par la prépondérance française qui, sous couvert de partenariat, maintient une logique d’influence héritée de la période coloniale. Une refondation vers une coopération réellement insulaire, équitable et décolonisée est indispensable si la COI veut devenir un acteur crédible de la gouvernance maritime et écologique dans l’océan Indien.

Retrouvez la suite dans notre édition du jeudi 16 octobre. 

Sunil Dowarkasing, Environnementaliste et ancien stratège à Greenpeace International

 

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