Cinq jours après le meurtre du petit Ayaan Moeen Ud Din G. Ramdoo, âgé de 2 ans, la police commence à voir plus clair dans ce drame familial. Nesha Soobhug, la doctoresse du privé, ayant émis le certificat de décès du petit, s’est rendue aux Casernes Centrales, lundi, pour expliquer son geste. « Je me suis fiée à la carte d’auscultation de l’enfant », a-t-elle fait ressortir aux enquêteurs. Au terme de son interrogatoire, elle a été autorisée à rentrer chez elle. Elle est attendue ce mardi.
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C’est en présence de son homme de loi, Me Neelkanth Dulloo qu’elle a été entendue. Elle est revenue sur son parcours. La doctoresse, originaire de New Grove, a fait ses études en Russie avant de revenir au pays pour exercer comme médecin généraliste. Elle est enregistrée auprès du Medical Council of Mauritius depuis le 13 décembre 2017. Lors de cet interrogatoire « under warning », elle est revenue sur cette soirée fatidique.
Il s’avère que, dans la nuit du 12 novembre 2020, le beau-père et la maman d’Ayaan avaient, dans un premier temps, tenté d’avoir aussi vite que possible la signature d’un médecin de l’hôpital Jawaharlal Nehru, qui était de service, pour certifier le décès de l’enfant. Cependant, le médecin a refusé d’accéder à leur demande. C’est ainsi que la doctoresse Nesha Soobhug est entrée en jeu. Au cours de son interrogatoire, le médecin a soutenu qu’elle a été contactée, cette nuit-là, pour venir à l’hôpital.
Elle s’est rendue sur place. « Un homme s’est présenté comme un policier et m’a dit qu’il fallait signer un certificat de décès », a-t-elle expliqué aux enquêteurs. Puis elle a rencontré le beau-père et la mère de l’enfant. Ils lui ont dit que l’enfant s’était étouffé en mangeant du briani. « J’ai jeté un rapide coup d’œil à la dépouille. J’ai vu la carte d’auscultation de l’enfant et ensuite, j’ai signé et délivré le certificat de décès », a-t-elle soutenu aux enquêteurs de la MCIT. « Ils m’ont remis Rs 2 500 », devait-elle ajouter. À ce stade, aucune charge n’a encore été retenue contre elle.
« Lapolis inn pran desizion pou otorise li ale », a précisé son avocat, Me Dulloo, à leur sortie des locaux de la MCIT. Le médecin devra encore s’expliquer en détails aux policiers. Mais elle est loin d’être tirée d’affaire. Pour son intervention dans ce drame, elle risque des poursuites, notamment pour avoir délivré un faux certificat de décès. Les limiers comptent vérifier le registre de la morgue de l’hôpital de Rose-Belle pour voir si une entrée a été enregistrée. Ils se demande aussi comment le cadavre du petit a-t-il pu être transporté hors de l’hôpital sans que les policiers de service au poste de police de l’établissement ne se rendent compte de la gravité de la situation.
Le couple face à une foule hostile après leur comparution en cour
Vives tensions devant la cour de Curepipe lundi matin. Bibi Nawsheen Beeharry, 26 ans, la mère du petit Ayaan, et son compagnon, Mohammed Ali Ashar Sobratee, 22 ans, ont essuyé une pluie d’injures à leur sortie de la cour après leur comparution. Ils ont été inculpés de meurtre.
Le couple était escorté par les limiers de la MCIT et ceux de la CID de Curepipe. Bibi Nawsheen Beeharry s’est évanouie devant le magistrat. On lui a offert un verre d’eau et elle s’est ressaisie. La maman a quitté l’enceinte de la cour peu après, sous haute escorte policière.
Hommes, femmes et enfants les attendaient dehors. Ils n’ont pas caché leur colère face au sort tragique qu’a connu le petit Ayaan, battu à mort par son beau-père. Lorsque le suspect est sorti, les injures ont fusé de toutes parts. Ils ont tenté de l’agresser. « To touy nou zanfan. Li pa merit sa li. Donn mwa zis senk mini ar li », devait lancer un homme révolté. Les enquêteurs de la MCIT et la CID de Curepipe ont dû intervenir pour calmer les esprits. « Sa zanfan la manze bwar kot mwa », lâche un proche de la petite victime. Le suspect a pu finalement regagner le véhicule de la police, sous les invectives de la foule. La maman a dû être hospitalisée.
Le beau-père revient sur le lieu du drame
Après sa comparution en cour de Curepipe, Mohammed Ali Ashar Sobratee, le beau-père de l’enfant, est retourné à son domicile à Midlands où le drame a eu lieu. Le jeune homme était sous forte escorte policière. Plusieurs unités de la force policière étaient sur place, dont la Special Supporting Unit (SSU). Il a emmené les limiers dans la chambre où il a frappé le petit Ayaan. Il a indiqué où il se trouvait au moment de porter les coups. L’enfant s’est évanoui. Il a par la suite montré la voiture dans laquelle ils se sont rendus à l’hôpital Nehru, Rose-Belle. Puis il a été reconduit en détention policière.
La doctoresse bientôt convoquée au Medical Council
Nesha Soobhug a été entendue par les enquêteurs de la Major Crime Investigation Team le lundi 16 novembre 2020. Bientôt, c’est devant le Medical Council que la doctoresse aura à s’expliquer. Elle sera en effet convoquée, confirme le Dr Shyam Purmessur, président du Conseil de l’Ordre des médecins. Ce qu’il est reproché à la praticienne : d’avoir émis et signé l’acte de décès du petit Ayaan, qui a été battu à mort par son beau-père, en l’attribuant à une mort naturelle résultant d’un arrêt cardiaque. Or, l’autopsie faite à l’hôpital Victoria a conclu à un « foul play », précisant que l’enfant est décédé des suites d’une « acute peritonitis following traumatic bowel (battered child) ».
Se référant aux informations parues dans les médias, le Dr Shyam Purmessur explique que vu qu’il s’agit d’un cas criminel, le Police Medical Office remettra son rapport au Directeur des poursuites publiques (DPP) qui décidera de la marche à suivre. À partir de là, le commissaire de police écrira au Medical Council pour prendre des actions dans le cadre d’une violation du code d’éthique. « Normalement, nous agissons selon quatre critères : Gross Medical Negligence, Professionnal Misconduct, Fraud et Dishonesty », fait ressortir le président du Conseil de l’Ordre des médecins.
Il ajoute que le Medical Council attend aussi qu’une plainte soit déposée pour commencer ses investigations selon les sections 13 à 17 du « Sub-Part B – Discipline » de la Medical Council Act. « À partir de là, nous arrivons à une conclusion. Ce sera peut-être un avertissement ou une réprimande que le Medical Council lui administrera », dit-il.
Si c’est un cas de « severe warning » ou de « severe reprimand », le cas sera alors transféré au tribunal médical qui disposera d’un délai de trois mois pour boucler l’affaire. Après quoi, il communiquera ses conclusions au Medical Council. « La doctoresse risque d’être radiée de l’Ordre des médecins », précise le Dr Shyam Purmessur. Il ajoute qu’en attendant, le Board peut décider immédiatement s’il la suspendra dans l’intérêt et la sécurité du public, le temps que l’enquête soit bouclée.
La MHOA : « Pas de commentaires »
La Medical and Health Officers Association (MHOA) n’a pas souhaité réagir sur cette affaire. Son président, le Dr Vinesh Sewsurn, a rappelé qu’une enquête est en cours afin de déterminer notamment comment la mère et le beau-père d’Ayaan ont pu quitter l’enceinte de l’hôpital Jawaharlal Nehru à l’insu du médecin qui avait constaté le décès de l’enfant.
L’Association des médecins privés : « Inacceptable »
Un médecin qui ne sait pas traiter un patient et qui ne connaît pas ses antécédents n’est pas censé délivrer un acte de décès. C’est ce qu’affirme un membre de la Private Medical Practitioners Association (PMPA). Pour l’association, l’acte reproché à la doctoresse Nesha Soobhug est « inacceptable ».
« C’est dommage pour une jeune qui démarre sa carrière », explique la PMPA. Pour elle, quand on débute dans le domaine, il est important de bien se comporter et d’avoir une conscience professionnelle. « La PMPA n’est pas là pour dire aux médecins comment se comporter, mais un tel acte fait honte à toute la profession », ajoute l’association.
La PMPA considère inconcevable que la doctoresse n’ait pas constaté les ecchymoses sur le corps de l’enfant. Elle maintient que le Dr Nesha Soobhug aurait dû examiner le cadavre de la tête aux pieds avant de délivrer le certificat de décès. « C’est quelque chose qui ne se fait pas quand on ne connaît pas le patient », insiste le membre de la PMPA. L’association estime que ce cas aurait dû être confié au Police Medical Office.
Émission d’un faux certificat de décès par un médecin : Des poursuites au pénal envisageables
Qu’encourt un médecin qui émet un faux certificat ? Il peut être poursuivi au pénal tout comme au civil. Aussi, des procédures disciplinaires peuvent être enclenchées et il peut être radié de l’Ordre des médecins. Mais, cela dépend des circonstances. Me Antoine Domingue, Senior Counsel, et Me Poonum Sookun- Teeluckdharry livrent leurs opinions sur ce sujet.
Selon Me Domingue, un médecin émettant un faux certificat de décès risque des poursuite au pénal, au civil aussi bien que des procédures disciplinaires. « L’accusation sous laquelle il sera poursuivi dépendra du Directeur des poursuites publiques », dit-il. Cela dépendra du délit commis, mais aussi des circonstances selon lesquelles le délit a été commis. « Par la suite, c’est au magistrat d’exercer sa discrétion pour prononcer une sentence appropriée. Les sanctions au pénal dépendront donc de l’accusation sous laquelle le médecin sera poursuivi », poursuit le Senior Counsel. Concernant des procédures disciplinaires, selon Me Domingue, « le médecin risque une longue suspension ou il peut être radié de l’Ordre des médecins. »
Poursuites au pénal
L’avocate Poonum Sookun-Teeluckdharry soutient, pour sa part, que le médecin peut faire face à un procès sous l’accusation : « Medical officer issuing false certificate ». Cela en vertu de l’article 118 du Code pénal. Cet article stipule que tout médecin, chirurgien, ou dentiste qui, dans l’exercice de ses fonctions et pour favoriser quelqu’un, certifiera faussement ou dissimulera l’existence de maladies, ou fournira des indications mensongères sur l’origine d’une maladie ou la cause d’un décès. Ainsi, la personne encourt une peine de prison n’excédant pas dix ans.
« Cependant, si le médecin s’est laissé soudoyer par des dons ou promesses, il risque une peine plus sévère. S’il est jugé coupable de ce délit, le corrupteur et le corrompu sont passibles d’une peine de prison n’excédant pas 20 ans. »
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