Live News

Arnaud Lagesse, président de Business Mauritius : «Une démocratie solide a besoin d’argent propre, de règles lisibles et d’arbitres crédibles»

Arnaud Lagesse

Dans cet entretien exclusif accordé au Défi Plus, le nouveau président de Business Mauritius, évoque le rôle de Business Mauritius dans l’écosystème économique mauricien. Arnaud Lagesse aborde également les questions sur l’AGOA, l’énergie, la gouvernance ou encore Air Mauritius.  

Vous prenez la tête de Business Mauritius à un moment décisif, tant pour le pays que pour le secteur privé. Quelle orientation souhaitez-vous donner à cette nouvelle étape de l’organisation ?
D’abord, celle d’être un partenaire constructif du secteur public. L’histoire nous montre que notre pays avance mieux quand un dialogue ouvert et constructif s’installe. Nous devons travailler ensemble, avec confiance, transparence et lucidité, pour que Maurice aille plus loin, plus solidement.

Publicité

Ensuite, je voudrais que Business Mauritius rassemble encore plus largement la communauté des affaires, grandes entreprises, PME, entrepreneurs, parce que notre véritable force réside dans la diversité de nos talents et de nos parcours.

Troisièmement, faire progresser une économie réellement inclusive. Il faut absolument encourager davantage les jeunes talents qui façonnent l’avenir, reconnaître la contribution de tous ceux qui font vivre le monde du travail au quotidien, et valoriser la puissance des femmes dans les affaires.

Enfin, il sera essentiel d’accélérer la transformation vers un progrès partagé.  Il faut faire de l’innovation, de l’intelligence artificielle et de la transition énergétique non pas des sources d’inquiétude, mais des opportunités concrètes pour tous.

Dix ans après sa création, Business Mauritius atteint un cap symbolique. Pourtant, certains observateurs s’interrogent sur sa pertinence. En quoi estimez-vous que son rôle demeure central dans l’écosystème économique mauricien ?
C’est sain d’être remis en question. Cela empêche de s’enfermer dans ses certitudes et oblige à évoluer. Cela prouve aussi que notre société civile attend davantage de ses institutions - plus d’écoute, plus d’efficacité, plus d’impact – ce qui est très positif.

Pour ma part, je suis convaincu que le rôle de Business Mauritius reste essentiel. Le développement du pays repose sur une collaboration solide entre le public et le privé. C’est un peu comme un pont : si un côté s’affaiblit, tout l’ensemble devient instable. Notre mission, c’est de renforcer cette passerelle pour que la circulation des idées et des solutions reste fluide, équilibrée et constructive. Nous devons rester une force de proposition et de dialogue.

Mais Business Mauritius doit aussi continuer à évoluer. Nous devons veiller à être de plus en plus représentatifs de tous les acteurs économiques, y compris les petites et moyennes entreprises, les entrepreneurs indépendants et les nouveaux secteurs émergents.

Ils doivent se sentir pleinement écoutés, accompagnés et intégrés à nos discussions.

Je crois beaucoup à l’humilité institutionnelle. Nous devons continuer à apprendre et à nous adapter.

Votre présidence débute dans un contexte de défis économiques, sociaux et environnementaux croissants. Quelles seront les priorités stratégiques de Business Mauritius pour y répondre de manière cohérente et durable ? 
Mes priorités s’inscrivent dans les quatre axes de ma présidence, et dans la continuité de ce que Business Mauritius a toujours défendu.

Sur le plan économique, il faut renforcer la compétitivité du pays : simplifier, moderniser et redonner confiance aux entreprises pour investir et innover. Notre fiscalité doit trouver le juste équilibre : soutenir l’investissement sans freiner l’initiative. Et nous devons réinventer notre modèle économique pour le rendre plus agile et plus résilient. Pourquoi ne pas imaginer, ensemble, gouvernement et communauté des affaires, une vision partagée de l’île Maurice à l’horizon 2050 ? Choisissions ensemble, par exemple, une firme internationale de stratégie et faisons-nous être accompagné par eux dans ce travail.

S’agissant du capital social, nous devons approfondir le dialogue sur les salaires, la productivité et les conditions de travail, pour bâtir un modèle plus soutenable où le progrès économique s’accompagne d’un mieux-être réel pour les travailleurs. 

Sur le plan environnemental, la transition énergétique devient urgente. Les récents épisodes d’alerte rouge l’ont montré, il faut repenser en profondeur notre manière de produire et de consommer l’énergie. Avec un cadre réglementaire adapté, les entreprises ont un rôle déterminant à jouer, notamment en investissant dans le renouvelable.

Enfin, la transformation numérique et l’intelligence artificielle doivent être vues comme des leviers de progrès collectif. Une quatrième commission de Business Mauritius se met d’ailleurs en place pour accompagner les entreprises, et donc le pays, dans cette transition.

Ces volets sont liés. Il n’y aura pas de compétitivité durable sans inclusion sociale, ni d’inclusion sans transition énergétique réussie. L’économie de demain devra être à la fois performante, inclusive, innovatrice et responsable.

Vous avez récemment exprimé le souhait que la voix du secteur privé soit « mieux entendue », notamment sur les réformes des retraites et le cadre constitutionnel. Que vouliez-vous dire précisément par-là ? Et comment comptez-vous renforcer l’influence de Business Mauritius dans ces débats ?
Le dialogue entre l’État et la communauté des affaires est déjà solide et constant. Quand je dis que la voix du secteur privé doit être « mieux entendue », je parle avant tout de timing et de méthode. Il s’agit de pouvoir intervenir plus tôt dans les processus de réforme, avec des propositions fondées sur les faits et alignées sur l’intérêt national. L’objectif est de renforcer ce travail collectif entre l’État, les partenaires sociaux et la communauté des affaires, pour avancer ensemble avec clarté et responsabilité.

Business Mauritius souhaite être encore davantage un partenaire constructif, capable d’apporter des solutions concrètes et de nourrir le dialogue avec des propositions crédibles et partagées. Il ne faut pas qu’on soit juste « entendu » mais nous devons aussi être « écouté ». Il s’agit de rendre plus fluides et plus efficaces les cadres existants du dialogue public-privé. C’est comme cela que le partenariat entre le public et le privé gagnera encore en impact et en crédibilité pour le pays.

Vous avez également évoqué la nécessité de rouvrir le dialogue sur des sujets sensibles comme le financement des partis politiques, estimant que le secteur privé pouvait y contribuer. Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui une véritable volonté politique d’aborder ce chantier ?
Business Mauritius défend de longue date une régulation claire et exigeante du financement politique. Parce qu’une démocratie solide a besoin d’argent propre, de règles lisibles et d’arbitres crédibles. Parce qu’un terrain de jeu équitable doit protéger la concurrence des idées, pas l’influence des chèques. Et parce que la confiance institutionnelle est la première condition de l’investissement et de la stabilité.
Et nos demandes sont simples et nettes : un cadre légal robuste avec enregistrement formel des partis auprès de l’Electoral Commission, divulgation des sources de financement, plafonnement des dons, interdiction des contributions étrangères, états financiers audités et publiés, et pouvoirs renforcés de l’ESC pour contrôler et sanctionner. Ce sont des garde-fous de bon sens, au service d’un jeu démocratique crédible et prévisible.

Nous espérons un signal clair de renouveau sur ce chantier de la part de nos dirigeants.

La fin annoncée de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) pose de nouvelles questions pour une économie encore très dépendante des marchés extérieurs. Comment, selon vous, renforcer nos exportations et attirer davantage d’investissements étrangers ?
Je pense qu’il est urgent que les acteurs du public et du privé travaillent encore plus étroitement ensemble pour affiner notre modèle d’ouverture économique. Renforcer nos exportations et attirer des investissements de qualité seront des priorités claires. Il faut donner confiance à l’investisseur et lui offrir un cadre stable, prévisible et performant. La compétition est mondiale. Nous devons nous différencier par notre fiabilité et notre sérieux.

Cela passe aussi par une transformation de nos infrastructures, soit moderniser le port, améliorer la logistique, renforcer la connectivité aérienne, réfléchir Maurice, pas qu’Air Mauritius et renforcer les liaisons vers des destinations régionales et internationales. Cela forme le socle d’une économie tournée vers le monde.

Cette trajectoire s’appuiera également sur une diplomatie économique active. Il s’agit de mobiliser les accords et cadres de coopération qui existent déjà entre Maurice et l’Europe, les États-Unis, l’Asie, l’Inde et l’Afrique. Le RCIC permettra d’élargir et approfondir cette démarche, en alignant l’action publique et les entreprises du privé autour de cibles claires : sécuriser l’accès aux marchés, lever les obstacles non tarifaires et promouvoir l’attractivité du territoire. C’est cette articulation entre exportations, IDE, connectivité et diplomatie économique qui permettra à Maurice de traverser cette phase avec ambition.

Entre la hausse des salaires, le débat sur la relativité salariale et la réforme de l’âge de la retraite, les questions liées au travail et aux pensions reviennent au premier plan. Comment repenser le dialogue social pour concilier soutenabilité, équité et productivité ?
Les débats récents sont légitimes et nécessaires. Mais ils montrent surtout qu’il faut un dialogue social plus ouvert, plus moderne et plus apaisé, pour arriver à des solutions « win-win ». Le pays ne peut avancer que si chaque acteur – autorités du pays, secteur des affaires, syndicats, société civile – est ouvert à un dialogue de solutions. 

Chez Business Mauritius, nous pensons qu’il faut repenser le travail dans sa globalité : productivité, formation, évolution des compétences et mobilité professionnelle. Il y a près de 500 000 personnes employées dans le privé à Maurice. Nous pouvons contribuer en amenant des faits, des idées et des propositions concrètes.

Il faut aussi regarder les signaux faibles. Une enquête d’« Afrobarometer » de 2024 indique que plus de 60 % des jeunes Mauriciens envisagent de partir à l’étranger, faute de perspectives locales, dans une économie où la population vieillit. Dans certains secteurs, comme la finance ou la technologie, le manque de talents se fait déjà cruellement sentir. Cela doit nous interpeller collectivement et nous pousser à agir et vite. 

L’alerte rouge énergétique décrétée récemment a révélé la vulnérabilité de notre système. Selon vous, que faut-il repenser dans notre modèle de production et de consommation d’énergie ? Et quel rôle le secteur privé peut-il jouer dans l’accélération de la transition énergétique ?
Comme je l’ai déjà évoqué plus haut, cette alerte rouge est un signal fort. Elle nous rappelle qu’on ne peut plus se contenter de gérer les urgences : il faut repenser en profondeur notre modèle énergétique.
Je partage pleinement la vision du professeur Khalil Elahee, président de la Mauritius Renewable Energy Agency, qui parle de la nécessité de « décarboniser, décentraliser, digitaliser et démocratiser » notre production d’énergie. La transition énergétique n’est pas qu’une question de kilowatts. C’est aussi une question de gouvernance, de transparence et de participation collective.

Nous devons produire plus, mais surtout produire différemment. Il faut diversifier nos sources, moderniser nos réseaux et encourager l’efficacité énergétique. Le pays doit miser autant sur la gestion de la demande - éviter le gaspillage, promouvoir des usages plus sobres - que sur l’augmentation de la capacité de production.

Les entreprises ont un rôle moteur à jouer. Elles peuvent expérimenter, innover et entraîner le changement à grande échelle. Au niveau public, il faudra aussi continuer à créer un cadre favorable, avec des incitations claires, une gouvernance stable et une visibilité à long terme.

Cette crise peut devenir une opportunité. En travaillant ensemble –État, entreprises et citoyens - nous pouvons bâtir un modèle énergétique plus résilient, durable et inclusive pour Maurice.

Les récents débats autour de la gouvernance des institutions publiques — de la Banque de Maurice à certaines entreprises controversées — ravivent les inquiétudes sur la transparence. Comment la communauté des affaires perçoit-elle cette situation ? Et quel modèle de gouvernance Business Mauritius souhaite-t-elle promouvoir ?
Les débats sur la gouvernance sont sains. Ils montrent que le sujet reste vivant. Ils traduisent une attente forte de transparence et de responsabilité, à laquelle nous devons tous répondre. L’enjeu, maintenant, est de transformer ces discussions en vraies réformes.

Chez Business Mauritius, nous sommes convaincus que la bonne gouvernance commence par l’exemplarité : des principes clairs, des processus solides et un engagement constant à rendre des comptes. Une gouvernance solide, dans le public comme dans le privé, est la base d’un pays stable et respecté. Cette exemplarité doit venir de tous les niveaux de responsabilité, qu’ils soient publics ou privés.

Dans le monde, on observe que les choses peuvent évoluer quand il y a une volonté collective. L’Australie, par exemple, est revenue en 2024 dans le top 10 des pays perçus comme les moins corrompus selon Transparency International, après avoir renforcé ses lois anticorruption et créé une commission nationale dédiée. Ailleurs, plusieurs pays membres de l’OCDE ont également progressé en adoptant des politiques basées sur les Public Integrity Indicators, qui mesurent la transparence et la responsabilité des institutions.

Selon un rapport de l’OCDE publié en 2018 (Education for Public Integrity), certains pays ont avancé en choisissant de miser sur la prévention plutôt que sur la sanction, et en lançant des programmes d’éducation à l’intégrité publique. L’idée est simple : apprendre très tôt, à l’école comme au travail, ce que signifient la responsabilité, la transparence et le respect de l’intérêt général. Et les résultats sont encourageants. 

L’enjeu n’est pas de pointer du doigt, mais d’élever ensemble nos standards. Je suis convaincu que c’est en cultivant cette exigence partagée - transparence, éthique, responsabilité – et ce, partout, dès le plus jeune âge, que nous pourrons renforcer la confiance du public et des investisseurs.

La démission du président du conseil d’administration d’Air Mauritius relance le débat sur la stabilité et l’avenir de la compagnie nationale d’aviation. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Et selon vous, quel type de partenariat pourrait renforcer le rôle stratégique d’Air Mauritius, notamment pour le tourisme ?
Le vrai débat dépasse la seule situation d’Air Mauritius. Il ne porte pas uniquement sur le rôle de notre transporteur national, mais sur le renforcement d’une stratégie de connectivité ouverte et tournée vers l’avenir. Comme je l’ai dit plus haut, il faut réfléchir Maurice et pas qu’Air Mauritius.

Pour une économie insulaire comme la nôtre, la connectivité aérienne n’est pas un luxe mais une nécessité et une condition de compétitivité. Elle détermine notre capacité à attirer des visiteurs, des talents et des investissements.

L’enjeu, c’est donc d’élargir les partenariats, régionaux et internationaux et d’ouvrir davantage notre ciel, en renforçant les liaisons vers les principales destinations régionales et internationales. C’est cette ouverture - bien pensée et bien négociée - qui permettra à Maurice de consolider sa place dans les échanges mondiaux.

Pour conclure, si vous deviez projeter Maurice dans dix ans, à quoi ressemblerait le pays que vous souhaitez construire aux côtés de la communauté des affaires ?
Si je me projette dans dix ans, en tant que Mauricien, papa et chef d’entreprise, j’aimerais voir une île où chaque citoyen a pu progresser –et pas seulement les entreprises ou le PIB. Un pays où les écarts se sont réduits, non pas en nivelant vers le bas, mais en élevant. Un pays où nos jeunes veulent revenir et fonder des familles, parce qu’ils sont convaincus qu’ils peuvent y bâtir un avenir solide.

Mais l’important, c’est le présent. Dans les deux prochaines années, notre rôle à Business Mauritius sera de nous atteler, avec constance, à travailler en collaboration étroite avec tous les partenaires – Gouvernement, entreprises, société civile – afin de renforcer la confiance, la compétitivité et la cohésion du pays.

En tant que président de Business Mauritius, je pense que notre responsabilité est claire. Il s’agit de continuer à agir dans une vision de long terme, à proposer plutôt qu’à opposer, et à placer le bien commun au cœur de nos actions.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !