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Analyse: État d’urgence économique

On dit que les paroles s’envolent, mais que les écrits restent. Lorsque des écrits sont transmis par voie orale, à l’instar de l’Economic Mission Statement du Premier ministre, cela peut créer une énergie positive. Quand des paroles sont transcrites par l’écriture, comme celles prononcées dans une conférence ou un entretien de presse, cela peut générer une énergie négative. Pour un opérateur économique, ce sont tous des signaux, qu’ils soient positifs ou négatifs. L’engagement de sir Anerood Jugnauth sur le front économique a certainement mis du baume au cœur des acteurs de l’économie, d’autant qu’il a montré que « he means business » en tenant rapidement la première réunion de haute instance entre le gouvernement et le secteur privé. Si l’optimisme est revenu dans le monde des affaires, il demeure toutefois fragile. D’ailleurs, certaines déclarations de presse gouvernementales, jugées déplacées, sont susceptibles de causer du tort à la croissance économique. Un chef de gouvernement qui menace d’instaurer l’état d’urgence dans le pays, cela ne se prend pas à la légère. On aurait pu éviter de traiter ainsi un incident qui, pour grave qu’il soit, est resté localisé. Car tout investisseur étranger qui prend au sérieux cette menace ne viendra pas établir une entreprise à Maurice. Un investissement, c’est un risque pris sur plusieurs années, et celui-ci est accru par tout élément d’incertitude politique. La visibilité économique est déjà suffisamment assombrie pour qu’on n’y rajoute pas un brouillard politique. Dans une situation d’état d’urgence, c’est surtout l’industrie qui serait l’activité économique la plus affectée. Comment le secteur manufacturier pourrait-il alors se développer pour augmenter à 25 % sa contribution au produit intérieur brut ? Ce serait impossible sans l’apport d’investisseurs étrangers. Et ne voilà-t-il pas que le ministre du Travail trouve moyen de dire qu’il existe trop de travailleurs étrangers dans le pays, des propos que rejoint le Premier ministre. Notre industrie manufacturière, telle qu’elle est actuellement, arrive à survivre grâce aux travailleurs étrangers. C’est eux qui, par leur productivité, sauvegardent les emplois des Mauriciens. C’est avec plus de main-d’oeuvre étrangère que la manufacture pourra croître. La perception que le pays cherche à se renfermer risque d’effaroucher des investisseurs. Il doit, au contraire, s’ouvrir pour attirer des compétences, seul moyen de diversifier son économie. C’est ainsi qu’on favorise l’emploi. Ce n’est pas en remplaçant des étrangers par des Mauriciens qu’on parviendra à créer 100 000 emplois en l’espace de cinq ans. Fixer un tel objectif quantitatif, qui est impossible à atteindre, c’est déjà admettre que l’économie mauricienne est en état d’urgence. Si c’est une façon de faire rêver les gens pour les aider à affronter la crise, alors il vaut mieux remettre les pieds sur terre. Seuls ceux qui proclament une philosophie du ciel croient dans les miracles. Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Friedrich Nietzsche conjure ses frères de demeurer « fidèles à la terre » et de ne pas croire « ceux qui vous parlent d’espérances supraterrestres ». Mais dans « Ainsi parlait Lutchmeenaraidoo », l’express rapporte que le ministre des Finances espère toujours un miracle économique même s’il se « fiche des chiffres ». Un miracle économique, ça se chiffre. Entre 40 000 et 100 000 nouveaux emplois, il existe une grosse différence. Entre 4,0 % et 5,5 % de croissance, l’écart est sensible. Pour nos analystes économiques et financiers, adeptes de la philosophie de la terre, ils trouvent plus réalistes une création quinquennale de 40 000 emplois et une croissance annuelle de 4,0%. Le pays s’estimerait encore heureux de réaliser cette performance après ce qu’on a lu dans le fameux entretien de presse du Grand argentier. Le gouvernement met une croix sur l’Inde comme principal marché de notre centre offshore parce que ce « paradis fiscal » qu’est l’île Maurice est devenu « une destination de trafiquants » qui « abrite tous les brigands indiens ». De plus, sur le marché africain, « nous volons les pauvres » ! C’est dire que nous vivons un cauchemar mais, rassurons-nous, « le gouvernement vend du rêve ». Tous les ministres des Finances des vingt-cinq dernières années, de tout bord politique, se sont échinés à chasser cette fausse perception de Maurice comme paradis fiscal. C’est un travail de sape qui tombe à l’eau aujourd’hui, avec des répercussions négatives sur l’image de Maurice. Les pertes d’emplois seront beaucoup plus importantes qu’on pourrait le croire, surtout des jeunes diplômés employés dans le secteur offshore. Les prestataires des services financiers et professionnels sont désormais obligés d’être plus efficaces en baissant les coûts. On regarde le secteur offshore de manière négative quand, en fait, il est l’exemple concret de la démocratisation de l’économie mauricienne. Alors qu’il faut posséder des terres et du capital financier pour réussir dans les activités traditionnelles (le sucre, le textile, l’hôtellerie), les services offshore permettent à quiconque ayant seulement les compétences et les relations nécessaires de faire de l’argent. Ils ont ouvert le monde de la finance internationale à toutes les classes sociales jusqu’aux villages retirés du pays. Même les couillons savent que l’histoire n’est pas écrite par des marchands de rêves. Et nul n’est prophète de malheur dans un état d’urgence économique.
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