La concrétisation du chapelet de promesses mirobolantes de l’Alliance du Changement se fait toujours attendre, une année après avoir été aux commandes. Pour l’observateur politique Jocelyn Chan Low, le vrai changement a joué aux abonnés absents. Il égratigne au passage certains au MMM qui agissent plus comme agents que militants ‘coaltar’.
Une cassure évitée de justesse entre le PTr et le MMM. Quelles seraient les vraies raisons, selon vous ?
D’abord, il faut se rappeler que la cohabitation entre ces deux partis a toujours été difficile, tumultueuse, comme l'a démontré l'histoire récente en raison des grandes divergences de cultures politiques et de l'incompatibilité des méthodes de gouvernance entre les deux leaders. D’ailleurs, l’Alliance du Changement a été très longue à se former, Paul Bérenger ne voulant pas au départ se retrouver dans une alliance avec Navin Ramgoolam. Mais les leçons des élections de 2019 où ils sont allés séparément ont contraint les deux à s’unir pour faire partir Pravind Jugnauth et l’Alliance Lepep.
Toutefois très vite, des divergences n’ont pas tardé à surgir. Il faut se rappeler que le Cabinet du nouveau gouvernement lui-même a été très long à se mettre en place, ce qui aurait dû nous avertir de l’âpreté des discussions au sein de l’alliance. Et au cours de sa première conférence de presse, Paul Bérenger a fait comprendre à demi-mot que lors de cet exercice, le MMM n'a pas eu un traitement équitable. Il faut souligner que même si le cadre institutionnel donne plein pouvoir au Premier ministre et que la responsabilité collective doit primer au sein du Cabinet, le leader du MMM avait prévenu au cours de cette conférence de presse que le MMM ne s’est pas transformé en Mouvement Militant Mouton.
En effet, le MMM – tout au moins Paul Bérenger et ceux qui lui sont fidèles – n’entrera jamais dans une relation de vassalité avec le Premier ministre, comme l’ont fait les membres du Muvman Liberater, de la Plateforme Militante ou du parti d’Alan Ganoo avec Pravind Jugnauth. Et les événements récents prouvent qu’au fil des semaines, une énorme fissure s’est installée au sein du gouvernement autour de plusieurs points de discorde – notamment les nominations à des postes stratégiques, la mauvaise performance de certains nominés du PM, la réforme électorale et l’affairisme de certains milieux évoqués mais non divulgués au public.
Le leader du MMM rongeait-il ses freins ?
À cela, il faut ajouter que Paul Bérenger maîtrise parfaitement la stratégie du brinkmanship. Cette stratégie, applicable à la fois en relations internationales et en politique intérieure, fut décrite par le Secrétaire d’État américain John Foster Dulles pendant la guerre froide et théorisée par nul autre que le Prix Nobel de l’économie Thomas Schelling, un des éminents théoriciens de la Game Theory. En gros, la stratégie consiste, dans le cadre de négociations ardues, à manipuler délibérément la crise vers l’escalade au risque d'entraîner un conflit ouvert et dangereux pour les deux protagonistes afin que l’un des deux cède à la dernière minute pour ne pas tomber dans l'abîme.
C’est une véritable guerre des nerfs que se livrent les protagonistes où celui qui n’a pas peur de regarder droit dans l'abîme et de s’y jeter, qui n’a pas peur de prendre des risques, gagne à coup sûr. Comme l’écrivait John Foster Dulles : « If you try to run away from it, if you are scared to go to the brink, you are lost ».
Évidemment, vu le caractère de Bérenger, forgé par des années de lutte sur le terrain et sa capacité à abandonner un fauteuil ministériel par fidélité à ses principes, il est souvent gagnant quand il joue de cette stratégie face à un Navin Ramgoolam plus enclin à jouer la stratégie de wait-and-see, de l’attentisme. On comprend mieux alors pourquoi le on/off a caractérisé les relations entre les deux leaders depuis des années.
Est-ce que la visite d’État d’Emmanuel Macron chez nous a permis d’éteindre le feu entre le PTr et le MMM ?
Recevoir un chef d'État en pleine crise politique est une humiliation pour tout chef de gouvernement, car toute crise politique de cette envergure ne peut que donner à l'international une image négative de sa capacité de leadership. Ce n’est pas nécessairement le cas pour celui qui démissionne sur une question de principe. Certainement, le contexte a joué pour qu’un accord soit conclu avant l’arrivée du président français.
Et si ce n’était que partie remise juste après le départ du Président français de Maurice ?
Seul l’avenir nous le dira. Car ce sera après la visite d’Emmanuel Macron que l’on saura si l’accord conclu entre le Premier ministre et son adjoint sera respecté. Il faut souligner que des rumeurs circulent au sujet d’autres concessions majeures qui ne figurent pas sur la liste officiellement communiquée par Bérenger. Évidemment, ces concessions ne sont à ce stade que des intentions verbales et tout peut changer du jour au lendemain. A day is long in politics. D’ailleurs, le leader des Mauves lui-même a souligné à demi-mot qu’il reste vigilant.
Il y a eu une rencontre de la dernière chance entre les deux leaders avant le Comité Central du MMM lundi dernier qui devait être crucial. Paul Bérenger a déclaré que quelques-unes de ses plus importantes exigences vont être considérées positivement par le chef du gouvernement. Serait-ce vrai ou bluffe-t-il, sachant qu’il aurait pu être mis en minorité au sein de son parti s’il claquait la porte ?
La stratégie de brinkmanship repose sur le bluff. Mais le Dr Navin Ramgoolam a tout intérêt à garder Paul Bérenger au sein du gouvernement. Dans toute cette équation, on a tendance à faire abstraction de l’essentiel : la côte de popularité du gouvernement auprès de la population est à son plus bas. Mais le MSM, en raison des divers scandales du passé, peine à se relever. Paul Bérenger dans l’Opposition – même sans ses ministres qui, d’ailleurs, verront automatiquement leur influence flétrir à la fois au sein de l’électorat et dans le gouvernement – c’est une autre paire de manches !
D’ailleurs, lors du Bureau politique du MMM en plein tourment, le leader aurait été mis en minorité, la plupart des membres ne voulant plus être dans l’Opposition, après y avoir passé 20 ans. Explications ?
À chaque retrait du MMM du gouvernement, que ce soit en 1983, 1993 ou 1997, des ministres et des députés, et non des moindres, ont refusé de suivre Bérenger en sortant les mêmes prétextes : qu’ils avaient été élus pour travailler au sein d’un gouvernement, qu’ils ont à cœur l’intérêt de leurs mandants… C’est toujours la même rengaine. Cela n’a pas pour autant empêché Paul Bérenger de claquer la porte.
Deuxièmement, il est arrivé que ceux qui décident de rester contrôlent le Bureau Politique du parti comme en 1993. Mais le Comité Central, et surtout l’assemblée des délégués qui est l’instance suprême du parti, sont toujours restés loyaux au leader historique du parti. Ce qui fait que ceux qui partent se voient contraints de créer des partis qui finalement deviennent des coquilles vides, sans ancrage dans l’électorat. À l’exception de SAJ. Mais n’est pas SAJ qui veut…
C’est aussi vrai que tous les partis politiques aujourd’hui attirent une foule de roder bout – plus intéressés par l’appât de gains matériels que par l’adhésion aux idéaux du parti, c'est-à-dire des agents plus que des militants. Dans le MMM d’antan que j’ai connu de l’intérieur, être traité d’agent était perçu comme l’ultime insulte. Aujourd’hui, certains au MMM sont plus des agents que des militants, ressemblant davantage aux chatwas du MSM qu’aux militants d’antan. Quitter le pouvoir pour certains serait l’ultime tragédie.
Le MMM était-il sur le point d'être scindé, avec quelques Bérengistes uniquement qui allaient le suivre ?
Toute crise politique a tendance à brouiller les cartes au sein des partis politiques et pas seulement au sein du MMM. On n’a qu’à se référer aux diverses scissions au sein des divers partis dans l’histoire récente. Ce qui importe, c’est l’impact de ces divisions au sein du parti en question. Quelques fois, les scissions sont salutaires : en éliminant les contradictions internes, elles facilitent le renouveau. On connaît la célèbre citation “Break not like porcelain but like waves. After breaking, waves regenerate…”
De folles rumeurs disaient que Paul Bérenger préparait officieusement sa sortie tout en préparant la succession de sa fille Joanna qui, elle, dément tout en bloc. Votre opinion ?
Si l’on analyse la situation politique d’une manière objective, il est du devoir de tout leader d’un parti historique arrivé à l’âge que Bérenger a de songer à la pérennité et à l’avenir du parti. Évidemment, cela implique d’abord tenter d’éliminer les obstacles qui ont fait que même si le MMM a obtenu au cours des différentes élections générales un nombre considérable de votes, il se retrouvait avec un nombre plus réduit de députés au Parlement. D’où cette obsession pour une réforme électorale qui corrigerait les travers du First Past The Post (FPTP).
Il faut ajouter qu’il est rare que les successions dans les partis politiques se fassent sans remous, à l'exception peut-être des partis dynastiques tels le MSM. Et le MMM n’en est certainement pas un. Cela dit, cela ne disqualifie pas pour autant Joanna Bérenger qui, à mon avis d’ancien militant coaltar pendant plus de 25 ans et d’ex-président de la régionale du numéro 17 dans une ancienne vie, détient plus que tout autre au sein du parti toutes les qualités requises pour devenir le leader du MMM.
Qu’on ne se trompe pas : le nom Bérenger est associé au MMM au sein de l’électorat comme Ramgoolam est associé au PTr. C’est un fait politique objectif qu’on ne peut occulter. Et ce patronyme, Joanna le porte avec hargne et fierté. En outre, Joanna Bérenger symbolise la jeunesse engagée, la Gen Z, au moment où à travers le monde la Gen Z se réveille. 2025 a été l’année de la jeunesse et les jeunes veulent du renouveau, pas du réchauffé.
À cela, il faut ajouter la question du genre dans un pays où les femmes constituent plus de 50 % de la population, sont beaucoup plus performantes au niveau académique et professionnel mais restent sous-représentées au niveau des instances décisionnelles du pays.
Et finalement, pour avoir été élue pour un deuxième mandat, Joanna Bérenger est loin d’être une novice en politique. Le Dr Navin Ramgoolam est devenu PM au cours de son deuxième mandat comme député, sans avoir été ministre auparavant. À cela, il faut ajouter que d’autres personnalités émergent qui puisent dans le bassin des Gen Z, nommément Roshi Bhadain qui, de par sa verve, son intelligence et sa personnalité, peut facilement écrabouiller tous ses compétiteurs, comme on l’a vu d’ailleurs dans une émission diffusée sur le net récemment.
Évidemment, ce sont aux militants de base du parti de choisir en temps voulu. Je suis sûr que les militants vont privilégier la fougue et la jeunesse pour l’avenir et le renouveau du parti. Cela n’a rien à faire avec la volonté de Paul Bérenger.
Dans la ‘hit list’ du leader du MMM, l’actuel CP figure en bonne place, parmi d’autres nominés rouges. Pourquoi cet entêtement de sa part, sachant que le CP est proche du PM ? Est-ce pour l’épisode Mamy Ravatomanga et le jet privé et aussi l’accident mortel d’un habitant de Camp Levieux et la relaxe du chauffeur sous l’effet de la drogue et sans permis, informations non-communiquées au DPP ?
On peut ajouter à cette liste d’autres événements, tels que l’arrestation du journaliste Narain Jasodanand, qui ont donné la perception que la force policière est un énorme bazar où des décisions sont prises par tout un chacun alors que la discipline implique le strict respect des chains of command.
Mais ce n’est qu’une perception qui peut être fausse. Ce qui est certain, c’est que la situation de law and order semble se dégrader de jour en jour, le problème de la drogue n’est guère maîtrisé, les ‘zombies’ sont visibles partout, ce qui, bien sûr, donne au public l’impression que la force policière est malade, surtout avec l’arrestation de hauts gradés incluant l’ex-CP dans le sillage du scandale de reward money. Or, l’actuel CP ne communique pas. Quand une institution semble ne pas fonctionner, c'est le responsable qui est généralement visé. Paul Bérenger sait que le public est derrière lui dans cette affaire…
Après la déclaration de Paul Bérenger à ses militants au Plaza, lundi, personne au PTr n’est venu confirmer que les demandes du leader des Mauves allaient être satisfaites…
Si le Dr Navin Ramgoolam a cédé à toutes les demandes de Bérenger, croyez-vous que lui ou ses partisans auraient annoncé de vives voix sur tous les toits sa capitulation, diminuant ainsi publiquement son image et son autorité ?
Lors de cette déclaration au Plaza, la perception voudrait que c’est le MMM et son leader qui sont sortis gagnants en faisant pression sur Navin Ramgoolam. Serait-ce aussi votre lecture ?
Évidemment, c’est le cas. La stratégie de brinkmanship de Bérenger a admirablement fonctionné. Il a entraîné son interlocuteur au bord du précipice et ce dernier a dû faire des concessions à la dernière minute pour ne pas tomber dans l’abîme….
La réforme électorale hante Paul Bérenger depuis des lustres. Est-il resté pour que ce rêve se réalise enfin ?
Si l’on se fie à la déclaration de Bérenger et au fait que la question a été largement débattue au cours de la dernière réunion du cabinet – bien qu’elle ne figure pas sur le compte-rendu de la réunion – la réforme est bien enclenchée. Mais il est vrai que c’est un dossier d’une très grande complexité qui risque de susciter des réactions à relents communaux. C’est sans doute une des raisons majeures pourquoi Bérenger n’a pas démissionné du gouvernement.
Ce faisant, le leader du MMM voudrait-il que son parti ait une certaine pérennité sur l’échiquier politique dans l’avenir et ne pas finir comme un ‘petit parti’ ?
Le MMM est devenu un parti d’appoint, menacé dans ses bastions par des forces extra-parlementaires. En outre, il fait aujourd’hui partie d’un gouvernement devenu extrêmement impopulaire et aura à faire face inévitablement à la question de succession après le départ de son leader historique dans un futur pas si lointain. Il est tout à fait logique que Paul Bérenger tente de modifier un cadre institutionnel qui défavorise fortement le MMM.
Toujours sur le programme électoral, Rezistans ek Alternativ (ReA) aussi se montre impatient quant à certaines de ses demandes dans l’accord de l’Alliance du Changement. Est-ce légitime ?
ReA a pris de gros risques en se joignant à l’Alliance du Changement car le parti représentait la caution en ce qu’il s’agit de réformes sociales en faveur de la classe des travailleurs, du mauricianisme et des changements fondamentaux dans la gouvernance du pays. Mon ami Ashok Subron n’a pas que des amis au sein de la gauche radicale et au sein de la classe syndicale du pays. Si les changements structurels importants tardent à venir, ReA sera le premier partenaire de l’Alliance du Changement à être totalement décrédibilisé. Surtout que le parti a été contraint de défendre la réforme de la pension de vieillesse contestée par l’ensemble de la classe syndicale du pays.
Et si Navin Ramgoolam les menait tous en bateau, sachant qu’une réforme avec une dose de proportionnelle ne serait pas en faveur de son parti ?
Les Marxistes vous diront que le PTr et le MSM sont les deux visages d’une même bourgeoisie d’État prédatrice qui se sent confortée par le First past the post, surtout si l’on maintient le découpage actuel des circonscriptions. L’analyse des partis ne peut pas se résumer à l’analyse des personnalités qui en sont les dirigeants, mais doit aussi inclure les intérêts qui sont derrière le parti. Cela dit, la roue tourne vite en politique. Avec une bonne dose de proportionnelle, le MSM avec ses 27% de l’électorat ne serait pas réduit aujourd’hui à un seul député, ni le PTr à quelques rares députés en 1991.
Avec une bonne majorité de 35 élus, en sus des quatre députés de Rodrigues, le PTr peut diriger seul jusqu’à la fin de son mandat. Serait-ce une éventualité ?
Bien sûr. Et c’est pour cela que le PTr avait exigé autant de candidatures pendant les discussions autour de la concrétisation de l’Alliance du Changement. Mais il perdrait de sa légitimité populaire à un moment où le gouvernement fait déjà face à la grogne populaire en raison de sa politique d’austérité. Ce serait le chemin le plus court vers l’instabilité.
Il y a une aile au sein des Rouges qui souhaitait ardemment le départ du MMM, surtout de son leader, du gouvernement afin de libérer la place. Elle est restée sur sa faim, paraît-il...
C’est toujours le cas quand il y a des crises au sein du gouvernement. Harish Boodhoo a révélé qu’en 1983, il y avait des personnes qui poussaient au départ des ministres du MMM, simplement pour prendre leur place au gouvernement. Malheureusement pour beaucoup, la politique se résume surtout à avancer leur carrière personnelle.
Selon vous, le casting au niveau du Cabinet est-il bien fait ou faudrait-il un léger remaniement ministériel pour booster les actions du gouvernement ?
Le casting est ce qu’il est, le changer maintenant alimenterait une autre crise.
Un an déjà que le gouvernement est aux affaires et des observateurs avancent que, s’il y a eu quelques développements, tout reste à faire. Serait-ce votre avis aussi ?
De l’avis de beaucoup au sein de la population, le vrai changement n’a pas été au rendez-vous au cours de l’année écoulée. Les réformes avancent à pas de tortue ou pire, comme une tortue sur un poteau. De ce fait, toute cassure serait fatale au gouvernement, mais si l’accord conclu entre le PM et Bérenger est respecté, on pourrait s’attendre alors à une redynamisation de l’action gouvernementale.
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