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Aisha Allee, fondatrice et Chairperson de Blast Burson, affirme qu’il est essentiel d’établir un cadre juridique solide et une veille efficace dans un monde numérique en constante évolution. Cela aidera à éviter les dérives éthiques et les violations de la vie privée. Dans cet entretien, elle discute également des enjeux de la communication d’entreprise et politique.
Une nouvelle année vient de commencer. Quelles sont les tendances de communication qui se dessinent en 2025 ?
Une étude globale sur l’efficacité de la communication a été mandatée par la Public Relations and Communication Association. Le constat est préoccupant : 90% des CEO interrogés dans le monde expriment un manque de confiance dans leurs stratégies de communication actuelles !
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Cette situation s’explique, bien souvent, par le fait que nous ne mesurons pas avec précision l’efficacité de nos campagnes. Nous avons tendance à privilégier l’aspect esthétique de la communication au détriment de l’essentiel. Les indicateurs de performance ne sont certainement pas uniquement quantitatifs, mais aussi qualitatifs. Nous ne nous appuyons pas suffisamment sur des études fiables et nous nous contentons des « vanity metrics », tels que le nombre de couvertures dans les médias ou les ‘Likes’ sur les réseaux sociaux. Or, mesurons-nous réellement l’impact sur la réputation ? Comment s’assurer que, au-delà des Likes ou d’emojis sympas, l’image de l’entreprise ait été perçue positivement par ses diverses parties prenantes ? D’où l’importance des « data analytics » pour bien mieux cerner l’évolution des publics-cibles.
Le deuxième aspect crucial concerne le rôle même du communicant, qui doit aider à l’élaboration des politiques publiques et privées et la prise de décision. Dans « relations publiques », nous avons deux mots clés : « relations » qui veut dire bâtir des liens authentiques avec des personnes que nous côtoyons et « publiques », qui va au-delà du cadre de l’entreprise. Les communicants doivent ainsi comprendre et maîtriser, non seulement, l’aspect business, mais aussi les différents impacts que peuvent avoir les évolutions sociétales, politiques et économiques sur l’entreprise, avant de conseiller le dirigeant.
On parle de plus en plus d’une communication omnicanale, qui favorise une stratégie englobant les différents canaux de communication disponibles : réseaux sociaux, applications mobiles, emails… Est-ce l’avenir ?
En effet, l’approche 360˚ est largement adoptée face aux nouveaux enjeux de la communication. En termes de supports, la consommation de l’information et du divertissement privilégie l’image et le son, que ce soit via WhatsApp, les vlogs ou les réseaux sociaux. Cependant, les outils traditionnels ont gardé leur place, telles les newsletters dont je suis fan.
Au-delà des plateformes, le véritable enjeu consiste à instaurer un engagement authentique, notamment en proposant un contenu réfléchi et centré sur l’audience, capable de transmettre les valeurs de la marque tout en générant un impact mesurable.
Au niveau de la communication, les leaders jouent un rôle clé. Qu’en pensez-vous ?
Une communication efficace découle souvent de la vision claire et des valeurs sûres d’un leader qui est constant dans ses actions. Les communications les plus percutantes viennent de ces organisations ou dirigeants déterminés à avoir un impact positif. Prenons pour exemple Jessica Ardern, l’ancienne Première ministre de la Nouvelle Zélande (2017-2023), qui s’est distinguée par sa gestion empathique des crises durant son mandat. Elle a excellé dans sa communication car ses actions émanaient d’une véritable mission : avoir un leadership à la fois humain et tranchant. Nous avons vu sa position sur le port d’armes ou encore la lutte contre la violence domestique. Pour moi, une communication efficace vient en support à une décision ou une prise de position juste et équitable.
Dans un contexte de crise permanente appelée « permacrisis », le concept de « sense-making » devient crucial. La mission des communicants est d’aider les dirigeants à anticiper et à donner du sens aux changements ou à leurs décisions, en équilibrant information et communication. Au-delà du storytelling, ils doivent insuffler une énergie nouvelle, créer de l’engagement et cultiver l’empathie à travers une communication aussi bien formelle qu’informelle.
Comment mesurez-vous l’efficacité des campagnes sur les réseaux sociaux ?
Les fameux « vanity metrics », longtemps chéris par les communicants à travers l’Advertising Value Equivalence (AVE), ne reflètent pas la valeur de la communication. D’ailleurs, les principes de Barcelone 3.0 qui régissent l’évaluation des campagnes de communication, online et offline, mettent en lumière l’importance de jauger l’efficacité des campagnes sur une base qualitative et inclure des parties prenantes telles que les employés. Notre département d’Intelligence Media analyse en permanence le « sentiment » sur les réseaux sociaux et le taux d’engagement tout en faisant attention à cette masse silencieuse qui adore le voyeurisme mais qui ne commente pas. Cependant, ce que nous constatons est que les Mauriciens s’expriment de plus en plus ouvertement sur les réseaux sociaux et ils n’y vont pas de main morte… Les études traditionnelles couplées à du « sentiment analysis » nous donnent une idée précise de la réputation des leaders, des marques ou des entreprises.
La communication responsable et durable gagne aussi en importance. Expliquez-nous ce concept.
Au départ, il y avait la Corporate Social Responsibility (CSR). Puis, nous avons eu le cadre Environmental, Social and Governance (ESG) pour évaluer les pratiques commerciales et les performances d’une organisation en matière de durabilité et d’éthique. Aujourd’hui, les organisations ont rajouté le concept de Diversity, Equity and Inclusion (DEI), renforcé par les mouvements tels que #MeToo et Black Lives Matter.
Cependant, il est regrettable aujourd’hui de constater de plus en plus de « greenwashing » et de « social washing », et les communicants sont en partie responsables. Bien souvent, la forme et le branding prennent le pas sur le fond. Ou encore, nous craignons de questionner nos leaders sur leur gouvernance, le choix de leurs cadres, leurs ‘board members’, le choix de leur budget sponsoring ou encore le simple choix de leurs fournisseurs.
La constance des actions est cruciale. Nous ne pouvons être efficaces en communication sans joindre le geste à la parole. Les leaders avisés s’entourent de professionnels de la communication qui comprennent leur secteur et qui leur diront ce qu’ils ont BESOIN de savoir et NON ce qu’ils ont ENVIE d’entendre. Cela exige de l’humilité des deux côtés.
Enfin, une communication responsable se mesure aussi en période de crises. Je prends l’exemple d’un accident où il y a des blessés, voire pire. Bien souvent, la peur de répercussions légales poussera les dirigeants au silence. Cependant, sans engager sa responsabilité, il est impérieux de faire preuve d’empathie envers les victimes et leurs familles. L’humanité, pour moi, ne devrait jamais être une option et ce, dans n’importe quelle situation.
L’intelligence artificielle a transformé la communication. Où en est-on avec cette transition à Maurice ?
L’IA est partout : dans le secteur de la santé et de l’énergie, entre autres. La communication n’est pas en reste. Aujourd’hui, la traduction des textes, le montage vidéo, le design, le webscraping, le data analytics sont grandement facilités par l’IA. Mais attention, l’humain est toujours indispensable. Prenons l’exemple de ChatGPT : avec un mauvais prompt, nous aurons inéluctablement un mauvais résultat – « garbage in », « garbage out ». Certes, des logiciels arrivent à nous générer rapidement des pistes intéressantes, mais la créativité sera l’apanage de l’Homme.
Vous avez déclaré qu’il était urgent d’avoir un cadre légal sur les nouvelles technologies. Que recommandez-vous exactement ? Et pourquoi une telle nécessité ?
Dans un paysage numérique en perpétuelle évolution, il est essentiel de mettre en place un cadre juridique solide pour les nouvelles technologies afin de protéger les consommateurs, garantir des pratiques éthiques et préserver une concurrence loyale, d’assurer la confidentialité des données et d’établir des normes précises en matière de cybersécurité. En l’absence d’une réglementation adéquate, nous nous exposons à des dérives éthiques, à des violations de la vie privée et à des failles de sécurité susceptibles de compromettre la confiance à l’ère numérique.
Compte tenu de la popularité des influenceurs, certaines marques font de plus en plus appel à eux pour leur stratégie de marketing et leur campagne de communication. Comment les agences de communication s’adaptent-elles à cette nouvelle réalité ?
Les agences de communication ont évolué bien au-delà du simple rôle d’intermédiaire entre les marques et les influenceurs. Elles sont désormais de véritables partenaires stratégiques, garantissant des collaborations authentiques, une création de contenu pertinente et un impact tangible sur la performance des entreprises.
Les influenceurs ont aujourd’hui un pouvoir indéniable. Certains sont même invités lors des conférences de presse à la Maison Blanche ! Ceux comme Lena Situations ou Avani Gregg sont aux premières loges lors des défilés de grands couturiers. À Maurice, j’aime beaucoup Yanesh Seambur et Yasminabhai Vallijee, que je trouve très sympathiques, authentiques et qui ont un contenu qui parle à leurs cibles. Cela dit, les attentes doivent être bien comprises de part et d’autre. Quand un influenceur a un contrat en bonne et due forme, et est payé pour un contenu, il faut qu’il remplisse son contrat.
Nous avons aussi le phénomène des « deinfluencers » qui prend de l’ampleur. Par exemple, ceux qui dénoncent la surconsommation, désormais perçue comme l’ennemie du mouvement #deinfluencergang. Ce phénomène survient aussi à l’ère du « slow fashion », où les hashtags #saveyourmoney ou #consciousconsumer figurent parmi les plus utilisés dans les publications.
Une vidéo de l’influenceur Nas Daily sur Maurice a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux récemment. Quelles leçons peut-on tirer de cet « incident » ?
Cette réaction témoigne du profond attachement des Mauriciens à leur identité nationale. Si notre héritage migratoire fait partie de notre histoire, nous avons su, au fil du temps, forger une société unique où le « mauriciannisme » dépasse les origines ancestrales. Aujourd’hui, les Mauriciens ne sont plus des immigrants, mais les gardiens d’une réussite exemplaire en matière d’intégration, où la diversité culturelle a donné naissance à une identité singulièrement mauricienne.
Cette situation souligne l’importance du contexte lorsque des influenceurs internationaux racontent notre histoire. Si l’interprétation de Nas Daily n’était pas fondamentalement erronée, elle a néanmoins omis un élément essentiel : l’évolution d’un peuple aux origines migratoires vers une identité nationale affirmée.
Les Mauriciens postent de plus en plus de vidéos montrant des faits divers ou encore la dégradation des mœurs. Les exemples ne manquent pas : les accidents de la route, la récente bagarre à la gare du Nord, les jeunes sous l’effet de la drogue synthétique, deux mineurs qui s’adonnent à des actes sexuels à la gare de Curepipe, entre autres. Idem pour les réseaux sociaux qui ont ouvert une vanne où certaines personnes se donnent en spectacle, avec ou des fois sans leur consentement. Est-ce qu’aujourd’hui on peut tout poster sur les réseaux ?
Aujourd’hui, avec l’essor des réseaux sociaux, chacun dispose d’outils en direct et d’une audience immédiate pour signaler les dysfonctionnements de la société. Des problèmes d’ordre éthique se présentent alors, d’où l’importance d’avoir un cadre légal approprié. À titre d’exemple, il existe des cadres juridiques implémentés par d’autres pays tels que :
- La loi sur l’IA de l’Union européenne
- Les réglementations sectorielles et émergentes en matière d’IA aux États-Unis
- Les principes de l’OCDE en matière d’IA
- Les principes de l’UNESCO en matière d’IA
- La stratégie du Royaume-Uni en matière d’IA et de cadre d’éthique des données
Maurice a la possibilité de modifier son système juridique pour l’adapter à ses propres priorités et aux circonstances locales. Par exemple, la flexibilité des modèles américain et britannique, fondée sur des principes, peut être combinée à une stratégie fondée sur les risques, comme la loi européenne sur l’IA. En outre, l’intégration des critères éthiques de l’OCDE et de l’UNESCO garantirait que les technologies de l’IA sont créées et mises en œuvre dans le respect de l’équité, de la confidentialité des données et des droits de l’homme. Outre la protection des entreprises et des individus, cette stratégie combinée permettrait à Maurice de se conformer aux normes internationales, ce qui favoriserait les investissements étrangers dans les technologies de l’IA et le commerce.
Face à la prolifération de ces vidéos, il y a une certaine inquiétude concernant une forme d’empiètement sur la vie privée. Comment définir une ligne de démarcation ?
Le débat sur la vie privée à l’ère du numérique ne se limite pas à ce que nous avons le droit de filmer ou pas, mais soulève une question cruciale : que devons-nous réellement partager ? Si les espaces publics constituent généralement un terrain libre pour la création de contenu, le respect de la vie privée des individus doit demeurer une priorité absolue. En d’autres termes, ce n’est pas parce que nous pouvons diffuser une information que nous devons nécessairement le faire. La frontière entre l’intérêt public et la sphère privée repose souvent sur le bon sens et un respect élémentaire de la dignité humaine.
À Maurice, nous recensons aujourd’hui plus d’un million de téléphones portables. Ainsi, chacun d’entre nous est un créateur de contenu potentiel. Les leaders sont ainsi constamment surveillés et les risques ne viennent plus seulement des médias traditionnels, mais aussi des ‘citizen journalists’ armés de leurs téléphones. Les fake news et autres vidéos diffamatoires font désormais partie de notre quotidien, d’où l’importance d’un cadre légal adapté, d’une veille efficace et de bons communicants.
La politique est aussi très commentée sur les réseaux sociaux. Pendant la période électorale, on a assisté à un « bain de sang » virtuel. La communication politique est-elle plus compliquée à gérer que celle liée à une entreprise, par exemple ?
La différence entre la communication politique et la communication d’entreprise sur les réseaux sociaux ne réside pas dans leur complexité, mais dans leur dynamique. Alors que les entreprises peuvent se permettre d’élaborer des réponses soigneusement réfléchies, la communication politique exige des réactions instantanées dans un climat souvent chargé d’émotions. Les messages politiques deviennent fréquemment un « champ de bataille virtuel », car ils touchent à des convictions profondes et à des valeurs personnelles. Contrairement aux entreprises, qui s’adressent à des parties prenantes bien définies, la communication politique doit résonner auprès d’audiences variées, parfois opposées, tout en gérant des tensions accrues.
À Maurice, Joanna Bérenger et Shakeel Mohamed se distinguent par leur maîtrise des réseaux sociaux. Par ailleurs, Osman Mahomed, Reza Uteem et Fabrice David adoptent une approche factuelle, mettant en avant leurs actions de manière concrète, illustrant ainsi parfaitement l’adage « parler et agir en conséquence » plutôt que de se limiter à des promesses.
Parlons politique. À quel point les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans le scrutin final ?
Les réseaux sociaux ont joué un rôle important en amplifiant les messages de manière exponentielle. Cependant, n’oublions pas que le Mauricien a toujours privilégié le vote « sanction » plutôt que « d’adhésion ». À mon sens, les actions gouvernementales d’alors étaient déjà vivement décriées, et les réseaux n’ont fait que leur donner un écho plus large. Cela s’est accentué après la tentative de couper les réseaux le 31 octobre dernier, où la parole de nos concitoyens s’est libérée. Les Moustass Leaks n’ont fait que de donner le coup de grâce.
Tous les politiciens à travers le monde savent qu’ils sont scrutés : ils peuvent être une star aujourd’hui et demain un paria. Il nous faut aussi être vigilants face au phénomène de désinformation qu’il s’agisse d’informations erronées diffusées intentionnellement ou de faits inexacts relayés par mégarde.
Parlons de Blast qui a fêté ses 20 ans l’an dernier. Quels sont les projets de la compagnie dans les courts, moyens et longs termes ?
Chez Blast, nous ambitionnons d’être un carrefour d’expertise, de créativité et d’excellence, tant au niveau des stratégies que nous concevons, que du service clientèle et des valeurs d’intégrité qui nous animent. Nous continuerons à investir dans les technologies et la formation de nos collaborateurs dans les différents territoires où nous opérons afin d’être plus percutants dans nos prestations. Quand on gère la réputation des entreprises, d’individus et des marques, on n’a pas droit à l’erreur.
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