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Achat de matériaux médicaux sans passer par le procurement : un mauvais signe, selon les experts

Le chairman de la STC plaide pour un nouveau mécanisme transparent visant à éviter le gaspillage.
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L’hôtel du gouvernement est d’avis que l’exemption de passer par le ministère de la Santé pour l’achat de matériaux médicaux aura pour effet d’accélérer les choses. Mais les experts ne partagent pas le même avis. Ils pointent du doigt cette pratique.

Les Public Procurement (Amendment No. 3) Regulations 2022 seront promulguées pour modifier la première annexe des Public Procurement Regulations 2008, relatives aux « Organisations exemptées ». Cela, afin d’exempter le ministère de la Santé du champ d’application de la Public Procurement Act, pour l’achat de fournitures médicales dans le cadre d’un accord d’achat groupé avec une organisation régionale ou un organisme international dont Maurice est membre. C’est ce qu’a décidé le Conseil des ministres le vendredi 4 novembre dernier.

L'avocat Penny Hack estime qu’il y aura moins de surveillance.
L'avocat Penny Hack estime qu’il y aura moins de surveillance.

Cette décision est perçue comme un mauvais signal, selon les experts. Surtout, compte tenu des antécédents en matière de bonne gouvernance, notamment lors de la période de confinement. L’avocat Penny Hack soutient que « normalement, le ‘procurement’ est comme un chien de garde contre les abus ». « Mais on a vu que pendant la Covid-19, ce n’était pas le cas. Mais maintenant, avec l’exemption de la Public Procurement Act pour le ministère de la Santé, on n’est pas en train de respecter le protocole établi et c’est très mauvais », dit-il. « Il se peut qu’il y ait une meilleure offre chez un autre fournisseur. Mais le gouvernement en a décidé autrement. Cela est au détriment de la pratique de bonne gouvernance. »

« Adding insult to injury  »

Selon lui, « cela va ouvrir la porte à plus de corruption ». « Nous sommes déjà dans une situation où les instances publiques n’inspirent pas confiance. Elles doivent être sous constante surveillance. Or, en amendant la première annexe de la Public Procurement Act, il y aura moins de surveillance. On sait tous qu’il y a eu des abus lors du confinement pendant la pandémie de Covid-19. Même le décès de l’agent du Mouvement socialiste militant (MSM), Soopramanien Kistnen, est lié à l’octroi de contrats. Du coup, le fait que le gouvernement décide de venir avec ces amendements, c’est ‘adding insult to injury’ », soutient-il.

Pour Rajen Bablee, cette décision interpelle.
Pour Rajen Bablee, cette décision interpelle.

Penny Hack souligne qu’il y a une différence entre l’Emergency Procurement et ce que le gouvernement propose. « Il faut savoir qu’une urgence est une urgence. Si demain il y a une épidémie et que le pays a besoin de médicaments le plus vite possible, alors il n’est pas possible de lancer un exercice d’appel d’offres comme il se doit. Car il est question de sauver des vies sans délai et de sécurité nationale. On passe ainsi par l’Emergency Procurement », explique-t-il. L’avocat  précise que l’achat de vaccins contre la grippe saisonnière n’est pas une urgence.

Crise de confiance vis-à-vis des institutions

L’homme de loi soutient que, même sous l’Emergency Procurement, il y a eu des maldonnes. « On est pour laisser une certaine discrétion au gouvernement. On devrait faire confiance aux autorités. Mais depuis la Covid-19, les gens ne croient plus dans les institutions, car ceux à la tête se sont mal comportés. Ainsi, on est dans une impasse. On devrait faire confiance, mais à cause des maldonnes, on a du mal à le faire. Le système est en faillite en raison de certaines instances publiques », estime-t-il.

Selon lui, promulguer des lois plus sévères ne va rien changer. « Si un employé dans un corps public est corrompu, alors cela ne va rien changer. Il faut revoir le système de nomination. Le problème est profond. Il faut faire un grand nettoyage. Il faut que les gens soient nommés selon leur mérite », avance-t-il.

Aucun renseignement sur les groupes

Le directeur exécutif de Transparency Mauritius, Rajen Bablee, est d’avis que cette décision du Conseil des ministres interpelle « à plus d’un titre ». Il rappelle que le ministère de la Santé avait été secoué par des scandales concernant l’acquisition d’équipements médicaux et de médicaments sous le couvert de l’urgence durant la pandémie de Covid-19. « Des enquêtes sont en cours sur plusieurs transactions. Il a été question de contrats alloués aux copains ou autres proches du pouvoir. Il est évident que tout ce qui touche à la Santé est primordial pour la population, tout comme il est inconcevable que les règles de transparence et de bonne gouvernance ne soient pas appliquées. »

Il avance que la décision d’inclure le ministère de la Santé comme une « exempt organisation » interpelle et demande à être motivée et expliquée dans les moindres détails. « Valeur du jour, on n’a pas de renseignement à travers quelles organisations régionales et internationales le ministère de la Santé va passer sa commande. Du coup, il est plus que jamais important que la population sache qui sont ces groupes », fait-il ressortir.

Les raisons de cette décision

Mais à l’hôtel du gouvernement, c’est un autre son de cloche. On indique que c’est pour faciliter les acquisitions de matériaux médicaux que le gouvernement a décidé de proposer ces amendements. « On a vu à plusieurs reprises dans le passé que l’achat de matériaux médicaux prend trop de temps. Même quand on passe par l’Emergency Procurement, des fois cela tarde. Ainsi, on a décidé de proposer une voie plus rapide. Néanmoins, on veillera à ce qu’il n’y ait pas de magouilles », avance-t-on dans les milieux concernés.

Des faiblesses dans la passation de marchés par entente directe 

En décembre 2020, l’Independent Commission Against Corruption (Icac) est venue avec une ligne directrice pour les organismes publics. La commission anticorruption a fait comprendre que la passation de marchés par entente directe nécessite un examen minutieux, car cela peut avoir un impact considérable sur la gestion et les opérations des organismes publics. Les faiblesses du système et des procédures de passation de marchés par entente directe peuvent ouvrir la voie à des risques de corruption, de favoritisme et de collusion avec les fournisseurs, entre autres. Cela peut avoir des conséquences dommageables qui peuvent porter gravement atteinte à la crédibilité, à l’image et à l’intégrité des organismes publics.

Le processus d’achat direct de biens ou de services, dans le cadre d’un contrat formel ou non, passe par trois étapes clés. Tout d’abord, on doit évaluer les besoins en matière de biens ou de services à acquérir. Ensuite, on doit déterminer qui sera le meilleur fournisseur de ces biens ou services. Enfin, la troisième étape consiste à s’assurer que les biens ou services soient livrés conformément aux conditions et aux spécifications convenues.

En raison de certaines lacunes concernant le cadre des marchés publics directs, certains officiers peuvent être tentés d’abuser des systèmes et des procédures à des fins personnelles. Dans certains cas, la grande discrétion accordée aux agents publics lors de la passation de marchés par entente directe peut les encourager à se livrer à des pratiques de corruption.

Un plan d’achat bien défini contribue à la mise en place d’un processus d’achat économique, efficace et efficient et permet de suivre et de gérer correctement les progrès réalisés. La section des achats doit planifier en amont. Le plan sert de base à la préparation du budget des achats.

Dans le même ordre d’idées, les organismes publics ne doivent pas se concentrer uniquement sur les systèmes, mais aussi sur les personnes lorsqu’ils luttent contre la corruption. Les bonnes attitudes et valeurs du personnel sont un élément important pour prévenir la corruption ou sa perception. La direction des organismes publics doit également être proactive. Elle doit continuellement mettre l’accent sur la transparence, la responsabilité, la probité et l’optimisation des ressources dans les marchés publics, faire preuve de vigilance et mener des exercices d’évaluation des risques pour mieux lutter contre la corruption.

 

 

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