Le 7 octobre 2025, lors du Prime Minister’s Question Time (PMQT), Navin Ramgoolam a annoncé une réforme majeure : la disparition prochaine des accusations provisoires. Selon lui, l’Attorney General, Gavin Glover, travaille à l’élaboration d’un projet de loi visant à mettre en place la Constitutional Review Commission. Ce dispositif judiciaire, encore controversé, suscite déjà de vives réactions. Me Rubesh Doomun et l’ancien Attorney General Yatin Varma livrent leurs analyses, partageant leurs perspectives sur les implications de cette réforme pour le système judiciaire mauricien.
L’origine expliquée par Me Rubesh Doomun…
L’accusation provisoire à Maurice est une procédure qui remonte à l’époque coloniale britannique, issue initialement d’une ordonnance abrogée de 1852. Elle joue un rôle fondamental en permettant de présenter une personne devant le tribunal, même lorsque les preuves formelles sont insuffisantes.
Historiquement, lorsque la police disposait d’un « reasonable suspicion » mais manquait de preuves pour formuler une accusation officielle, elle devait néanmoins trouver un moyen de traduire la personne devant un magistrat afin d’obtenir soit une ordonnance de détention provisoire, soit le maintien de l’enquête ouverte.
Cependant, ni la législation ni la Constitution ne définissent précisément le concept d’« accusation provisoire ». En réalité, cette procédure n’a jamais été instaurée par un texte de loi à Maurice ; elle est née d’une pratique policière et judiciaire mise en place pour des raisons pratiques, et non en vertu d’une disposition légale.
Cette pratique a progressivement émergé à partir des procédures policières et magistérielles de l’époque coloniale, influencées à la fois par les systèmes britannique et français. Au fil des décennies, elle s’est institutionnalisée : la police dépose une accusation provisoire devant un magistrat, la personne est ensuite traduite devant le tribunal, puis soit placée en détention provisoire, soit libérée sous caution.
Ainsi, malgré l’absence de fondement législatif, l’accusation provisoire est restée solidement ancrée dans le système judiciaire mauricien.
Me Doomun : « Un régime mixte avec des solutions procédurales strictes »
Selon Me Rubesh Doomun, l’accusation provisoire à Maurice est une procédure atypique. Il cite plusieurs pays où ce système fonctionne différemment. Pour lui, si cette pratique venait à être abolie, « il faudrait adopter un régime mixte, accompagné de réformes procédurales strictes afin d’éviter que nos tribunaux ne bafouent la justice au lieu de la rendre », en référence à l’affaire Manraj v Icac.
Ce que font les autres pays...
Me Doomun réitère que dans de nombreux pays, des mécanismes de détention provisoire ou d’arrestation avant la mise en examen existent, mais ils sont rigoureusement encadrés par la loi et soumis à des délais stricts, ce qui diffère de la pratique à Maurice.
D'autres pays disposent-ils de ce système ?
Me Rubesh Doomun souligne que la pratique de l’accusation provisoire telle qu’elle est appliquée à Maurice est atypique et, selon plusieurs analyses, quasi unique. Elle perdure comme une procédure à la fois judiciaire et policière.
Il explique que, dans de nombreux pays, il existe des mécanismes de détention provisoire ou d’« arrestation précharge », mais ceux-ci sont généralement encadrés par des délais stricts et des contrôles judiciaires rigoureux, ce qui contraste avec la pratique mauricienne.
À Maurice, rappelle-t-il, il est essentiel de comprendre les droits légaux et constitutionnels qui s’appliquent en matière d’arrestation. Il se réfère notamment à l’article 5(1) de la Constitution, qui dispose : « No person shall be deprived of his personal liberty save as may be authorised by law. » Les articles 5(2) et 5(3)(b) ajoutent que toute personne arrêtée ou détenue doit être informée dès que possible des raisons de son arrestation ou de sa détention, et être présentée devant un tribunal.
Me Doomun précise que les pouvoirs d’arrestation de la police découlent de l’article 13F du Police Act, qui stipule qu’un policier peut arrêter une personne s’il a des raisons de soupçonner que celle-ci a commis ou est sur le point de commettre une infraction mettant en danger la sécurité publique ou l’ordre public.
« Selon les dispositions de notre loi, une personne arrêtée par la police doit être traduite devant un tribunal dans les 48 heures », souligne Me Doomun. Les garanties prévues par la loi sont, en pratique, respectées par le dépôt d’une ‘provisional information’.
« Aucune accusation provisoire ne peut être maintenue si elle ne respecte pas les exigences légales. La première condition est que la police démontre que les soupçons ayant motivé l’arrestation étaient raisonnables », précise l’homme de loi.

L’ancien Attorney General Yatin Varma : « Cela doit être vu comme une modernisation indispensable »

L’ancien Attorney General Yatin Varma, ne mâche pas ses mots. À ses yeux, la fin de l’accusation provisoire ne représente en rien un affaiblissement du système judiciaire. Bien au contraire, il y voit « une modernisation indispensable, où la justice s’exerce avec rigueur, sous contrôle judiciaire, et dans le respect de la dignité humaine ». Dans cette optique, il plaide pour la mise en place d’un mécanisme de contrôle judiciaire clair et encadré.
Selon Me Yatin Varma, l’accusation provisoire est une aberration juridique, un vestige d’un système archaïque, sans base légale claire. « En pratique, elle viole la présomption d’innocence et transforme souvent un outil procédural en instrument d’intimidation. Dans plusieurs cas, des personnes ont passé des semaines, voire des mois, en détention avant qu’aucune accusation formelle ne soit soutenue. Ce système n’a pas sa place dans un État de droit moderne », souligne-t-il.
Par quoi ce système devrait-il être remplacé ?
Pour l’ancien Attorney General, la suppression doit s’accompagner de la mise en place d’un mécanisme de mise en accusation directe, uniquement après qu’une enquête complète a été menée et que le dossier a été examiné par le Directeur des poursuites publiques (DPP).
Il propose que l’accusation provisoire soit remplacée par un mécanisme clair et encadré de contrôle judiciaire. « Lorsqu’une personne fait l’objet d’une enquête, elle ne doit pas non plus pouvoir échapper à la justice. Un système de contrôle judiciaire, sous supervision du magistrat, permettrait d’assurer un juste équilibre : la personne reste libre pendant l’enquête, mais est tenue à certaines obligations, comme la remise du passeport, garantissant ainsi qu’elle ne s’absente pas du pays », soutient Me Varma.
Tout en ajoutant que ce modèle existe dans plusieurs juridictions modernes et protège à la fois la liberté individuelle et l’efficacité des enquêtes. C’est cette approche équilibrée qu’il faut adopter à Maurice pour moderniser la procédure pénale.
Un tel système, affirme-t-il, alliant enquête complète, supervision du DPP et contrôle judiciaire, garantirait à la fois la protection des droits fondamentaux et l’efficacité des enquêtes criminelles.
Les conséquences de cette réforme
Le hic, évoque l’ancien Attorney General, c’est que pour ceux qui sont déjà sous le régime de l’accusation provisoire, une disposition transitoire claire devra être prévue. Les dossiers où l’enquête est terminée devront être immédiatement soumis au DPP, tandis que ceux où les éléments sont insuffisants devraient être abandonnés, avec l’autorisation du DPP.
« La disparition de l’accusation provisoire n’annulera pas automatiquement les affaires existantes, mais elle imposera au bureau du DPP et à la police de revoir rapidement chaque dossier », précise-t-il.
Selon Me Varma, le magistrat pourrait alors exercer un rôle de contrôle, en s’assurant que chaque dossier soit traité équitablement et que nul ne soit maintenu dans l’incertitude au-delà d’un délai raisonnable.
Cette réforme, soutient-il, permettrait ainsi de désengorger les tribunaux, tout en restaurant la confiance du public dans la justice.
En définitive, conclut Me Varma, « la disparition de l’accusation provisoire ne doit pas être vue comme un affaiblissement du système, mais comme une modernisation indispensable », où « la justice agit avec rigueur, sous contrôle judiciaire, et dans le respect de la dignité humaine ».

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