Il n’existe aucun accompagnement thérapeutique et psychologique pour les mineurs auteurs de violence sexuelle. Raison pour laquelle l’Ong Pédostop a jugé important que des psychologues et thérapeutes reçoivent une formation à cet effet. Celle-ci leur a été dispensée par le Dr Samuel Lemitre, du 4 au 6 avril, à l’hôtel Veranda, à Grand-Baie.
Il s’agit d’une première à Maurice. Une trentaine de psychologues et de thérapeutes des secteurs public et privé ont reçu, pendant trois jours, une formation sur l’accompagnement thérapeutique et psychologique des mineurs auteurs de violence sexuelle. Cette initiative est signée l’organisation non gouvernementale (Ong) Pédostop qui a compris l’urgence d’une telle démarche. Car, actuellement, il n’y a aucun accompagnement thérapeutique et encore moins social pour ces jeunes, tant au Rehabilitation Youth Centre (RYC) qu’au Correctional Youth Centre (CYC).
La formation, qui s’est tenue à l’hôtel Veranda, à Grand-Baie – partenaire de ce projet aux côtés de la HSBC –, a été dispensée par Samuel Lemitre, docteur en psychologie et psychothérapeute. Ce dernier estime qu’il est important de modifier les représentations sociales, notamment celles des professionnels, sur la problématique des mineurs auteurs de violence sexuelle, car il y a une méconnaissance de ce sujet. « C’est le cas même en France, car certains professionnels orientent leurs patients vers moi, vu qu’ils considèrent que cela ne fait pas partie de leur registre. »
Selon le spécialiste, il est impérieux de fournir aux professionnels les outils adéquats pour qu’ils puissent mieux accompagner les mineurs auteurs de violence sexuelle. « Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas un épiphénomène de l’adolescence. Il s’agit d’un véritable trouble qui s’enracine dans les difficultés développementales précoces. Mais cela peut être remédié si on intervient à temps. »
Protéger l’enfant et la société
Les enjeux, ajoute le Dr Lemitre, sont multiples. Ce qui importe surtout, selon lui, c’est de protéger les enfants des violences qui peuvent être perpétrées par des adolescents qui se prennent souvent, eux-mêmes, pour des enfants. Il est, dit-il, primordial de protéger la société des violences sexuelles et de préserver l’intégrité des victimes. Ainsi, souligne-t-il, si un mineur auteur n’est pas interpellé et accompagné sur les plans éducatif, social et psychologique, il récidivera et fera beaucoup de victimes. « Certains mineurs avec lesquels on a travaillé sont passés à l’acte au moins une vingtaine de fois. Tant qu’on ne voit pas le phénomène, il se perpétue. Plus vite, on formera des équipes pour travailler avec ces enfants, plus vite on repérera leurs comportements dysfonctionnels et ce, dès l’enfance », précise le spécialiste. Pour lui, une intervention précoce réduit la réitération des actes.Perturbations précoces
Suivant son interaction avec les professionnels mauriciens, Samuel Lemitre a constaté que leurs connaissances sont rudimentaires sur le plan technique. « En revanche, ils manifestent un grand intérêt pour le sujet. Ils ont aussi une connaissance profonde des aspects sous-jacents au comportement de l’enfant », souligne le psychothérapeute. Il explique qu’un adolescent qui commettra des violences sexuelles a probablement une histoire traumatique, voire des difficultés d’attachement liées à des perturbations précoces de sa relation avec sa mère et ses parents. « C’est juste une manière de comprendre un phénomène. Les psychologues sont beaucoup plus formés à ce sujet. » Pour le professionnel, un enfant auteur d’agression est souvent quelqu’un de perturbé « qui est à la recherche d’une assurance dans le contact ». Et quand un enfant est perturbé et se sent seul, souligne Samuel Lemitre, il peut avoir tendance, de façon maladroite, à entrer en contact avec les autres. « Cela peut se faire de façon sexuelle. » En revanche, nuance le psychothérapeute, une victime d’abus sexuel ne devient pas nécessairement un agresseur à son tour. « Il y a des caractéristiques propres au sujet. Des études ont démontré que si un enfant est durablement, au cours de son développement, battu, maltraité, disqualifié ou agressé sexuellement et ce, de manière fréquente – notamment lorsque les auteurs sont des proches –, il y a plus de chances qu’il réitère ces actes. » Il y a donc, dit-il, des caractéristiques individuelles qui font que certains deviennent des agresseurs et d’autres pas. « On sait qu’il y a plus de probabilités que les actes se répètent lorsque la violence dure et que les auteurs sont des proches. »Sujet tabou
En 15 ans, avance Samuel Lemitre, un énorme changement s’est opéré en France, où il était aussi tabou de parler de violence sexuelle. « Mais on l’a fait… Les mots créent la civilisation. Ils ne tuent pas. Ce qui tue, c’est de ne pas penser et de ne pas nommer les choses. » Selon lui, les enfants s’attendent à ce que les adultes se comportent de manière responsable, « en mettant des mots sur leur ressenti et leur détresse, au lieu de les enfermer dans le silence, dans le secret qui les empêche de grandir et de développer leur psychisme ».Collaboration future
Si les autorités font appel à lui pour une collaboration future, Samuel Lemitre acceptera-t-il la proposition ? Le psychothérapeute répond qu’il considérera cette offre. Entre-temps, il travaille avec Pédostop. « Les grands projets de société commencent souvent par des initiatives personnelles. Ce que fait Pédostop est formidable. Lutter contre la violence est un moyen de pacifier le mode de vie des citoyens. À notre niveau, sensibiliser l’opinion publique est déjà très important. Former les professionnels est une nécessité. Puis il y a des initiatives plus individuelles pouvant conduire à des changements de société plus importants. »Samuel Lemitre, psychothérapeute
Agé de 42 ans, Samuel Lemitre est docteur en psychologie et psychothérapeute. Il a travaillé pendant plus de dix ans auprès de mineurs auteurs et victimes d’agressions sexuelles. Pas plus tard qu’il y a deux ans, il a créé, à Paris, un centre de soins spécialisé dans le traitement des traumatismes et des violences familiales. Le psychothérapeute a travaillé dans le service du Dr Roland Coutanceau, psychiatre expert en criminologie clinique. Samuel Lemitre a conclu à La Réunion un partenariat avec plusieurs institutions et services de soins : cellule d’urgence médico-psychologique, Centre de ressources pour les professionnels intervenant auprès des auteurs d’agression sexuelle, services associatifs et universitaires. Il intervient notamment dans le cadre du Diplôme universitaire de psychotraumatologie de l’université de La Réunion.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !