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20 mai 1975 : quand les étudiants mauriciens ont changé l’histoire

A la Place Margeot, le 20 mai 1975, Rose-Hill, Pradeep Bheemsingh, debout au centre, s’adresse à d’autres collégiens.

Il y a 50 ans, des milliers d’étudiants mauriciens ont osé défier les autorités pour réclamer une éducation accessible à tous. Leur mouvement contestataire a marqué l’histoire. Un an plus tard, leur lutte portait ses fruits, ouvrant la voie à une scolarisation gratuite pour tous.

Le 20 mai 1975 demeure une date clé dans l’histoire de l’éducation mauricienne. Ce jour-là, quelque 20 000 jeunes ont osé faire entendre leur voix en dénonçant les inégalités du système scolaire. 

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À l’époque, seuls quelques collèges d’État existaient, comme le Queen Elizabeth College (QEC), le Royal College Curepipe (RCC), le Royal College Port-Louis (RCPL) ou encore le John Kennedy College (JKC). La majorité des établissements imposaient des frais de scolarité, rendant l’enseignement secondaire inaccessible à une grande partie de la population. Il y avait aussi quelques collèges privés et confessionnels. Les jeunes manifestants dénonçaient la différence de traitement pour les élèves de ces divers établissements. 

Sous l’impulsion du Mouvement Militant Mauricien (MMM), la contestation étudiante a pris de l’ampleur avec la création du « Student Power », un mouvement visant à revendiquer une éducation gratuite et équitable pour tous. Les jeunes manifestants réclamaient, entre autres, la gratuité des études, la distribution de manuels scolaires et l’aménagement de bibliothèques dans les collèges et l’âge de vote à 18 ans.

Rassemblés près du pont de Grande-Rivière-Nord-Ouest (GRNO), ils ont tenté de rejoindre la capitale, mais leur marche a été interrompue par la police, qui a déployé du gaz lacrymogène et des chiens pour disperser la foule. 

Cette mobilisation a, néanmoins, marqué les esprits et influencé les décisions gouvernementales. L’année suivante, en 1976, alors que le pays se préparait aux élections générales, une mesure historique fut adoptée : l’éducation gratuite pour tous, mise en application dès 1977.

Aujourd’hui, 50 ans après ces événements, la grève du 20 mai 1975 reste une référence dans la lutte pour un enseignement accessible et équitable pour tous les Mauriciens.

Me Dev Ramano : témoin et acteur d’une révolution éducative

Me Dev Ramano, ancien élève manifestant du 20 mai 1975, rappelle que cette grève n’était pas un événement isolé, mais le résultat d’une accumulation de tensions et de revendications sociales. À cette époque, la population était en quête de solutions face aux divers problèmes sociétaux qui l’affectaient.

Il souligne notamment l’inégalité des allocations attribuées aux élèves selon l’établissement fréquenté : les élèves des collèges d’État recevaient une subvention de Rs 900, ceux des collèges confessionnels Rs 427, et ceux des établissements privés seulement Rs 6.50. La principale revendication des manifestants était d’obtenir une égalité des chances pour tous.

Par la suite, cette mobilisation a conduit à la construction de nouveaux collèges et d’institutions de formation, ainsi qu’à l’introduction de réformes éducatives par les ministres de l’Éducation successifs, visant à améliorer le système scolaire. Aujourd’hui, Me Dev Ramano aspire à un système éducatif favorisant pleinement l’épanouissement des élèves.

Les réclamations des manifestants

Ces milliers de jeunes demandaient essentiellement l’accès à l’éducation secondaire pour tous et dans les mêmes conditions s’agissant des équipements infrastructurels, des matériels scolaires et de l’encadrement pédagogique. En d’autres mots, l’équité dans l’éducation. 

Ils réclamaient aussi le droit de vote à 18 ans et l’abandon d’une éducation coloniale qui perpétuait la suprématie de la culture et de la pensée « mainstream » occidentales. Ils demandaient une éducation de la libération de la pensée nationale, nourrie par notre réalité multiculturelle et les idéologies et les mouvements de la libération des pays nouvellement indépendants ou encore du Civil Rights des États-Unis.

Ils demandaient pour cela la révision des programmes et du statut de la langue créole dans l’enseignement. En bref, la responsabilisation de la jeunesse et la « mauricianisation » de notre système éducatif.

Réflexion - Dr Nita Rughoonundun-Chellapermal : « Qu’est-ce qu’une école qui n’enseigne pas dans sa langue, mais dans une langue étrangère ? »

50 ans après mai 1975, la « mauricianisation » de l’éducation peine toujours à s’imposer. L’histoire et la géographie restent absentes des programmes, tandis que l’enseignement privilégie les cultures étrangères au détriment du patrimoine national. Que reste-t-il de l’identité mauricienne si la jeunesse est privée de ses racines ?

50 ans après, ces revendications ont-elles perdu de leur à-propos ? S’il faut reconnaître que l’accès à l’éducation est désormais assuré, la « mauricianisation » reste bâillonnée et nos jeunes, infantilisés. La géographie et l’histoire sont bien peu enseignées, ne figurant au programme que dans quelques établissements que l’on peut compter sur les doigts de la main.

Notre curriculum reste davantage tourné vers les pays d’origine du peuplement de Maurice. Il privilégie l’enseignement de leurs langues, littératures, philosophies, cultures et traditions et accorde peu de place à notre propre patrimoine. Or, qu’est-ce qu’un peuple qui ne connaît pas son histoire ? Qu’est-ce qu’une société qui n’est pas ancrée dans son terroir ? Que vaut une école qui n’enseigne pas dans sa langue, mais dans une langue étrangère, sans mesurer le terrible mécanisme d’exclusion que cela crée ?

Plutôt que de faire découvrir à nos jeunes le patrimoine musical du séga engagé des années 80 ou celui des Chagossiens - que l’UNESCO reconnaît comme patrimoine mondial immatériel de l’humanité pour sa valeur de « solidarité » et de « résistance » - on préfère limiter le contenu des manuels de Kreol Morisien. Ce contenu se veut « neutre » et sans débat, par peur d’inciter à la « sédition » ou de confronter nos adolescents à des idées trop exigeantes.

50 ans après mai 1975, notre pays semble avoir choisi de lobotomiser sa jeunesse, plutôt que de cultiver son intelligence. Et l’on s’étonne du mal-être de nos jeunes …

 

 

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