Annoncés par la ministre de l’Égalité des genres, Kalpana Koonjoo-Shah, depuis le 8 mars dernier, les amendements aux lois protégeant les victimes de violence ont eu l’approbation du cabinet ministériel, le vendredi 21 octobre. Qu’est-ce que cela implique et en quoi cela aidera-t-il à combattre ce fléau de plus en plus inquiétant ? Tour d’horizon.
Avec une moyenne de 2 000 cas rapportés chaque année et un rajeunissement des auteurs d’actes barbares, la violence domestique est plus que jamais une préoccupation pour le pays. Si bien qu’un plan stratégique a été établi pour lutter contre la violence basée sur le genre avec toutes les parties prenantes dans un comité présidé par nulle autre que le Premier ministre lui-même.
Après des consultations avec les ONG, mais aussi des experts dans le domaine de la violence basée sur le genre, la ministre de la femme, Kalpana Koonjoo-Shah, a annoncé lors de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, des amendements à la loi pour mieux protéger les victimes de violence conjugale.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra, ex-ministre de la Femme, rappelle que le comité de haut niveau sur l’élimination de la violence fondée sur le genre, présidé par le Premier ministre, planche sur cette problématique depuis le 25 novembre 2020. « Cette fois-ci, l’approche était différente, car elle devait proposer des solutions systémiques et voir les questions transversales. »
Car, dit-elle, « il n’y a pas que des solutions juridiques ». Plusieurs amendements ont été apportés au Protection from Domestic Violence Act 1997, rappelle-t-elle. « On a redéfini la violence entre conjoints et autres personnes vivant sous le même toit. Cette violence comprend aujourd’hui les tentatives de violence, les menaces, l’intimidation, le harcèlement, la traque, la maltraitance, les insultes, les brutalités et la cruauté. »
Cela dit, Shirin Aumeeruddy-Cziffra estime qu’il y a certaines lacunes dans le système existant. « Alors qu’il y a depuis longtemps un système de Protection Order, d’Occupation Order et de Tenancy Order, on sait que ces deux derniers ne sont pas faciles à obtenir en justice. Le Protection Order peut ne représenter qu’un bout de papier, même si un conjoint qui ne le respecte pas peut être poursuivi au pénal. »
Au vu de ces problèmes, l’ex-ministre de la Femme dit attendre avec impatience de découvrir les propositions d’amendements. « Va-t-on introduire, en le définissant bien, le crime de féminicide dont on parle de plus en plus ? Peut-on envisager d’aller plus loin que le bouton LESPWAR, qui permet d’alerter le Main Police Command Control et le Family Support Bureau du ministère de tutelle ? »
Mais surtout, selon elle, le défi demeure la prévention de la violence intrafamiliale. « Comment forcer une personne violente à suivre une thérapie ? Et si on impose un emprisonnement sans autre mesure, à quoi cela servira-t-il ? »
Me Mokshda Pertaub : «Il y a une croissance dans la gravité de la violence»
Selon l’avocate Mokshda Pertaub, les cas de violence domestique ont connu une hausse depuis la pandémie de Covid-19. Pire, la violence est devenue plus sérieuse envers les femmes.
« Les agresseurs ne se contentent plus de donner une gifle, mais de tuer les femmes. Par exemple, en mars, quatre femmes ont été tuées par leurs époux ou compagnon. Cela devient de plus en plus inquiétant », fait-elle savoir.
Ainsi, selon l’avocate, la loi devrait être beaucoup plus dure, non seulement en termes de sentence, mais aussi dans son application.
« Cette loi devrait apporter du nouveau, car jusqu’à présent, la loi se concentrait seulement sur la victime. Désormais, avec les amendements, l’accent sera mis sur l’agresseur. »
Plusieurs propositions
Selon l’avocate, il devrait être possible de proposer à l’agresseur des programmes de « counselling ». « La victime devrait aussi pouvoir opter pour un anger management, c’est-à-dire être assurée d’une protection grâce au Protection Order, mais aussi que son conjoint se fasse suivre par des professionnels », propose-t-elle. Elle précise que si le conjoint refuse ou cesse le suivi prématurément, « il faudrait qu’il y ait une épée de Damoclès sur sa tête, afin qu’il sache qu’il encourt une sanction pénale ».
De plus, Me Mokshda Pertaub suggère que ce soit l’agresseur qui quitte la maison pour un temps défini, et non la femme. « Souvent, les femmes se retrouvent dans des shelters, car elles n’ont nulle part où aller. Par conséquent cela détruit la famille, mais aussi l’avenir des enfants qui se retrouvent dans des abris, malgré eux. Leur scolarité et leur vie quotidienne sont, par conséquent, chamboulées. »
Et d’insister : ce devrait être l’agresseur qui se retrouve dans un shelter, un abri où il se ferait suivre. « Ces méthodes sont utilisées dans des pays tels que l’Autriche. »
Mokshda Pertaub met, d’autre part, l’accent sur l’application de la loi. « À mon humble avis, la formation est très importante dans l’application de cette loi. Souvent, les magistrats ne connaissent pas la réelle cause du problème et après des excuses, l’agresseur n’est pas convicted, et il n’y a pas de previous offence enregistrée », fait-elle valoir.
Aussi, l’avocate préconise l’introduction du bracelet électronique pour l’agresseur. « Souvent lorsque l’agresseur a été dénoncé, il se venge. Dans certains cas, après un jugement, il y a même eu des meurtres. Le bracelet électronique évitera les persécutions et autres tentatives. »
Quatre précédents amendements
Le Protection Against Domestic Violence Act a été amendé à quatre reprises depuis sa création en 1997. Lors du dernier amendement en 2016, des peines de prison ont été introduites. Ainsi, actuellement, une personne reconnue coupable de violence domestique peut écoper, pour la première fois, d’une amende ne dépassant pas Rs 50 000 et en cas de récidive, d’une amende allant jusqu’à Rs 100 000 et d’une peine maximale de deux ans. Et pour toute autre récidive, une peine de prison jusqu’à cinq ans.
La parole aux victimes et survivantes
A.K., 40 ans : « Fam ki touzour perdan »
Pour cette mère de famille de 40 ans, il y a une grande différence entre la loi et la réalité. « Zot dir ki lalwa protez nou, me nou ki kone ! Mem si lalwa vinn pli sever, nou pou kontinie pas mizer mem nou. »
Victime de violence depuis qu’elle s’est mariée à l’âge de 23 ans, elle a finalement quitté son époux après 10 ans de vie commune. « Monn bizin rekoumans tou a zero. Partou kot mo ti pe ale tou dimoun nek dir mwa retourn ek li, koumadir mo pa kapav egziste san li. Person pa finn ed mwa vremem. Pa lalwa ki pou ed mwa. Pa lalwa ki ed mwa redibout lor mo lipie, kit tou derier ek okip mo zanfan san nanie dan mo pos… »
O.M., 46 ans : « Il a essayé de me tuer »
Cette maman de trois enfants a perdu un œil sous les coups de son époux. Si elle est séparée de lui, cela ne veut pas dire qu’elle peut vivre en paix. Bien au contraire, il continue de la harceler et de la menacer de mort.
« Linn bien bat mwa avan, linn ferme, linn sorti. Linn dir mwa nanie pa pou kapav anpes li touy mwa si li anvi. » Si pendant plusieurs années, elle est restée malgré les coups, elle a eu le déclic après avoir perdu un œil. « So problem se ladrog. Monn dir li ki mo pa pou retourn ek li tan ki li pa al get enn profesionel ou li aksepte al dan enn sant pou enn tretman. Akoz li dir li pa kone ki li fer kan li pran sa. Me mwa ek mo bann zanfan ki sibir tousala. Nou ki kone ki problem ena. »
La quadragénaire ne pense pas que la loi pourrait être une solution dans son cas. « Ki serti li pou zis al dan prizon me nanie pa pou pase. Li pa pou sanze koumsa. Li pou resorti pou mem zafer. Parfwa li inportan ki bann lotorite get bann lezot fleo dan nou sosiete ki pe detrwir ban fami olie zis pas lalwa. »
J.G., 63 ans : « Un espoir pour mes petits-enfants »
Pour cette grand-mère de sept petits-enfants, ces amendements à la loi représentent une meilleure protection pour la future génération. « J’ai été victime de violence domestique et mes deux filles aussi. Je n’ai jamais fui et je n’ai jamais pu protéger mes filles. Je ne sais pas de quelle façon la loi sera amendée, mais j’espère de tout cœur que les victimes ne devront plus se soumettre comme mes enfants et moi. »
La sexagénaire est consciente que la violence domestique ne sera pas éliminée pour de bon. « Mais si cela peut aider à protéger mes petits-enfants, cela représente une belle lueur d’espoir pour moi », estime-t-elle.
F.G., père de deux enfants : « Cette loi ne fera pas évoluer les mentalités »
Victime de violence domestique, il fait partie de ces rares hommes à avoir brisé le silence. « Quand on écoute la ministre faire un discours sur la violence domestique, on a l’impression que les victimes ne sont que des femmes. Pourquoi en parler lors de la Journée internationale de la femme ? N’est-ce pas une loi pour toutes les victimes ? Elle n’est pas la seule à blâmer cependant, car dans presque tous les bureaux où je me suis rendu, j’ai eu ce même accueil rempli de dédain et de moqueries. Alors, que faire de cette loi quand on sait qu’elle ne fera pas évoluer les mentalités ? »
Opinions
Magali Deliot : « Les violences n’arrêteront pas… »
La loi ne peut, à elle seule, venir à bout de ce fléau. « Renforcer les paramètres légaux, être plus sévère envers les bourreaux, c’est très bien. Nous pourrons changer toutes les lois, mais les violences ne s’arrêteront pas », lance Magali Deliot de l’association Planète Enfants.
Frapper sa femme ou son mari est un problème social, fait-elle comprendre. « Et il faut y remédier à travers des lois certes, mais c’est loin d’être suffisant. Il est aussi temps d’arrêter de victimiser les victimes de ces violences en leur disant ce qu’elles doivent ou ne doivent pas faire. »
Pour Magali Deliot, il est important de commencer dès le plus jeune âge et « ne pas oublier l’éducation des garçons et la rééducation des hommes dans cette équation ».
Ambal Jeanne : « La loi n’est pas une mesure préventive »
Ambal Jeanne, la directrice de SOS Femmes, est catégorique : « Des amendements aux lois ne résoudront pas le problème. La loi arrive après l’acte commis. La loi n’est pas une mesure préventive, mais un instrument pour punir l’auteur de la violence. »
Raison pour laquelle elle plaide en faveur d’une meilleure application des lois. « Tous les magistrats doivent se soumettre à une formation sur la gender based violence pour pouvoir appliquer les lois appropriées selon les cas. La loi doit agir comme un instrument de dissuasion pour les récidives. »
D’ajouter qu’en amont, des campagnes de sensibilisation et d’éducation doivent être menées dans les établissements scolaires. « À travers les life skills, les enfants doivent apprendre dès le plus jeune âge comment respecter l’autre, régler les différends de façon non-violente et privilégier le vivre-ensemble. »
Ny Onja Hon Fat : « Où sont les vraies solutions ? »
La présidente de la Commission des droits de la femme de Dis-Moi aurait préféré que les autorités se concentrent sur l’application de la loi actuelle avant d’en proposer de nouvelles. « Durcir la loi, c’est tout beau en écrit, mais qu’en est-il de la réalité ? Est-ce la solution pour résoudre tous les problèmes auxquels les victimes font face ? »
Selon Ny Onja Hon Fat, le vrai problème se situe au niveau de l’application de la loi. « On aimerait des mesures plus proactives, rapides et efficaces de la part de la police et des autres instances que des sanctions plus sévères. »
Darmen Appadoo : « Les hommes sont victimes de ce système »
Avant de proposer un durcissement de la loi, il faudrait une enquête pour savoir combien de femmes ont abusé du système. C’est l’avis de Darmen Appadoo, président de l’association SOS Papa.
« Les quatre derniers amendements ont démontré que cela n’a pas aidé à réduire le nombre de victimes de violence conjugale. Où sont les études à ce sujet ? C’est trop facile de proposer les solutions les plus simplistes au lieu de proposer de vraies solutions. Il est grand temps pour les autorités de comprendre que la violence conjugale ne se résout pas à coups de lois répressives », argue-t-il.
Les hommes, ajoute le président de SOS Papa, sont les plus affectés par cette nouvelle loi. « Dans plusieurs cas, certaines femmes ont menti juste pour que leurs maris soient enfermés. Il faut des enquêtes policières impartiales. Je ne suis pas pour la violence conjugale, mais j’estime que tout être humain à droit à la même protection et j’espère que cette loi ne sera pas au détriment des droits des hommes. »
Son père tente de l’étrangler
« Mo santi mo lavi pe kit mwa, mo ti pe gagn vertiz, mo trwa zanfan ti pe kriye plore... » Stacy, 22 ans, dit avoir frôlé la mort au soir du mercredi 26 octobre. Son père, qui aurait été sous l’influence de l’alcool et de stupéfiants, s’est acharné sur elle. D’une main, il tentait de l’étranger. Et dans l’autre, il avait un couteau. « Mo papa dir mwa la prosenn fwa, li pou defigir mwa e touy mwa… »
Cette agression s’est produite au domicile de sa grand-mère à Sainte-Croix. Elle y vit avec ses trois enfants de 5 ans, 3 ans et 1 an, son compagnon étant en détention depuis un an. Si Stacy a reçu des soins à l’hôpital et a porté plainte à la police pour violence domestique, elle confie que ce n’est pas la première fois que son père s’acharne ainsi sur elle. « Depwi zanfan mo papa bat mwa. »
À Le Dimanche/L’Hebdo, Stacy raconte être la benjamine d’une fratrie de trois. Ses parents se sont séparés lorsqu’elle avait 5 ans. Son père a obtenu sa garde. Elle soutient qu’il a toujours fait preuve de violence envers elle, surtout lorsqu’il consomme des stupéfiants. Lorsqu’elle était enceinte de 5 mois de son dernier enfant, poursuit-elle, son père n’aurait pas hésité à l’agresser. « Li lev lager ar mwa e li fer mwa kit lakaz ale pou li kapav kokin. Li pas par lafenet, apre li kokin mo bann zafer kouma ventilater, PS4, televizion, e li al vande. »
À cette époque, elle avait rapporté les faits à la police d’Abercrombie. « Mo dir mo soupsonn mo papa. Nous habitons la même cour, mais pas sous le même toit. » D’ailleurs, fait savoir Stacy, elle a porté plainte contre son père à maintes reprises.
Le mercredi 26 octobre, il aurait débarqué vers 21 heures. Selon la jeune femme, il l’aurait forcée à entrer dans la maison, alors qu’elle était dehors avec ses enfants en train de parler avec des amies. Mécontent devant son refus, son père aurait commencé à l’insulter avant de la gifler.
Une fois à l’intérieur, une nouvelle altercation s’est produite. Stacy soutient que son père l’aurait poussée à l’extérieur, contre une barrière en tôle ondulée, et aurait attenté à sa vie. Entre-temps, des voisins ont alerté la police. Une fois sur place, les policiers ont emmené la jeune femme à l’hôpital Dr A.G. Jeetoo, où elle a reçu les premiers soins. À la vue des policiers, le père a pris ses jambes à son cou. Il est toujours recherché par la police.
Aujourd’hui, Stacy souhaite que le ministère de la Femme et la Family Protection Unit lui viennent en aide, afin qu’elle puisse obtenir un Protection Order contre son père. Elle dit craindre pour sa sécurité et celle de ses enfants.
Journalistes :
Christopher Sowamber , Mélanie Valère-Cicéron, Roshnee Santoo, Reshad Toorab
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