
- 24 femmes tuées depuis 2020
Nawsheen Chady, 37 ans, a été tuée par son mari le 10 juillet à St-Pierre, malgré plusieurs signaux d’alerte. Ce drame vient s’ajouter à une longue liste de violences conjugales non prises en charge à temps. Sa mère affirme avoir prévenu la police quelques heures avant le drame, en vain. Selon elle, les forces de l’ordre auraient exigé une plainte en personne avant d’intervenir, une condition jugée irréaliste par plusieurs intervenants.
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La ministre de l’Égalité du genre, Arianne Navarre-Marie, a réagi à ce féminicide en rappelant que 5 758 cas de violence domestique ont été enregistrés depuis le début de 2024, et 24 femmes ont été tuées depuis 2020. Des chiffres qui soulèvent une question cruciale : les dispositifs existants sont-ils suffisants pour protéger les victimes lorsque les signaux sont clairs ?
Contacté pour une version officielle, le sergent Bernard Mootoosamy, du Police Press Office, affirme que la police intervient immédiatement en cas de menace de mort. « Lorsqu’il y a menace de mort, nous intervenons sur-le-champ. La victime doit ensuite déposer une déclaration et est placée en lieu sûr dans l’attente de l’arrestation de son agresseur », soutient-il.
Pourtant, dans ce cas précis, la question de la réactivité se pose avec acuité. Le sergent Mootoosamy avance que le dossier est lié à une affaire de drogue et qu’une déposition avait été enregistrée peu avant le drame. Il précise ne pas pouvoir commenter davantage tant que l’enquête est en cours.
Selon une source proche de l’enquête, la police était déjà intervenue à plusieurs reprises au domicile du couple. « Ils étaient connus au poste. Une déposition avait été faite peu avant l’agression, à propos d’un conflit concernant l’argent et la drogue. La mère de la victime avait même affirmé que son gendre était devenu ‘wild’ et violent. La police s’était déplacée. Il est donc inexact de dire qu’elle n’a rien fait », affirme cette source.
Des limites institutionnelles dénoncées
Au ministère de l’Égalité du genre, on insiste sur la séparation des rôles. « La police mène ses enquêtes de manière indépendante. Nawsheen Chady ne s’est jamais tournée vers nous. Mais en général, nous pouvons offrir un soutien psychologique et lancer une demande de Protection Order à la requête de la victime », indique un responsable.
L’organisation SOS Femmes, par la voix de sa directrice Ambal Jeanne, s’indigne de l’issue tragique de ce dossier. « C’est profondément triste. La mère s’est rendue au poste de police pour prévenir. Il aurait fallu intervenir. Exiger que ce soit la victime elle-même qui vienne déposer plainte est irréaliste. Comment une femme en danger peut-elle se déplacer ? », s’insurge-t-elle.
Elle souligne que le cadre législatif seul ne suffit pas si les acteurs sur le terrain n’agissent pas avec responsabilité. « Lorsqu’un signalement crédible indique un danger, la police doit intervenir immédiatement, même sans déclaration formelle », insiste-t-elle.
Appel à une prise en charge globale
Pour Sean Rungen, directeur de L’Action Familiale de Maurice, des solutions préventives doivent accompagner les sanctions. « Je ne blâme ni le couple ni la police. Mais si la drogue est à l’origine du crime, il faut traiter le problème à la racine. Et penser aux deux enfants que laisse cette femme. Il faut soigner la cause, pas seulement les symptômes », déclare-t-il.
Il plaide pour des lieux d’accueil sécurisés pour les femmes victimes de violence : « Il faut des espaces sûrs et discrets pour mettre ces femmes à l’abri ».
Anjum Heera Durgahee : « Le contrôle n'est pas une forme de protection »
Pour la psychologue Anjum Heera Durgahee, le drame de Saint-Pierre s’inscrit dans un schéma bien connu. Selon elle, « le féminicide ne survient jamais sans signes précurseurs. Il s’inscrit dans un cycle de violence où la tension monte, une explosion survient, puis vient la phase dite de “lune de miel”, durant laquelle l’agresseur s’excuse, promet de changer… avant que tout ne recommence. »
Elle considère que, pour briser ce cycle, il faut intervenir le plus tôt possible : « Trop souvent, les femmes qui portent plainte ne sont pas prises au sérieux, ou on les pousse à retourner chez leur agresseur sous prétexte de préserver la famille. C’est inacceptable. » Elle estime que la formation des intervenants de première ligne est une priorité. « Les policiers, les magistrats et les travailleurs sociaux doivent être formés pour reconnaître les signes de manipulation, de domination et les effets du traumatisme », est-elle d’avis.
Selon elle, cette approche doit être accompagnée d’un soutien concret aux victimes : « Il faut un accompagnement psychologique gratuit et accessible pour aider les femmes à reconstruire leur estime de soi, retrouver leur autonomie et sortir de l’emprise. »
Elle insiste également sur la nécessité d’un changement de mentalité à l’échelle de la société. « La violence n’est jamais un acte d’amour. Le contrôle n’est pas une forme de protection. Il faut que cela cesse », souligne-t-elle.
Enfin, elle lance un appel à la vigilance collective : « Nous ne pouvons pas dire à une victime “quitte ta maison” sans lui offrir une solution. Où ira-t-elle ? Il faut un encadrement, un véritable accompagnement, avec un suivi judiciaire et humain, pour que la victime puisse retrouver une vie normale. » Pour elle, chacun a un rôle à jouer : « Parler, signaler, soutenir : votre voix peut sauver une vie ».
Arianne Navarre-Marie promet des actions concrètes
Face à la recrudescence des cas, Arianne Navarre-Marie affirme que son ministère agit. Elle confirme que le dossier de Nawsheen Chady n’a jamais été soumis à ses services. « J’ai appris la nouvelle par la presse et les réseaux sociaux. Depuis 2020, 24 femmes sont mortes dans des circonstances tragiques. Nos officiers sont auprès de la famille pour un accompagnement psychologique des deux enfants, âgés de 12 et 11 ans, ainsi que de leur grand-mère », précise-t-elle.
Un plan d’action national est actuellement en préparation, couplé à une campagne de sensibilisation destinée à encourager les victimes à dénoncer les violences, indique-t-elle.
Le Domestic Abuse Bill, annoncé par la ministre, vise à renforcer les protections légales, durcir les sanctions et tenir les agresseurs pour pleinement responsables de leurs actes.
En parallèle, elle soutient que son ministère finalise une politique nationale de la famille, destinée à offrir un accompagnement global aux victimes et à prévenir de futures tragédies.

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