Nul n’est à l’abri du viol. L’agresseur peut être un proche, un ami, un voisin ou un étranger… La vague d’indignation provoquée par l’affaire Michel de Ravel de L’Argentière pousse à la réflexion. Comment briser le silence ?
Audrey : « J’ai été violée à 18 ans »
Certaines victimes de viol réclament justice. D’autres, en revanche, se murent dans le silence. À l’instar d’Audrey L. (prénom modifié), âgée d’une trentaine d’années. Raconter ce qu’elle a vécu lui a demandé beaucoup de courage. D’ailleurs, c’est la première fois qu’elle revient sur ce sujet depuis qu’elle a été victime de viol il y a une quinzaine d’années. Si elle a aujourd’hui accepté d’en parler, c’est parce qu’elle sent au fond d’elle que c’est une manière pour elle d’extérioriser cette douloureuse expérience pour pouvoir avancer et tourner enfin la page.
« J’ai été violée », lance d’emblée Audrey. Certes, on décèle un soupçon de soulagement dans sa voix d’avoir enfin pu se confier à quelqu’un. Cependant, on la sent aussi tétanisée à l’idée d’entamer son récit. Nous tentons de la mettre à l’aise, de la mettre en confiance. Ce qui semble fonctionner, puisqu’elle se remémore cette journée qui a changé sa vie à tout jamais. « C’était le 26 avril 2005. Je m’en rappelle très bien parce que c’était quelques jours après mon anniversaire », indique Audrey. Ce jour-là, il était prévu qu’elle rencontre un très bon ami, de huit ans son aîné, nommée Deepak.
Fille de bonne famille et très appliquée dans ses études, la jeune fille ne sortait que très rarement. Cela faisait quelque temps qu’elle échangeait des SMS avec Deepak qui était devenu au fil du temps son confident. Il avait été à l’écoute d’Audrey quand elle venait tout juste de sortir d’une relation platonique, certes, mais compliquée. Son petit ami de l’époque l’a trompée avec une autre. Ravagée, Audrey a vu en Deepak une épaule sur laquelle pleurer. Il lui a apporté son soutien. C’est du moins ce qu’elle a cru.
Naïve comme pas deux, Audrey accepte alors de s’ouvrir à Deepak. Au bout de quelques semaines, ils décident de se voir en tête-à-tête. Audrey sait pertinemment ce qui l’attend, mais elle est décidée à se débarrasser de sa virginité qu’elle ne veut conserver pour aucun homme puisqu’à ses yeux, aucun ne la mérite. Deepak la récupère à Rose-Hill, puis direction l’ouest du pays, où il a loué un bungalow pour la journée.
Une fois sur place, la maison est rustique et typique de celles qu’on trouve en bord de mer, à l’air cosy. Tout semble réuni pour que les deux amis passent un moment agréable. Deepak ouvre la porte. Symboliquement, Audrey y voit la porte de son destin. Elle est loin de se douter qu’un événement changera à jamais sa conception de la vie et l’idée qu’elle se fait des hommes. Elle le suit.
L’intérieur est simple : une table avec deux chaises trône au milieu de la pièce principale. Il y a aussi un canapé qui a l’air d’avoir fait son temps. Il a sans doute été témoin de scènes inavouables. Puis, arrive l’instant clé… Ce pour quoi ils sont venus dans ce bungalow. Il commence par la courtiser et par la séduire avec des caresses. Il l’embrasse, puis place aux préliminaires. Un peu farouche au départ, la jeune femme finit néanmoins par se laisser faire.
« Je veux qu’on arrête, s’il te plait »
Jusque-là tout va bien… Mais au moment de passer à l’acte, Audrey se fige. Elle tremble. Ses yeux se remplissent de larmes. Elle a du mal à s’exprimer. Mais elle finit par laisser échapper : « Je veux qu’on arrête s’il te plait. Je ne me sens pas à l’aise. Je m’excuse, mais je veux rentrer. Je ne suis pas prête à le faire. Rentrons s’il te plait. » Audrey est agréablement surprise par la réaction de Deepak. Il semble respecter son choix. Tandis qu’elle se lève pour se rhabiller, il se lève et grille une cigarette. La conversation reprend normalement. La jeune femme est convaincue que son appel a été entendu. Mais elle est à des années-lumière de la vérité.
Alors qu’Audrey remet ses vêtements, elle sent qu’il la scrute de la tête aux pieds. Le regard de Deepak a changé et il semble ne plus vouloir faire preuve de compréhension. En effet, il se précipite sur elle et la tire par le bras avant de la propulser dans le lit. Il est physiquement plus fort qu’elle. Elle a du mal à résister. Elle est à présent allongée. Il lui enlève ses vêtements et ses sous-vêtements. Choquée et effrayée, elle se fige. Audrey devient spectatrice de son propre viol.
Pendant le rapport, alors que Deepak a l’air de prendre du plaisir pour assouvir ses bas instincts, Audrey tourne la tête sur le côté. Des larmes ruissellent sur ses joues. Elle a mal. « Je me sentais meurtrie dans ma chair, dans mon corps et dans mon âme. J’avais hâte que le supplice s’arrête. Quand c’était fini, je me suis rhabillée. Il en a fait de même. Puis nous sommes sortis, sans nous adresser la parole. J’avais qu’une hâte : rentrer. »
Deepak la dépose. Audrey ne lui dit même pas au revoir. Elle file sous la douche. Elle s’assoit et laisse l’eau couler sur tout son corps, comme pour laver tout le mal qu’elle a subi. « Je me sentais sale. J’étais dégoûtée par mon corps. J’étais triste. J’étais déçue. D’abord, de lui puis et surtout de moi-même. Je venais de me faire violer. C’était cela la réalité.»
Après ce « malheureux épisode », comme le qualifie Audrey, elle a préféré faire abstraction de ce qui s’était passé. Si elle a refusé d’en parler à qui que ce soit jusque-là, c’est par peur d’être jugée. « Je me disais que je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même après tout. Je l’ai suivi de mon propre gré. »
15 ans se sont écoulés depuis. Des années durant lesquelles Audrey a dû réapprendre à s’aimer et à se faire confiance. Le viol n’a pas été sans conséquence sur la jeune femme, qui a du mal à se projeter avec un homme et qui n’arrive pas à fonder une famille. Elle vit au jour le jour, en espérant que la douleur s’estompera avec le temps. « J’admire celles qui osent briser le silence. Si j’avais un message à adresser à toutes celles qui ont été victimes d’un viol un jour dans leur vie, je leur dirais ceci : ce n’est pas de votre faute. Peu importe, les circonstances, un ‘non’ est un ‘non’. Soyez moins dures envers vous-mêmes. Moi j’ai fait le choix de vivre avec ce lourd secret, sans doute par peur ou par lâcheté. Quoi qu’il en soit, j’avais mes raisons. Le choix d’en parler reste le vôtre. »
Profil type de l’agresseur - Maryse : « Mon mari était charmeur et charmant, mais… »
Il n’existe pas de portrait unique d’agresseurs sexuels. En effet, il est difficile de décrire un profil type de l’agresseur sexuel, vu la diversité des comportements d’agression sexuelle et les diverses motivations qui y sont sous-jacentes. Afin d’en avoir un exemple, penchons-nous sur le témoignage de Maryse (prénom modifié), qui a été victime de son bourreau, aujourd’hui devenu son ex-mari. « C’était un étranger. Il était bel homme et charmeur. Il savait faire rire les femmes avec des jeux de mots salaces. On s’est rencontré lorsque j’étais en cours dans une institution d’enseignement supérieur », raconte Maryse (53 ans).
Ce jour-là, poursuit-elle, le séducteur l’invite à prendre un café. Si elle hésite dans un premier temps, deux jours plus tard, elle cède à la tentation. Les rencontres s’enchaînent et ils font plus ample connaissance. Deux ans plus tard, ils se marient. Tout se passe bien jusqu’à la naissance de leur deuxième enfant. Maryse raconte que son ex-mari fait alors tout pour lui faire plaisir. Sans s’en rendre compte, elle commence à se sentir redevable de l’homme qu’elle aime. Dès lors, c’est la descente aux enfers.
Le fait qu’elle gagne un salaire plus élevé que son ex-mari complique la situation. Rongé par un complexe d’infériorité, son ex-mari se montre de plus en plus brutal. Au lit, Maryse feint l’orgasme. Comme un légume, elle subit en silence les fantasmes et les caprices de son ex-mari… Du moins jusqu’à la goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Il voulait me sodomiser. J’étais contre. Il m’y a obligée. J’étais traumatisée. J’ai même dû me procurer un certificat médical pour qu’il ne me contraigne plus à le faire », raconte Maryse avec des larmes qui ruissellent sur ses joues.
Elle prend son mal en patience et reste sous le toit conjugal à cause de ses enfants. Mais en 2002, elle n’en peut plus. Elle prend ses affaires et met un terme à cette relation qui la détruit.
Depuis, Maryse peine à se reconstruire. « Briser le silence est dur, mais le plus important est d’avoir le courage de dénoncer son agresseur, même si c’est un proche ! »
Dr Sudesh Kumar Gungadin : « Dénonciation ou pas, il faut un examen médical »
« Une agression sexuelle ou tout autre contact sexuel sous la contrainte est un viol. Indépendamment du fait que la victime dénonce ou pas, son agresseur à la police, il est important qu’elle ait recours à un professionnel de santé le plus rapidement possible », indique le Dr Sudesh Kumar Gungadin. Dans un premier temps, dit le médecin légiste, un traitement pour éviter une infection par le VIH/Sida et une contraception d’urgence sont administrés à la victime. « La prophylaxie post-exposition que la victime doit prendre peut en effet éviter cette infection. Et jusqu’à 120 heures après l’agression, il est possible de lui prescrire la pilule du lendemain pour éviter les grossesses non désirées en arrêtant l’ovulation. »
Il est souvent difficile pour la victime de s’exprimer lors d’un examen médico-légal, dit le Dr Sudesh Kumar Gungadin. D’où, dit-il, la nécessité de la mettre en confiance pour établir l’historique des faits. « Le but de cet examen post-viol est de voir si la victime a subi des blessures internes ou externes afin qu’elle puisse recevoir les traitements appropriés. » Dans certains cas, dit-il, cet examen peut être traumatisant, car il nécessite un contact physique. « Le corps de la victime est considéré comme un élément de preuve de l’agression. Nous relevons des preuves physiques qui pourront ensuite être utilisées contre l’accusé en cour. »
Comment se déroule un examen médical ?
À l’aide d’un « kit de viol », le médecin légiste examine tous les indices physiques d’une activité et agression sexuelle en fonction des endroits où a eu lieu le contact, explique le Dr Sudesh Kumar Gungadin. Il précise que cela peut inclure un examen vaginal, anal ou oral ainsi qu’un examen général de tout le corps pour déceler des traces de lutte, comme des ecchymoses (des bleus) ou des égratignures. Des cheveux et des poils pubiens sont aussi prélevés. Les vêtements que portait la victime au moment de l’agression sont aussi passés au crible, soutient-il. L’examen médical comprend de plus des prises de sang et d’urine.
Quand faire les examens médicaux ?
Il est conseillé d’aller à l’hôpital pour faire les examens dans les 72 heures qui suivent l’agression. Passé ce délai, les preuves physiques peuvent disparaître. Vous pouvez aller passer les examens après avoir déposé une plainte à la police ou les faire même si vous ne l’avez pas avertie.
Anjali Bungaleea, psychologue : « Le déni est un obstacle à la guérison »
Une victime se demandera souvent : pourquoi cela m’est-il arrivé ? Pourquoi on ne me croit pas ? La psychologue Anjali Bungaleea explique que certaines victimes se trouvent dans l’incapacité de réagir de manière réfléchie et se mettent en mode autopilotage.
Qu’en est-il du suivi psychologique ?
Le viol est encore trop souvent gardé secret. Une prise en charge spécialisée permet à la victime de dire l’indicible. Il importe d’en comprendre les raisons et de repérer les signes évocateurs afin de l’aider à surmonter le traumatisme subi. Les difficultés psychologiques se manifestent souvent par la peur, l’angoisse, la colère et le sentiment d’être incomprise. De plus, la honte incite la victime à se taire. Il faut que tout le monde soit conscient qu’aucune forme de violence sexuelle n’est normale ou tolérable. La communication thérapeutique peut aider à réduire le poids de la violence sexuelle que la victime a subie. Le déni est un obstacle à la guérison. Cette forme de violence sexuelle ne doit pas être gommée, mais nommée.
Comment discerner le vrai du faux ?
Un viol est une situation émotionnellement très chargée. Les paroles, le comportement et les gestes globaux de la victime résument le traumatisme subi. La victime a souvent beaucoup de mal à dénoncer son agresseur. Pourtant, la dénonciation a une grande portée thérapeutique et il faut l’encourager à rompre le silence. C’est ce qui permet aux spécialistes de discerner le vrai et le faux. Les fausses accusations de viol sont rares, mais elles existent et c’est un problème très grave.
Qu’est-ce qui pousse la victime à se taire ?
Tant qu’une personne sexuellement abusée ne dénonce pas le coupable, elle est considérée comme victime. Mais le jour où elle décide de saisir la justice, la victime est perçue comme une accusatrice. Le crime commis envers elle est, dans ce cas, ignoré. C’est pourquoi, par exemple, la majorité des femmes violées se résignent à rester des victimes à vie et donc à se taire, par peur d’être accusées du crime qu’elles ont dénoncé.
Il y a aussi le processus judiciaire qui est long, pénible et coûteux. Les interrogatoires répétés, le manque de respect et de tact de certaines personnes, la honte de dévoiler son histoire devant tout le monde ou encore l’impression de ne pas être crue. Tout cela entraîne ce qu’on appelle une victimisation secondaire. À chaque fois qu’elle relate le viol, la victime se sent à nouveau violée.
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