Elle a fait le buzz. Une « one-woman show » comme on ne l’attendait pas. Si les grands partis ont déambulé en fanfare lors du Nomination Day au n°20, Valentina Première, candidate indépendante, a volé la vedette.
Derrière cette façade, quel mystère se cache-t-il ? Dans un ouragan de sons mêlant djembé, maravane et ravanne, un petit bout de femme électrique, à la présence XXL, débarque. Au centre d’enregistrement des candidats de la circonscription n°20 (Beau-Bassin/Petite-Rivière) à Maingard, en ce mardi 22 octobre, jour du Nomination Day, de nombreux regards interloqués.
Encadrée par des gardes de sécurité baraqués tout de noir vêtus, toute chic dans son tailleur pastel, elle fait son entrée très décalée, accompagnée de sa petite troupe de chanteurs et danseurs. Ça claque ! Une « excentrique », murmurent certains. Un « vent de fraîcheur », pensent d’autres. Valentina Première, c’est son nom, et elle vient secouer les codes.
Un sourire éclatant, des yeux pétillants, une voix mélodieuse, Valentina Première fait son petit effet. Elle lance à l’assistance quelque peu éberlué devant ce « show » : « Ala li la, korek,
korek ? Bonzour tou dimounn. Sa pa mo logo sa. Mo logo se enn fosi. Mo pe poze, malgre boukou difikilte ek dekourazman. Zot dir mo enn madam, me osi ena dir ki bizin ankouraz madam fer politik. Mo prezant mwa, Valentina Première, mo abit Petite-Rivière ek mo enn kandidat indepandant. »
Ses mots, lancés avec fougue, avec conviction, résonnent comme un défi. Son authenticité est rafraîchissante, sa détermination contagieuse. Elle a ce je-ne-sais-quoi qui vous donne envie de croire en ses rêves, aussi fous soient-ils.
Qui est Valentina Première ? Nous avons levé un coin du voile lors d’une rencontre des plus détendues au Caudan Waterfront, autour d’un Capuccino et d’un milkshake. Sa Nikon D 7500 accrochée au cou, Valentina Première se prête au jeu de l’interview avec une sincérité désarmante. Elle n’a rien à cacher. « Je suis ce que je suis, une femme, une fille du pays, de la cité, mais qui sait ce qu’elle veut », lâche-t-elle, les yeux pétillants, la bonne humeur communicative, entre deux gorgées de milkshake.
En effet, sous des dehors qu’on pourrait qualifier de folkloriques, elle est tout sauf « enn drom vid ». Elle est ambitieuse, et déterminée. Valentina Première en est d’ailleurs à sa seconde participation aux législatives. Lors de son baptême du feu en 2019 dans la circonscription n°20, elle avait obtenu 393 voix. « C’était une première », nous confie Madame Première.
Face à la mer, Valentina Première voudrait être toute voile dehors. Elle dévoile en dents de scie son parcours qui l’a vue plier, mais ne jamais rompre. Maman de deux enfants, un fils Soan, 15 ans, et une fillette Arya, trois ans, elle vit avec son compagnon à Petite-Rivière. C’est chez elle.
« Ma maison est dans un quartier hindou et les habitants me soutiennent et reconnaissent qui je suis. Ils ne me voient pas comme une créole, mais comme une des leurs, enn zanfan landrwa, enn zanfan lakaz. »
Son franc-parler, parfois perçu comme abrupt, peut déranger. Elle en est consciente, mais elle n’en a cure. Car c’est en réalité le reflet de son authenticité. « On dit de moi que je suis une grande gueule. C’est faux, je dis ce que je pense », affirme-t-elle avec une conviction qui force le respect. À l’approche de la quarantaine, Valentina Première a trouvé un équilibre précieux. Elle est tout simplement elle-même, sans fard ni artifice.
Issue d’une fratrie de neuf enfants, elle évoque avec émotion son père laboureur. Sa mère, femme au foyer, se démenait à aller couper de l’herbe « avek fosi » pour des animaux afin de nourrir la famille « ek fer manze dan karay pou ranpli vant ». Valentina Première plonge dans ses souvenirs, un sourire mêlé de mélancolie sur les lèvres.
Bien que ses souvenirs d’enfance soient marqués par la dureté de la vie, Valentina Première ne renie pas ses origines. « Je voulais comme symbole une faucille pour rendre hommage à ma maman qui s’est tuée pour notre famille afin que nous ayons tous une bonne éducation, qu’elle n’a pas eue. Cependant, dans la liste de la Commission électorale, il n’y avait pas ce symbole. Ce n’est pas grave, je l’ai dans mon cœur, ma maman », poursuit-elle.
Pourquoi avoir débarqué, flanquée d’une flopée de solides gars, de jeunes bruyants, chantant, dansant ? « Je suis une organisatrice d’événements tels que des bals. J’ai une équipe de sécurité et j’ai voulu montrer que je peux être au même niveau que les gros bras de la politique, et non pas faire un ‘show-off’. Je ne suis pas enn roder bout. Je travaille comme photographe, comme organisatrice d’événements. Mo gagn mo lavi, mo trase, mo pa tal lame. Mo fami finn montre mwa bann valer lavi, ena respe, rekonesans », souligne-t-elle avec force.
En ligne avec ce que lui ont transmis ses parents, elle dénonce vivement la politique d’assistanat actuelle. « Savoir donner » chante Florent Pagny, sans rien attendre en retour. Certes, réplique Valentina Première, mais sachons ce que l’on donne, tout en encourageant l’effort individuel.
« On promet de donner Rs 5 000 à chaque enfant jusqu’à l’âge de 18 ans. Qu’a fait et donné cet enfant-là pour qu’il bénéficie de cette manne ? Moi, je me sacrifie, je transpire pour faire vivre ma famille, je paie une école privée pour ma fille, je passe des nuits blanches pour avoir de l’argent », rétorque-t-elle, décelant dans ces mesures dites sociales, une déresponsabilisation des familles, des jeunes.
Que propose-t-elle ? « Ce que je propose, c’est une allocation de Rs 5 000 à chaque personne – pour un couple, cela fera Rs 10 000 par mois –, à l’âge de 50 ans, pour alléger leur caddie, en même temps qu’ils continuent de travailler. »
Ce n’est pas tout. Valentina Première parle d’une prime aux enseignants qui atteignent plus de 70 % de réussite à la fin de chaque cycle primaire et secondaire. « Pa zis vinn dan klas, nek bat bate ek fie lor enn lapey fix sak mwa. Bann zanfan resi ou fel, pa zot problem », s’insurge-t-elle.
En la voyant, on pourrait la prendre pour une sympathisante du groupement des Gilets Jaunes de France. Mais militante dans l’âme, elle assure défendre les intérêts de tous les citoyens, et pas forcément seulement des femmes.
Pour détonner, elle l’est sur tous les bords. Valentina Première est une femme à contre-sens. Elle secoue le cocotier de la politique locale, et ça fait du bien.
Sa Nikon, son gagne-pain
Valentina Première a fréquenté l’école primaire de son quartier, puis un collège d’État. Avec son sourire radieux et sa parfaite maîtrise de l’art de la conversation, elle avait toutes les qualités requises pour briller dans le monde de l’hôtellerie. Formée en « Front Office » à l’École hôtelière Sir Gaëtan Duval, elle a pourtant décidé de s’orienter vers d’autres métiers.
Elle a notamment travaillé pendant quelques années dans un centre d’appels. « Là-bas, je me suis dit qu’il fallait que je me trouve une autre option professionnelle. » C’est ainsi qu’elle a tout lâché pour devenir photographe professionnelle et intégrer le domaine de l’événementiel, loin d’envier les parcours plus traditionnels. « Je gagne ma vie avec ma Nikon », nous dit-elle avec une fierté.
Vous souhaitez une belle photo de vous et de votre être cher, de votre frère ou soeur, de mamie, papi, oncle, tante, nièce, voisine, voisin, « larme » ? Valentina Première est là pour vous. Oubliez les longues attentes ! Avec elle, la séance photo est rapide et efficace. Elle vous guide, cadre le cliché parfait. Attention, photo ! C’est dans la boîte.
Après avoir ajusté les couleurs et la luminosité sur Photoshop, elle vous présente le résultat final. Imprimée sur un format A4, votre photo est prête à être emportée. Facture : Rs 100 l’unité.
Les langues transmises par ses parents
Elle parle un français fluide ; on peut l’entendre au son de sa voix. Pourtant, Valentina Première n’a pas l’accent standard exigé par les centres d’appels. « J’ai appris le français, et ce n’est pas dans les centres d’appels que je l’ai acquis. C’est tout le contraire. Je parle français avec aisance, mais sans l’accent typique, car je suis née dans cette langue, transmise par mes parents. Au lieu que ces centres d’appels m’apprennent le français, c’est moi qui leur ai apporté cette compétence. C’était donnant-donnant. »
Elle explique avoir appris le français en lisant les journaux dominicaux à l’âge de 8 ans, « puis des livres ».
Il faut dire que Valentina Première a la langue de Beaumarchais très fourchue, ne commettant aucune faute du subjonctif, sait composer ses phrases avec une aisance déconcertante.
« Le français, c’est ma deuxième langue après le kreol. Je l’assume pleinement. »
Rescapée d’un handicap à vie
Cette femme, de petite taille, aurait pu se retrouver en situation de handicap et dans une situation très difficile aujourd’hui. « Je suis croyante, catholique. Sans une assurance maladie prise en charge par mon ancien employeur, je ne serais pas là pour vous parler. J’ai subi une intervention chirurgicale pour des problèmes à la colonne vertébrale. Les examens précédents n’avaient rien révélé de grave. Ce n’est que lors de consultations privées que j’ai compris l’ampleur de mon problème et que j’ai pu bénéficier des soins nécessaires. Je remercie Dieu pour ce cadeau. »
Actrice engagée
Valentina Première est fermement attachée à ses racines. Dans un mélange de kreol morisien et de français, elle raconte un pan de son vécu. Pas n’importe lequel, celui d’actrice.
« 1968 », « Le Cri du Baobab », « Le Rythme de l’Ame ». Cela vous dit quelque chose ? Ce ne sont pas des titres de manuels universitaires, mais des scripts qui racontent notre passé : l’esclavage, le déracinement, la lutte pour la liberté.
Valentina Première a incarné le premier rôle féminin de « 1968 ». Émue, elle revient sur cette expérience : « ‘1968’ reflète notre vécu. Il montre comment la vie était avant l’indépendance, la crainte que nous ressentions face à l’inconnu. »
« Le Cri du Baobab » nous ramène vers l’Afrique. Selon les écrits, le Baobab était au cœur de tout village, symbole de vie communautaire et de transmission du savoir. S’y rencontraient les sages qui discutaient des problèmes du village. Dans le film, le déracinement est une blessure profonde. « Dans le film, mon mari va à la chasse avec mon fils, mais avec le déracinement, je ne les ai plus revus. Quand mon fils revient au village, c’est là qu’il sait que tout est perdu. Dans le film, il ouvre un livre pour faire découvrir au monde cette histoire émouvante », explique Valentina Première.
Le film « Le Rythme de l’Ame » est, lui, un hommage au séga. « Cette chanson, c’est un cri de souffrance, un témoignage de la souffrance des esclaves arrachés à leur terre natale. Alors, quand on dit que le séga n’est fait que pour danser et s’amuser, c’est passer à côté, car le séga est tout sauf du ‘waya waya’ », lance avec force Valentina Première.
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