Maurice apparaît en tête de la liste des pays qui ont le plus utilisé de pesticides de 2015 à 2018, selon un rapport de la Food and Agriculture Organisation (FAO). Cependant, ce n'est pas demain la veille que l’agriculture locale pourra se passer de ces produits chimiques, à en croire les planteurs et Gina Bonne, chargée de mission à la Commission de l'océan Indien.
« Il y a un usage abusif de pesticides dans les plantations agricoles et aucun contrôle de la quantité utilisée dans les champs », affirme Raffick Chatharoo, président de la Mauritius Planters Association (MPA). Selon lui, les planteurs ne pourront pas se passer de ce produit pour obtenir une bonne récolte en raison des nombreux insectes présents dans les champs à ciel ouvert.
Cet avis est partagé par Soorajen Manikon, secrétaire général de l’Independent Planters Association (IPA). Étant donné qu’il n’y a pas une grande demande pour les produits biologiques et hydroponiques, les pesticides continueront d’être utilisés dans la production agricole, soutient-il. « Les pesticides peuvent sauver une récolte », affirme de son côté un planteur de canne à sucre qui a préféré ne pas être cité. Il reconnaît lui aussi l'usage abusif de ces produits, tout comme Anand Phalad, ancien planteur et ex-président de la MPA, qui est d'avis qu'il serait compliqué de se passer de ces produits chimiques.
Gina Bonne, chargée de mission responsable de l’environnement et du changement climatique à la Commission de l'océan Indien (COI), estime que ce sera difficile d’éliminer complètement les pesticides mais que graduellement il sera possible d’en réduire l’usage. Elle préconise pour cela l’accompagnement et l’éducation des usagers ainsi que l’éducation du grand public sur les risques.
Raffick Chatharoo explique qu’avec tout l’investissement consenti par les planteurs, tout sera mis en œuvre pour obtenir une bonne récolte, ce qui inclut l'utilisation des pesticides pour protéger les cultures. Il note cependant que certains ne pensent qu'à la protection de leur champ sans penser aux conséquences que cela peut avoir sur la terre et la santé des consommateurs. « Les planteurs feront tout pour éliminer les insectes nuisibles qui attaquent les plantes, mais ils ne réalisent pas que cela est préjudiciable à leur santé ainsi qu'à celle des consommateurs », dit-il. Et avec la disponibilité des pesticides, chacun les utilise de manière abusive, ajoute notre interlocuteur.
« Ces produits sont efficaces pour éliminer, par exemple, les teignes des choux (Plutella xylostella), mais ils empoisonnent aussi la terre », poursuit-il. Raffick Chatharoo fait remarquer qu'il faut attendre au moins huit jours après l'application des pesticides avant de pouvoir récolter les légumes. Si les consommateurs ne sont pas bien informés à ce sujet ou si le délai avant récolte n'a pas été respecté, cela peut avoir une incidence sur leur santé, souligne-t-il. Selon le président de la MPA, certains agriculteurs ne respectent pas ce délai et ne pensent qu'à récupérer rapidement leur investissement. Il attribue cela à un manque de formation sur le bon usage des pesticides.
Soorajen Manikon fait observer que les planteurs qui ne sont pas propriétaires de leurs terrains n’ont pas d’autre choix que de produire des légumes à ciel ouvert, car ils ne peuvent pas investir dans une agriculture biologique ou hydroponique qui demande du temps, des compétences techniques et de la main-d’œuvre. Il note cependant que certains se sont lancés dans ce type de production, à petite échelle en raison de l'étroitesse du marché.
« Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter régulièrement des fruits et légumes biologiques ou hydroponiques en raison de leur prix plus élevé lié aux coûts de production », explique-t-il. Avec le manque de main-d’œuvre pour le nettoyage des champs et toutes les exigences de la production agricole, les planteurs n’ont pas d’autre alternative que de faire ce qu’il faut pour sauver leurs récoltes, produire au maximum et ainsi maximiser leur retour sur investissement, affirme-t-il.
Nous avons contacté plusieurs organismes pour obtenir des informations sur le contrôle et l’utilisation des pesticides. Le ministère de la Santé nous a renvoyés vers le ministère de l'Agro-industrie, bien que le Dangerous Chemical Control Board soit sous sa tutelle. De même, malgré nos multiples demandes et appels aux bureaux de Port-Louis et Réduit, nous n'avons obtenu aucune réponse satisfaisante du ministère de l’Agro-industrie.
Joanna Bérenger ne lâche pas le morceau
Dans une vidéo publiée récemment, la députée du Mouvement militant mauricien (MMM) Joanna Bérenger explique que sa demande de réponse au Parlement concernant l’utilisation des pesticides a révélé qu’à partir de 2018, 1 811 échantillons de fruits et légumes ont été prélevés pour tester la quantité de pesticides utilisée. Elle en est arrivée à la conclusion que le faible nombre d’analyses effectuées depuis cette date est dû à un manque d’officiers pour effectuer les travaux, réaliser les analyses, enregistrer les informations, les interpréter et assurer un suivi.
Selon elle, la Food and Agricultural Organisation des Nations unies affirme que nous sommes l’un des plus gros utilisateurs de pesticides par kilomètre carré. « Il s’agit d’un problème sérieux et le gouvernement doit y investir. Avec les avancées technologiques, il est plus facile de produire des légumes et des fruits sains pour la santé, qui ne vont pas empoisonner notre corps et notre environnement en même temps » fait comprendre la députée mauve.
Lors de la réunion du comité de l’approvisionnement, elle a demandé au ministre de l’Agro-industrie Maneesh Gobin combien d’officiers travaillent dans le bureau chargé de contrôler la quantité de pesticides utilisée à Maurice. Une fois de plus, comme cela a été le cas l’année dernière, le ministre a promis de fournir l’information, mais il ne l’a pas fait, déplore Joanna Bérenger. « Beaucoup de temps s'est écoulé depuis la première vidéo réalisée sur le sujet, mais jusqu’à présent, aucune clarification n’a été apportée », déplore-t-elle. La députée trouve que c’est préoccupant.
Formation à tous les niveaux
Gina Bonne, chargée de mission responsable de l’environnement et du changement climatique à la Commission de l’océan Indien (COI), estime que les planteurs devraient bénéficier de sessions de formation sur le bon usage des pesticides. Agronome de formation, spécialisée dans la protection des végétaux, elle ajoute que les pays tropicaux comme Maurice doivent faire face à des insectes nuisibles dans les plantations en raison du climat favorable à leur présence et leur prolifération. « Il y a un travail à faire avec les utilisateurs de pesticides. C’est un défi pour les agriculteurs de contrôler, voire de maîtriser, les nuisibles qui prolifèrent dans les cultures agricoles », explique-t-elle.
Gina Bonne cite notamment les pucerons, les acariens, les coléoptères, les chenilles, les thrips, les mouches des fruits et la teigne des choux. Bien qu’il existe différentes méthodes pour lutter contre ces nuisibles, il est cependant difficile de se passer des pesticides, affirme-t-elle. Parmi ces méthodes, on trouve l'agriculture raisonnée ainsi que le contrôle intégré (biologique ou physique) visant à réduire la quantité de pesticides utilisée.
Grâce à la formation, les agriculteurs pourront mieux maîtriser l’usage des pesticides et prendre conscience de leurs effets néfastes sur la santé. « Nous avons constaté dans la littérature scientifique que certaines molécules de pesticides peuvent provoquer certains types de cancer et d'autres maladies », souligne notre interlocutrice. Il est donc essentiel de connaître les dosages des produits et de suivre les instructions concernant l’utilisation des différents pesticides. Une bonne pratique consiste également à se protéger lors de l'application des produits, précise Gina Bonne.
Ces sessions de formation ne devraient pas se limiter aux agriculteurs, mais devraient également inclure les petits planteurs et ceux qui ont un jardin dans leur cour. Il est crucial que tous comprennent l’importance de respecter scrupuleusement le délai d'attente avant la récolte, dans l'intérêt des consommateurs. « Il y a souvent des résidus de pesticides qui restent sur les fruits et légumes, ce qui peut également contaminer le sol et le rendre infertile. Ces résidus peuvent être transportés vers la mer ou les rivières, contaminant ainsi les nappes phréatiques », ajoute la spécialiste de la COI.
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