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Travailleurs étrangers : la libéralisation du permis de travail pour résoudre les pénuries

Travailleurs étrangers

Le gouvernement entend libéraliser l’octroi des permis de travail aux étrangers. Le but est de fournir la main-d’œuvre aux secteurs qui ont du mal à en trouver. Une mesure qui n’est pas vue d’un bon œil par tous.

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Après plusieurs hésitations et tergiversations, le gouvernement semble finalement déterminer à ouvrir les vannes pour l’arrivée de travailleurs étrangers. Outre l’intention d’attirer des professionnels touchant un salaire conséquent à travers des ‘Occupation permits’ délivrés par l’‘Economic Development Board’ (EDB), les ouvriers étrangers avec des qualifications et des salaires moins importants sont aussi concernés. Le gouvernement met en place plusieurs mesures pour faciliter l’octroi des permis de travail par le ministère de Soodesh Callichurn (voir en hors-texte). Toutefois, tout le monde n’est pas convaincu par la démarche.

Azim Currimjee la qualifiait de « libéralisation du permis de travail » dans les colonnes du Défi Plus le samedi 16 juin dernier. « Par exemple et contre le paiement d’un mois de salaire, on peut obtenir un permis de travail plus rapidement, avait-il expliqué. Cet argent sera utilisé pour la formation des Mauriciens. Il y a une liste de secteurs dans lesquels les limitations sur les quotas vont être réduites, mais on peut en rajouter d’autres. L’important, c’était d’ouvrir cette possibilité. » 

La nature sensible de l’emploi d’étrangers et des besoins des différents secteurs se révèle toutefois dans le long processus entamé par le ‘Human Resource Development Council’ (HRDC) pour identifier les 'scarcity areas' de différents secteurs. Après les 'Labour Shortage Surveys'de 2012, cette institution est en pleine finalisation de nouveaux rapports pour cette année. « On est en train de finaliser cela au niveau du management, explique une source. Le conseil doit approuver les directives qui figurent dans les rapports mais c’est difficile car le board comprend un peu tout le monde. » Et c’est difficile de les mettre tous d’accord. 

Pour l’instant, une seule chose est sûre : le HRDC publiera deux nouveaux rapports. Un sur la logistique, incluant le transport et le stockage, et un autre sur le secteur des sciences de la vie. Ces rapports viendront se joindre à ceux concernant l’agriculture, la manufacture, les TIC et les services financiers.

Faizal Allybeegun, président la ‘Textile Manufacturers & Allied Workers Union’, estime que si l’importation de la main-d’œuvre étrangère est nécessaire pour l’économie du pays, elle nuit à l’employabilité des Mauriciens. Le phénomène ne fera que prendre de l’ampleur, selon lui. « Dans cinq à dix ans, nous allons dépasser la barre des 100 000 travailleurs étrangers, dit le syndicaliste. Il y a déjà une demande pour 50 permis d’une compagnie de nettoyage et 60 autres pour une compagnie qui est dans l’agriculture. » 

D’après lui, cet accent sur les travailleurs étrangers fera du mal aux Mauriciens. « A-t-on mené une étude pour savoir ce que les travailleurs de Maurice cherchent du gouvernement ?, demande Faizal Allybeegu. Le salaire minimal n’a pas marché. Ce n’est pas normal que mêmes les compagnies qui dressent des marquises pour les mariages, doivent faire venir des étrangers. La politique gouvernementale ne fera qu’accroître le nombre de chômeurs mauriciens. »

Nasser Mooraby, de l’Association des propriétaires de boulangeries, pense toutefois qu’il y a toute une série d’obstacles qui doivent être enlevés dans certains secteurs qui éprouvent du mal à employer des Mauriciens. Il dit douter de l’efficacité des mesures annoncées. « Nous avons déjà participé à des réunions au ministère du Travail. On nous a annoncé qu’on allait assouplir tout le processus avec les demandes de permis en ligne. Cela n’a rien donné. »

Nasser Moraby ajoute que même s’il est possible d’obtenir le permis de travail plus rapidement, cela prend toujours au moins trois mois pour obtenir un permis de logement. Or, on ne peut faire venir ces travailleurs sans ce permis. Du coup, cela ne sert à rien. La mesure concernant la location de dortoirs pourrait cependant éliminer cet obstacle.

Un autre problème concerne le fait qu’après quatre ou cinq ans, un ouvrier étranger doit rentrer dans son pays pour au moins un an avant de revenir.
« Quand ils reviennent, pour une raison ou une autre, c’est plus difficile d’obtenir un permis, explique Nasser Moraby. On a des employés qui connaissent déjà le métier, certains sont là depuis longtemps mais on est bloqué à cause des procédures.»

Les quotas sont également un casse-tête. Pour les boulangeries, ils étaient autrefois trois employés Mauriciens pour chaque étranger. Shakeel Mohamed avait ramené ce ratio à 1:1 mais l’obstacle demeure.

« Cela présuppose qu’il y a des Mauriciens qui veulent travailler dans le secteur, explique le boulanger. Ce n’est pas le cas et ça n’intéresse personne. » Selon lui, la notion de quota devrait disparaître complètement. 

Les opérateurs du côté de la construction se montrent aussi sceptiques sur la libéralisation des permis de travail. « Je ne crois pas trop dans cette démarche, explique Gérard Uckoor, de l’Association of Contractors, il faut utiliser cette main-d’œuvre locale qu’il faut protéger. » 

Selon lui, le problème, c’est que les employeurs ne font pas ce qu’il faut pour retenir les employés. « Si vous traitez vos employés comme il faut, ils feront du bon travail, assure-t-il. Les Mauriciens ont un bon potentiel mais il faut qu’ils soient protégés par les lois. » Plutôt que de faciliter l’entrée des étrangers dans le pays, il faudrait encourager les Mauriciens à se diriger vers ces secteurs qui ont besoin de main-d’œuvre.


41 000 étrangers de quelque 100 pays

Les chiffres du ministère du Travail révèlent qu’en février dernier, le pays comptait plus de 41 000 travailleurs étrangers venant de presque cent pays différents. Toutefois, la grosse majorité des travailleurs étrangers viennent du Bangaldesh, la Chine, l’Inde, Madagascar et le Sri Lanka. Selon les derniers chiffres disponibles, le nombre de nouveaux permis de travail émis et de permis renouvelés étaient au nombre de 1 750 en début d’année.

es travailleurs sont de 16 pays différents mais les cinq pays, mentionnées, ci-dessus, en comptent le plus. Le Bangaldesh en fournit 962, Madagascar, 307, l’Inde, 300, le Sri Lanka, 96, et la Chine, 46.

On retrouve les mêmes chiffres dans le compte de permis de travail valides à Maurice. Au total, on en dénombre 41 087 de presqu’une centaine de pays. Plus de la moitié vient du Bangladesh avec 23 673 employés à Maurice. En deuxième position, on retrouve l’Inde avec 8 392, Madagascar avec 4 231, la Chine avec 2 111 et 1 461 pour le Sri Lanka.

En termes de secteurs embauche, il y a également un certain nombre qui emploie une majorité de ces ouvriers étrangers. Le secteur manufacturier, à lui seul, comptabilise 75% sur un total de 31 924 ouvriers. Le secteur de la construction est le deuxième plus gros employeur mais avec un chiffre moindre, soit 5 713 employés. Les autres figurent tous en dessous de la barre des 1 000 employés. 

Au niveau des services sociaux et communautaires, on en compte 908. Un nombre qui descend ensuite à 766 pour le secteur du commerce et de la mécanique. L’hôtellerie et la restauration en sont à 517 emplois tandis que les autres sont réduits à moins de 300 chacun.


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Les carences identifiées par le HRDC

Actuellement, le Human Resource Development Council (HRDC) finalise plusieurs ‘labour shortage surveys’ dans différents secteurs afin d’identifier les besoins spécifiques de chacun. C’est un exercice régulier. Outre les nouveaux secteurs identifiés pour des rapports inédits (voir texte principal), ceux concernant les secteurs agricole, manufacturier, financier et les TIC seront bientôt publiés. En attendant, ceux qui datent de 2012 donnent une certaine idée des défis que ces secteurs doivent relever.

Dans le secteur agricole, plusieurs 'scarcity areas' ont été identifiés. En premier : le manque d’employés pouvant opérer des équipements motorisés et ceux pouvant effectuer une récolte. Les employés qui savent administrer des fertilisants, les vétérinaires qualifiés et les personnes possédant une maîtrise en gestion de fermes et d’agribusiness en général sont aussi absents du paysage mauricien.

Parmi les nombreuses raisons qui compliquent l’emploi de Mauriciens dans le secteur, on retrouve une attente exagérée sur les salaires, le manque de qualifications, une mauvaise attitude au travail, la préférence pour le travail à l’étranger et le manque d’expérience. Pour le manufacturier et les exportateurs, la liste de 'scarcity areas' est plus longue. Les professionnels qui possèdent la qualification finale en ACCA ou un BSC Finance sont rares ainsi que les ingénieurs électriques, les spécialistes en électronique et en réfrigération. Idem pour ceux qui possèdent un diplôme en agriculture, en génie mécanique et chimique, entre autres…

Au niveau des explications sur les difficultés à trouver des employés, la principale raison est un problème d’adaptabilité et une population vieillissante. Des postes à l’étranger sont aussi plus attirants alors que la mauvaise attitude au travail se retrouve parmi les raisons citées. 

Du côté des TIC, la liste des 'scarcity areas' est moins importante. On retrouve les diplômés en software engineering, en TIC, en télécommunication et sciences des réseaux et en langues. Les compétences en technologies sans fil et gestion de la sécurité sont également rares. Le manque de personnes qualifiées est la raison principale des employeurs pour expliquer leur incapacité à trouver des employés. Les meilleures opportunités à l’étranger arrivent en deuxième position tandis que les prétentions salariales trop élevées arrivent en troisième place.

Du côté des services financiers, le job pour lequel on éprouve le plus de mal à trouver des employés, c’est celui d’auditeur et d’auditeur senior. Il en est de même pour les ‘junior executives’, comptables, ‘accounts clerks’, ‘credit risk officers’ et ‘dealers Forex’. Pour ce secteur, c’est le ‘mismatch’ qui est le principal problème. En première position, on retrouve un excès de formation par rapport au poste concerné ou, au contraire, en deuxième position, une formation insuffisante.


Les zig-zags du gouvernement

Le gouvernement de l’Alliance Lepep a beaucoup tergiversé sur la question des travailleurs étrangers. Si, sous l’impulsion de l’Economic Development Board (EDB), le cap semble définitivement être mis sur l’ouverture de l’économie à un maximum de travailleurs étrangers, la ligne politique a souvent été contradictoire sur la question.

Alors que depuis le début l’Alliance Lepep mise sur la construction pour relancer la croissance économique, en 2016, le ministre du Travail a une position étonnante sur le sujet en insistant sur une limite du nombre de permis de travail pour les étrangers octroyés aux compagnies de construction. Le 25 novembre de la même année, le Conseil des ministres annonce : « Cabinet has agreed to the issue of work permits for the importation of foreign labour in the construction sector being severely restricted with a view to promoting the employment of local labour. »

Les explications concernant le fait qu’il n’y avait tout simplement pas assez de main-d’œuvre sur le marché mauricien pour le Metro Express, les nouvelles routes, une nouvelle Cour suprême et les nouveaux hôpitaux ne suffisaient pas à faire changer d’avis aux décideurs. Cependant, en mai dernier, c’est le Premier ministre (PM), Pravind Jugnauth lui-même qui amorce le virage complet du gouvernement sur le sujet. Il s’exprime lors de l’inauguration du chantier de l’autopont de Pont Fer : « Si on veut que les projets soient terminés à temps, on n’aura d’autre choix que d’importer de la main-d’œuvre pour ce secteur. » Depuis, le ministre du Travail, Soodesh Callichurn a revu sa position. « S’il n’y a pas de main-d’oeuvre, comment réussir ? »

Depuis, le Construction Industry Development Board (CIDB) s’est mis à travailler sur une série de changements à apporter pour faciliter l’importation de la main-d’œuvre. Quatre secteurs clés -maçonnerie, charpenterie, ‘bar bender’ et ferrailleur, ont été identifiés comme pouvant bénéficier en
priorité de nouvelles mesures concernant l’importation de main-d’œuvre.


Budget

Prévision pour une révision des ratios et la location de dortoirs 

Si dans son discours, le PM et ministre des Finances ne s’est pas appesanti sur les détails concernant les réformes sur l’allocation des permis de travail, les annexes fournies dans son discours du budget sont plus loquaces à ce sujet.

Ce qui retient surtout l’attention dans différents secteurs qui peinent à trouver de la main-d’œuvre locale, c’est l’annonce suivante : « The policy regarding ratio of local workers to expatriates will be reviewed in respect of certain sectors ». Ce ratio oblige les employeurs à recruter un certain nombre de Mauriciens pour chaque étranger. Or, dans plusieurs secteurs, trouver un seul Mauricien relève du miracle, et cela les empêche de recruter.

Une deuxième mesure devrait également aider les potentiels employeurs qui éprouvent des difficultés par rapport au logement de leurs employés étrangers :

« A Dormitory Facilities Scheme will be introduced under which promoters/investors will be allowed to rent dormitories to employers for lodging their foreign labour ». Ce plan devrait donc résoudre le problème, les employeurs pouvant simplement louer des dortoirs.

Une série d’autres mesures sont également prévues pour faciliter tout le processus. Le ministère du Travail, le Passport and Immigration Office et le Bureau du PM auront tous accès à l’InfoHighway Plaform’ pour le partage d’informations. Une unité spéciale sera créée au niveau du ministère du Travail pour mettre à jour les informations concernant les 'accomodation permits' et les quotas des entreprises. Les compagnies ayant moins de 20 employés n’auront plus à placer des annonces dans la presse pour recruter mais elles peuvent se rabattre sur les services offerts par des ‘Employment Information Centres’.

Le plan d’action des trois prochaines années donne aussi un aperçu des plans du gouvernement pour le secteur agricole en particulier. Les autorités espèrent attirer 1 000 ouvriers étrangers en 2019, 1 500 en 2020 et 2 000 en 2020.

 

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