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Transactions suspectes : les professionnels du droit en première ligne

Me Dya Ghose-Radhakeesoon, présidente de la Mauritius Law Society. Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul est la présidente du Bar Council.

L’avocat Khushal Lobine est au centre de l’attention après une controverse concernant des paiements suspects. S’il affirme qu’il s’agit d’honoraires légitimes, les parties lésées soulignent qu’il aurait dû signaler l’origine douteuse des fonds en tant que professionnel du droit. Quelles sont les dispositions légales en vigueur ? Faisons le point.

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Le nom de Khushal Lobine est cité comme étant le récipiendaire de 46 750 de dollars américains, soit environ Rs 2 millions. Somme soupçonnée de provenir d’une fraude au préjudice de la Stanford Asset Holding Limited (SAHL), société internationale enregistrée aux Seychelles et sa filiale Greenway PCC, entreprise enregistrée dans l’offshore mauricien. 

Cependant, l’avocat et député du PMSD se défend, en maintenant que cette somme représente ses honoraires en tant qu’avocat de la société Key Stone Properties Ltd. Or, dans leur affidavit, SAHL et Greenway PCC soulignent que Me Khushal Lobine, en tant que professionnel du droit, est soumis aux obligations de la loi contre le blanchiment d’argent, à savoir le Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA), et qu’il aurait dû signaler l’origine suspecte des fonds.

Que dit précisément le FIAMLA ? Selon la présidente du Bar Council, Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, conformément à l’article 17 du FIAMLA, les professionnels du droit sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’utilisation de leurs services à des fins de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

« Le FIAMLA stipule que dès que les cabinets d’avocats ont connaissance de transactions suspectes, ils doivent soumettre un rapport (‘suspicious transaction report’) à la Financial Intelligence Unit (FIU) dans un délai de cinq jours ouvrables suivant la détection de la transaction douteuse », déclare-t-elle.

Cette responsabilité a été imposée à tous les professionnels du droit, « essentiellement dans le but de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme », précise, de son côté, Me Dya Ghose-Radhakeesoon, présidente de la Mauritius Law Society. Cette obligation a récemment été renforcée dans le cadre des efforts de l’État pour retirer Maurice de la liste noire de l’Union européenne, rappelle l’avouée.  

Secret professionnel

Comment cette obligation s’aligne-t-elle avec le secret professionnel et les règles de confidentialité ? Le secret professionnel couvre l’ensemble du dossier ainsi que les confidences du client envers l’avocat, explique Me Dya Ghose-Radhakeesoon. En d’autres termes, l’avocat, l’avoué ou le notaire « sont les gardiens de toute information ou tout document confié(e) ou divulgué(e) par leur client, ayant un caractère confidentiel ou secret ».

Cependant, même si le secret professionnel est fondamental, il peut être levé dans des cas spécifiés par la loi, précise-t-elle. « Lorsque l’origine des honoraires semble suspecte, l’avoué doit évaluer si cette information doit être communiquée aux autorités compétentes conformément à la législation en vigueur. Cela pourrait nécessiter une levée temporaire ou partielle du secret professionnel », indique Me Dya Ghose-Radhakeesoon.

Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul rappelle, pour sa part, que l’article 5 du code de déontologie des avocats établit que la confidentialité est à la fois un « droit et un devoir essentiel et fondamental d’un avocat en ce qui concerne les informations fournies par son client ». Selon l’article 10 C du Law Practitioners Act, un cabinet d’avocats doit respecter les mêmes règles de confidentialité. 

Selon la présidente du Bar Council, les directives émises par le bureau de l’Attorney General et la FIU à l’attention des cabinets d’avocats et des professionnels du droit précisent que ces derniers ne sont pas assujettis aux obligations énoncées par l’Anti-Money Laundering/Combating the Financing of Terrorism (AML/CFT) dans certaines situations, notamment lorsqu’ils représentent leurs clients dans une procédure judiciaire, administrative, d’arbitrage ou de médiation. « Les activités qui sont prescrites par le FIAMLA sont liées à la préparation ou à l’exécution de transactions financières ou à la gestion d’entité légales. Transactions qui ne sont pas soumises au secret professionnel. »

Détection

Comment les avocats parviennent-ils à détecter les paiements d’honoraires pouvant provenir d’origines illégales ou suspectes ? « L’une des méthodes pour obtenir des informations pertinentes sur la provenance des fonds est de demander au client de remplir un formulaire déclarant la source des fonds, par exemple », explique la présidente du Bar Council. 

Me Dya Ghose-Radhakeesoon souligne, elle, que les avoués et autres professionnels du droit doivent adopter une approche basée sur les risques dans leur domaine. « Plusieurs facteurs permettent de déterminer le niveau de risque associé à une transaction particulière, comme le profil du client, sa localisation géographique, les services requis, la réticence du client à divulguer les raisons ou les bénéficiaires ultimes de la transaction, la complexité de la transaction ou si elle est inhabituelle, entre autres », énumère-t-elle. De plus, avance-t-elle, si le client insiste pour finaliser des transactions complexes dans un délai particulièrement court, ou si la transaction est entourée d’opacité vis-à-vis des autorités, cela devrait alerter l’avoué en question.

En ce qui concerne les conséquences de ne pas déclarer des honoraires provenant d’origines suspectes, Me Dya Ghose-Radhakeesoon mentionne l’impact négatif sur la réputation, l’image et la crédibilité de l’avoué en tant que professionnel. « Sa carrière risque d’être ternie. Bien sûr, cela affecte également le cabinet et aura un impact financier direct sur celui-ci. De plus, à l’avenir, l’avoué, l’avocat ou le cabinet seront étroitement surveillés par des autorités telles que la Mauritius Revenue Authority et la FIU », prévient-elle.

Les sanctions prévues 

Selon le Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act, un professionnel du droit, qu’il s’agisse d’un avocat ou d’un avoué, qui accepte des fonds qu’il soupçonne (ou devrait soupçonner) d’être issus d’une activité criminelle, commet une infraction. Il s’expose à une amende maximale de Rs 1 million et à une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans.

Sur le plan disciplinaire, la Financial Intelligence Unit peut signaler cette situation à l’Attorney General, ce qui pourrait entraîner des mesures disciplinaires à l’encontre de l’avocat ou de l’avoué. En conséquence, ce dernier pourrait également être soumis à une procédure disciplinaire par la Mauritius Law Society ou le Bar Council, voire par la Cour suprême. Les sanctions varieront en fonction de la gravité de la violation des obligations professionnelles, allant d’un avertissement formel à une suspension temporaire ou même à la révocation de la licence professionnelle.

Conseils pratiques

Me Ahmed Bhurtun, avocat spécialisé en droit fiscal, exerce actuellement à son compte après avoir occupé les postes de conseiller juridique à la Mauritius Revenue Authority et de Vice-Chairperson de l’Assessment Review Committee. Il souligne l’importance pour les avocats d’obtenir des informations détaillées sur leurs clients, notamment leur nom complet, leur date de naissance, leur nationalité et leur adresse s’ils sont des particuliers. Dans d’autres cas, il est crucial, selon lui, que l’avocat vérifie l’existence réelle de l’entité (entreprise, société ou trust) avec laquelle il interagit, ainsi que la possession de toutes les autorisations nécessaires pour exercer ses activités.

Il explique : « L’avocat doit simplement constater l’existence d’une transaction suspecte. Cela peut découler, par exemple, de montants importants payés en espèces par le client ou de l’incapacité du client à expliquer la provenance d’une certaine somme d’argent. »

Me Ahmed Bhurtun affirme qu’il est du devoir de l’avocat de s’assurer que le client puisse justifier la provenance des fonds en fournissant des documents tels que des actes de vente, des preuves de paiement de dividendes ou des relevés de compte bancaire, démontrant ainsi l’origine de l’argent en question.

 

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