Interview

Tariq Caramtali, expert en Compliance : «Maurice a un cadre légal solide pour lutter contre le blanchiment d’argent»

Tariq Caramtali

Head du Compliance Department au sein du Temple Group, Tariq Caramtali, dans l’interview qu’il nous accorde cette semaine, explique les grandes lignes du blanchiment d’argent qui, selon lui, demeure un délit difficile à prouver.

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La Financial Services Commission (FSC) a rendu public son nouveau manuel le 13 janvier 2020. En quoi cela est un pas de plus vers la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ?
Actuellement, tous les acteurs du service financier – eu égard à la lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme – sont régis par la Financial Intelligence And Anti-Money Laundering Act de 2002, la FIAMLA Regulations de 2018 et aussi les FSC Codes. Ce nouveau handbook est un plus et agit comme un guide dans l’implémentation des lois et des règlements. Cela dit, en parcourant le manuel, j’ai pu relever quelques lacunes.

Lesquelles ?
Lorsque le manuel était encore en phase de rédaction, le Global Finance Mauritius avait proposé quelques modifications. Néanmoins, après la publication du manuel, nous avons constaté que rien n’a changé. Par exemple, il est écrit que le manuel ne peut être applicable mais qu’en même temps, la FSC le prendra en considération lors des off-site visits dans des Management Companies. C’était ce genre de contradiction qu’on voulait éviter.

Pour le citoyen lambda, que veut dire blanchiment d’argent ?
On utilise le terme blanchiment d’argent lorsqu’un individu a collecté de l’argent « sale » et qu’il l’injecte dans le système financier. Cela afin de cet argent apparaît comme de l’argent « propre ». C’est un abus du service financier. Par exemple, un étranger peut aussi servir la juridiction d’autres pays pour blanchir son argent sale par le biais d’une entreprise. 

Il y a une perception que ce sont principalement les trafiquants de drogue qui ont recours au blanchiment d’argent. Est-ce vrai ?
Oui, dans une grande mesure, c’est vrai. Les trafiquants de drogue sont ceux qui ont plus de recours au blanchiment d’argent. Aussi, c’est qui est intéressant, c’est que les trafiquants sont tout le temps épinglés pour deux offenses : le trafic de drogue et le blanchiment d’argent lorsqu’une somme d’argent est retrouvée chez eux. Ce qui explique que pour qu’il y ait blanchiment d’argent, il faut au préalable une première offense.

Quels sont les autres types de blanchiment d’argent ?
Bien qu’on utilise l’appellation blanchiment « d’argent », j’aimerai faire ressortir que ce délit n’a pas toujours trait à de l’argent liquide. Un bien ou une propriété peut tout aussi être source de blanchiment. Toutefois, à Maurice, c’est le trafic de drogue qui est le plus souvent associé au blanchiment d’argent. N’empêche que ceci est un délit difficile à prouver. Par exemple, dans l’affaire des coffres-forts de Navin Ramgoolam, comment prouver ce qui est propre ou sale des Rs 220 millions retrouvées ? C’est un exercice complexe.

Le blanchiment d’argent n’est pas un délit qui a toujours trait à de l’argent liquide»

Dans ce cas, comment déterminer s’il y a blanchiment d’argent ?
La loi stipule que lorsque nous avons affaire avec un client, il est de notre devoir de faire un « complete due diligence check » comme par exemple d’exiger des preuves d’adresse, de sources de financement, etc. Il peut arriver qu’un client se montre très réticent et cela éveille des soupçons. En présence d’un cas suspect, la loi nous oblige à le rapporter à la Financial Intelligence Unit (FIU), en toute discrétion bien sûr.

Quels sont les mécanismes en place pour lutter contre le blanchiment d’argent ?
Maurice a un cadre légal solide avec notamment la FIAMLA de 2002 ainsi que la FIAMLA Regulations de 2018. La FSC a aussi ses FSC Codes auxquels les entreprises licenciées doivent adhérer. Le FSC Handbook est venu à son tour renforcer tout cela.

Que risque une personne coupable de blanchiment d’argent ?
C’est très sévère! Selon la section 2 de la FIAMLA 2002, toute personne reconnue coupable de blanchiment d’argent est passion une amende de Rs 2 millions et d’une peine d’emprisonnement de 10 ans.

Le rôle du Money Laundering Reporting Officer (MLRO) prend toute son importance aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Le MLRO, qui est une nomination statuaire, joue le rôle d’intermédiaire entre le Management Company et la FIU. Certes, c’est un poste très important, car la loi oblige les Management Companies à embaucher un MLRO. Ce dernier doit être un employé de la compagnie et approuvé par la FSC à ce poste.  

Par ailleurs, comment décrirez-vous la conformité ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’il existe la conformité interne et externe. Une société dument licenciée par un corps régulateur doit mettre en place toute une série de procédures et de règles et à laquelle les employés doivent adhérer. En ce qu’il s’agit de l’external compliance, cela concerne des lois et aussi des règlements établis par le FSC, par exemple, auxquels la compagnie doit adhérer. Ce qui est intéressant, c’est que la conformité à l’intérieur de la compagnie doit tout le temps être en ligne avec celle d’extérieur. 

Quelle est la situation à Maurice par rapport à la conformité des entreprises aux règles et lois existantes ?
J’ai eu l’occasion de mener plusieurs exercices de compliance audit au sein de nombreuses entreprises à Maurice. J’ai pu constater qu’il y a un manque d’éducation, surtout des employés des Management Companies, par rapport à la conformité mais également au blanchiment d’argent.

C’est à la direction de prendre les mesures qui s’imposent afin d’éduquer les employés à travers une formation continue. Il faut comprendre que la conformité va bien au-delà du simple exercice de « tick box ». À présent, avec l’émergence des nouvelles technologies, la conformité a franchi un nouveau palier.

Quel est le poids de ces nouvelles technologies sur le secteur des services financiers ?
Actuellement, il n’existe aucune juridiction concernant les nouvelles telles que Blockchain et Fintech. Il y a toutefois un réel intérêt de la part des investisseurs étrangers qui souhaitent se lancer de ces domaines. Pour le moment, la seule solution pour ces investisseurs demeure le « Sand box licence » de l’Economic Development Board (EDB). Mais là aussi, ils n’arrivent  pas à opérer dans la plupart des cas, car ils n’obtiennent pas le feu vert des banques locales qui préfèrent attendre que Maurice vienne avec une juridiction concrète.

 

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