L’économiste Takesh Luckho souligne l’ampleur de la tâche qui attend le gouvernement pour redresser la situation économique du pays. Cependant, avec les bonnes décisions, un changement de philosophie et une gestion rigoureuse et de la bonne gouvernance, Maurice peut être remis sur les rails et avancer vers un nouveau pallier de développement.
Le Premier ministre a fait un état des lieux de l’économie au Parlement mardi. Que faut-il retenir de cet exercice ?
Le Premier ministre a présenté un état des lieux de l’économie nationale au Parlement mardi, révélant une situation moins reluisante que ce qui avait été précédemment affiché. Lors de cet exercice, il a dénoncé des manipulations statistiques par le régime MSM, affirmant que les indicateurs économiques avaient été artificiellement embellis. Selon lui, les revenus avaient été systématiquement surestimés, tandis que les dépenses réelles étaient sous-évaluées, créant une image trompeuse de la santé économique du pays. Il a souligné que cette approche avait pour but de masquer les déséquilibres budgétaires, contribuant à une perception erronée de la gestion économique.
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Le diagnostic du Premier ministre souligne également que l’économie de Maurice n’est pas aussi florissante qu’on le prétendait. Derrière les discours optimistes et les rapports édulcorés, des défis structurels majeurs persistent : un endettement public préoccupant, des secteurs-clés en perte de vitesse, et une dépendance excessive à certains marchés extérieurs. Ces failles, masquées par des présentations exagérément optimistes, exigent des réformes urgentes pour restaurer une trajectoire de croissance durable. Cet exercice de vérité met également en lumière l’importance d’une gestion économique responsable et transparente. La manipulation des chiffres sous le précédent régime ne compromet pas seulement la confiance des investisseurs, mais érode également celle de la population envers les institutions. Le Premier ministre a appelé à un nouveau cap, basé sur des données réalistes et une gestion rigoureuse, pour remettre l’économie mauricienne sur les rails.
La situation est-elle vraiment aussi grave qu’il le dit ou s’agit-il d’abord de « management of people’s opinion » ?
La situation économique décrite par Navin Ramgoolam est très grave, dépassant le cadre d’une simple gestion de l’opinion publique. Les indicateurs financiers clés, tels qu’une dette publique dépassant le seuil critique de 80 % du PIB (83,4 % au lieu de 77,6 %), un déficit budgétaire qui a doublé (5,7 % au lieu de 3,9 %), et la santé déclinante de plusieurs organismes parapublics, témoignent d’une crise réelle qui ne peut être ignorée. Une dette publique supérieure à 80 % est un signal d’alerte sérieux. Ce niveau de surendettement compromet non seulement la capacité de l’État à financer ses dépenses courantes, mais expose également le pays à des risques accrus face à des chocs économiques externes, comme des fluctuations des taux d’intérêt ou des perturbations dans les marchés internationaux. Les marges de manœuvre pour lancer de nouveaux projets ou répondre à des urgences économiques se réduisent drastiquement dans un tel contexte. Le déficit budgétaire doublé ajoute à cette inquiétude. Un tel déséquilibre, où les dépenses publiques excèdent massivement les revenus, reflète soit une mauvaise planification budgétaire, soit une incapacité à générer suffisamment de recettes, notamment à travers les taxes ou la croissance économique. Cela aggrave encore les pressions sur les finances publiques et alimente la spirale de la dette.
Comment renverser la tendance ? À quoi faut-il s’attaquer en premier ?
Pour renverser la vapeur et remettre l'économie de Maurice sur la bonne voie, un changement fondamental de philosophie économique est nécessaire. Il s’agit d’abandonner un modèle axé sur la surconsommation et l’endettement pour privilégier une croissance durable, centrée sur la productivité et l’innovation. Cette transition demande une refonte des priorités économiques et des réformes ciblées pour créer un écosystème favorable au développement à long terme. En premier lieu, il faut miser sur une économie productive. Cela passe par des investissements stratégiques dans des secteurs porteurs comme les énergies renouvelables, les technologies numériques et l’agriculture durable.
Renforcer les capacités locales de production permettra de réduire la dépendance aux importations et de stimuler la création d’emplois qualifiés. L’innovation doit également devenir un pilier central. En encourageant la recherche et le développement ainsi que les partenariats entre le secteur privé et les institutions académiques, Maurice pourra se positionner comme un acteur compétitif dans des industries émergentes.
Par ailleurs, une gestion fiscale et monétaire plus responsable est cruciale. Le gouvernement doit adopter des politiques budgétaires prudentes, réduisant les dépenses inutiles et orientant les ressources vers des projets qui génèrent une réelle valeur ajoutée. Sur le plan monétaire, maintenir une stabilité des prix et des taux d’intérêt favorables à l’investissement est essentiel pour restaurer la confiance des marchés.
Plusieurs entités ont des milliards de roupies de dettes (CWA, CEB, Wastewater Management Authority, NTC...). Peut-on redresser la situation sans alourdir la fiscalité ou augmenter les tarifs ?
Il est possible de redresser la situation des entités publiques endettées, comme la CWA ou le CEB, sans alourdir la fiscalité ou augmenter les tarifs, à condition de mener une gestion plus rigoureuse et de s'attaquer directement aux sources de gaspillage. Des rapports d’audit détaillés peuvent révéler des domaines où des économies substantielles peuvent être réalisées, comme des pratiques de gestion inefficientes, des contrats mal négociés ou des dépenses excessives en matière de maintenance et de fonctionnement. Par exemple, les gaspillages liés à la consommation d’énergie ou à des équipements sous-utilisés peuvent être réduits par l'optimisation des ressources et la modernisation des infrastructures.
Quelles pourraient être des solutions ?
D’autre solutions sont en termes de révision des processus d’approvisionnement et une meilleure gestion des ressources humaines permettent également de limiter les coûts inutiles. Par la mise en œuvre de pratiques de gouvernance plus transparentes, le suivi rigoureux des budgets et des objectifs de performance, ces entités publiques peuvent redresser leur situation financière. Aussi, il faudra penser à promouvoir des partenariats public-privé (PPP). Ces collaborations permettent d'attirer des investissements privés pour moderniser les infrastructures et les services sans nécessiter un financement public direct. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, des partenariats avec des entreprises privées pourraient permettre de développer des projets d’énergies renouvelables, réduisant ainsi les coûts opérationnels à long terme.
Comment freiner la dette publique, qui est passée de Rs 238 milliards fin décembre 2014 à Rs 449,1 milliards à fin juin 2024 ?
Freiner la dette publique, qui a presque doublé en une décennie pour atteindre Rs 449,1 milliards, nécessite une stratégie rigoureuse fondée sur des priorités claires. La gestion des dépenses gouvernementales doit être la première étape. Il est crucial d'identifier et de réduire les dépenses non essentielles, tout en optimisant l’efficacité des investissements publics. Les projets qui ne génèrent pas de retours économiques ou qui alourdissent le déficit doivent être revus, et des audits réguliers devraient être instaurés pour garantir une utilisation transparente et efficace des fonds publics. Ensuite, diversifier et augmenter les sources de revenus est essentiel. Le gouvernement peut explorer des avenues comme l’expansion de l’économie numérique, la promotion des industries vertes, ou encore des partenariats public-privé pour alléger les charges financières.
Une réforme fiscale progressive, qui inclut une taxation équitable des entreprises et des hauts revenus, pourrait également renforcer les recettes de l’État sans pénaliser les ménages les plus vulnérables. Enfin, le gouvernement doit s’engager à maintenir une discipline budgétaire stricte à travers des lois de responsabilité fiscale. Ces mesures, combinées à une stratégie de croissance économique soutenue, sont indispensables pour maîtriser la dette et restaurer la viabilité des finances publiques.
Une dette publique élevée est-elle vraiment un problème pour un pays ?
Une dette publique élevée peut devenir un problème sérieux pour un pays, mais tout dépend de sa gestion et de sa finalité. Lorsqu’elle est utilisée judicieusement, pour financer des projets d’infrastructure, des investissements dans l’éducation ou la santé, elle peut stimuler la croissance économique et améliorer le bien-être général. Cependant, une dette mal gérée ou excessive peut avoir des répercussions négatives considérables.
Tout d'abord, un endettement élevé accroît les obligations de remboursement, ce qui réduit les ressources disponibles pour des dépenses essentielles. Les paiements d’intérêts deviennent une charge budgétaire importante, limitant la capacité d’un gouvernement à investir dans des secteurs prioritaires. Ensuite, si les investisseurs perdent confiance dans la capacité d’un pays à rembourser sa dette, cela peut entraîner une hausse des taux d’intérêt, rendant l’emprunt encore plus coûteux.
De plus, un niveau élevé de dette publique peut freiner la croissance à long terme. Il exerce une pression sur la politique monétaire et limite les marges de manœuvre pour réagir aux crises économiques. Enfin, un endettement excessif risque de peser sur les générations futures, qui devront supporter le fardeau des remboursements.
Un autre défi conséquent est le chômage, avec 17 500 chômeurs qui ne possèdent même pas de SC. Comment faire pour les « take on board » et réduire le taux de chômage ?
Pour intégrer ces chômeurs sans qualifications scolaires suffisantes et réduire le taux de chômage, il est essentiel d’adopter une stratégie axée sur la formation, le re-skilling (requalification) et l'up-skilling (montée en compétences). Cela implique une approche inclusive et pragmatique, adaptée aux réalités du marché du travail local.
Le développement et la promotion des formations polytechniques sont cruciales. Ces institutions peuvent offrir des cursus courts et pratiques dans des domaines à forte demande, tels que la construction, le tourisme, la logistique ou encore les technologies émergentes. En facilitant l’accès à ces programmes par des subventions ou des bourses, davantage de chômeurs pourront acquérir des compétences directement employables. Ensuite, la requalification des travailleurs est indispensable pour répondre aux besoins d’un marché du travail en constante évolution. Des partenariats entre le gouvernement, les entreprises et les centres de formation pourraient permettre de concevoir des programmes adaptés aux secteurs en pénurie de main-d'œuvre. Il est aussi important de valoriser les métiers manuels et techniques par des campagnes de sensibilisation et des incitations financières. Ces métiers, souvent sous-estimés, offrent pourtant des opportunités d’emploi stables et rémunératrices.
À cela, il faut ajouter un véritable « brain drain » vers l’étranger. Avec quels outils pourrait-on renverser la tendance ?
Le phénomène de « brain drain », ou fuite de cerveaux, constitue un défi sérieux pour Maurice, car il prive le pays de talents essentiels à son développement. Pour renverser cette tendance, il est nécessaire de mettre en place des mesures attractives et durables qui incitent les Mauriciens à rester ou à revenir contribuer à l’économie nationale.
Premièrement, améliorer les conditions de travail et les perspectives de carrière est crucial. Cela passe par une revalorisation salariale compétitive, des opportunités de formation continue et des environnements professionnels dynamiques. Des programmes spécifiques, comme des incitations fiscales pour les professionnels hautement qualifiés ou des subventions pour la recherche et l’innovation, pourraient également renforcer l’attrait local. Deuxièmement, l’entrepreneuriat et l’innovation doivent être encouragés. En créant un écosystème favorable aux startups, notamment grâce à des fonds d’investissement, des espaces collaboratifs et un accès facilité au crédit, Maurice peut retenir ses talents et attirer ceux de la diaspora.
Par ailleurs, pour ceux qui souhaitent s’expatrier, des politiques de « mobilité circulaire » pourraient être mises en place, permettant aux expatriés de conserver des liens économiques et professionnels avec le pays. Ces liens pourraient inclure des collaborations à distance, des transferts de savoir-faire ou des projets de mentorat. Il faut aussi pouvoir promouvoir un cadre de vie de qualité, avec des infrastructures modernes, une éducation accessible et un environnement sûr, est essentiel.
Le gouvernement parle de diversification économique, notamment avec l’introduction de l’économie bleue et verte. Ces projets sont-ils réalistes à court terme ?
L’introduction de l’économie bleue et verte dans la stratégie de diversification économique du gouvernement est une démarche ambitieuse et porteuse de potentiel. Toutefois, sa réalisation à court terme présente des défis significatifs qui nécessitent une planification rigoureuse et des investissements ciblés. L’économie bleue, qui repose sur l’exploitation durable des ressources marines, est réaliste à condition de développer des infrastructures adaptées et d’encadrer les activités liées à la pêche, l’aquaculture et le tourisme maritime. Par exemple, des initiatives comme la production d’énergie marine renouvelable ou la valorisation des ressources sous-marines peuvent générer des revenus tout en protégeant l’environnement.
Cependant, ces projets nécessitent des investissements initiaux conséquents, des technologies spécialisées et une main-d'œuvre qualifiée, ce qui pourrait limiter leur impact immédiat. De même, l’économie verte, axée sur la transition écologique, offre d’immenses opportunités à moyen et long termes, notamment dans les énergies renouvelables, l’agriculture durable et la gestion des déchets. À court terme, cependant, le défi réside dans la mise en place des infrastructures nécessaires et dans l’incitation des entreprises à adopter des pratiques respectueuses de l’environnement.
Pour maximiser les chances de succès, le gouvernement doit prioriser des projets pilotes à court terme dans ces domaines, qui démontrent leur viabilité et attirent des investissements. Par exemple, des fermes solaires ou des initiatives locales d’écotourisme peuvent servir de modèles.
La dépendance croissante à l’importation de produits alimentaires pose un problème de sécurité alimentaire. Est-il encore possible de promouvoir une agriculture locale viable ?
La dépendance croissante à l'importation de produits alimentaires est un problème majeur qui expose Maurice à des fluctuations de prix mondiaux et à des perturbations des chaînes d'approvisionnement. Cependant, il est tout à fait possible de promouvoir une agriculture locale viable pour renforcer la sécurité alimentaire du pays, à condition de mettre en œuvre des stratégies adaptées et durables. Le gouvernement doit investir dans des infrastructures agricoles modernes, telles que l’irrigation efficace, les technologies de production avancées et des systèmes de stockage performants. Ces améliorations permettraient aux agriculteurs locaux d’augmenter leurs rendements tout en réduisant les pertes post-récolte.
Par ailleurs, des incitations financières et des subventions ciblées pourraient encourager davantage de Mauriciens à s’engager dans l’agriculture, en particulier dans des cultures stratégiques essentielles pour la consommation locale. Ensuite, la diversification agricole est cruciale. En encourageant la culture de variétés adaptées aux conditions climatiques locales et en introduisant des pratiques agricoles durables, Maurice peut réduire sa dépendance aux importations tout en protégeant ses ressources naturelles. Enfin, la collaboration entre le gouvernement, le secteur privé et les coopératives agricoles peut créer un écosystème de soutien pour les agriculteurs, en facilitant l’accès aux marchés locaux et internationaux.
L’inflation pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. Quelles mesures concrètes le gouvernement peut-il prendre pour y remédier ?
Pour atténuer l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Mauriciens, le gouvernement peut mettre en place un ensemble de mesures concrètes et ciblées. Ces initiatives doivent à la fois réduire la pression sur les prix et soutenir les revenus des ménages les plus vulnérables. Le rapport sur l’état de notre économie a démonté un taux cumulé sur le coût de la nourriture de 33 % comparé au taux de 22 % sur l’inflation en général. Premièrement, des politiques fiscales peuvent être ajustées pour alléger le fardeau des consommateurs. Par exemple, réduire temporairement les taxes sur les produits de première nécessité comme les denrées alimentaires, le carburant et les médicaments pourrait contribuer à atténuer la hausse des prix. En parallèle, des subventions ciblées sur ces produits essentiels pourraient bénéficier directement aux ménages à faibles revenus. L’Alliance du Changement propose de mettre en place un fond de stabilisation de Rs 10 milliards en ce sens. Deuxièmement, des initiatives pour stabiliser l’offre sont cruciales. Le gouvernement pourrait encourager la production locale pour réduire la dépendance aux importations, notamment dans les secteurs agricoles et manufacturiers. Des partenariats avec les producteurs locaux et des incitations financières pourraient aider à contenir les coûts.
Pensez-vous que les institutions publiques actuelles sont suffisamment équipées pour gérer les défis économiques à venir ou faut-il envisager des réformes profondes ?
Pour renforcer leur efficacité, des réformes profondes s’imposent. Ces réformes doivent s’appuyer sur trois piliers fondamentaux : la compétence, la responsabilité et l’orientation vers le bien-être de la population. Tout d’abord, il est crucial de privilégier la compétence dans la gestion des institutions publiques. Les nominations doivent être fondées sur le mérite, les qualifications et l’expérience, et non sur des considérations politiques ou personnelles. En plaçant les bonnes personnes aux bons postes, les institutions seront mieux préparées à concevoir et à exécuter des politiques efficaces. Ensuite, la responsabilité doit être un principe clé. Les individus ayant commis des fautes ou des abus de pouvoir doivent être tenus pour responsables. Cela passe par des mécanismes de contrôle rigoureux et transparents, ainsi que par une justice indépendante.
La lutte contre la corruption doit être renforcée pour restaurer la confiance des citoyens. Enfin, les institutions publiques doivent recentrer leur mission sur le service au pays et le bien-être de la population. Elles doivent adopter une approche proactive, innovante et inclusive pour répondre aux besoins économiques et sociaux.
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